Le Temps du ghetto (1961)
Né au Monténégro en 1922, Frédéric Rossif s’engage très tôt dans la Légion étrangère, participe à la campagne d'Italie puis au débarquement de Provence en septembre 1944 avant d’être fait prisonnier par les Allemands puis libéré par les troupes alliées quelques mois plus tard. Il s’installe alors en France où il entre en 1952 à l’ORTF et participe à la création de nombreuses émissions, dont Cinq colonnes à la une. C’est en 1959 qu’il signe son premier long métrage documentaire, Imprévisibles nouveautés, consacré à l’industrie du pétrole. Puis il se penche sur l’histoire du ghetto de Varsovie, de sa création jusqu'à la sanglante répression de 1943 quand sa population se souleva contre les nazis. Nous sommes alors six ans après Nuit et Brouillard d’Alain Resnais, l’un des premiers films sur l’univers concentrationnaire. Mais Rossif innove. D’abord il s’agit de la première production française à traiter directement et exclusivement de l’anéantissement des Juifs sous le nazisme. Mais surtout, il est le premier à utiliser le témoignage d’anonymes pour contribuer à la documentation d’une reconstitution historique. En parallèle des documents filmiques, photographiques ou écrits qu’il a récoltés pendant une année de recherches en Pologne et en Allemagne, le cinéaste décide de mélanger documentaire et témoignages. C’est précisément cet usage du témoignage qui va diviser la critique, certains comme Claude Mauriac lui reprochant l’artificialité de l’exercice. Mais la plupart louent son apport au devoir de mémoire et la qualité du document accompagné en voix-off par Madeleine Chapsal, la journaliste et cocréatrice de L’Express. Vingt-six ans plus tard, Le Temps du ghetto ressortira en salle, dans la foulée de la diffusion du Shoah de Claude Lanzmann à la télévision et en parallèle de la sortie en salle d’Au revoir les enfants de Louis Malle. Cette fois-ci, la critique sera unanime.
Mourir à Madrid (1963)
En 63, alors que les relations diplomatiques entre la France et l’Espagne de Franco sont en voie de normalisation, Frédéric Rossif raconte dans un documentaire le quotidien des combats et des espérances fracassées des Républicains face à ce régime dictatorial. Un film de combat, de propagande assumée qui, tout en gommant certains aspects (les divisions violentes à l’intérieur même des combattants républicains...), s’impose comme un témoignage unique sur l’un des grands massacres du 20ème siècle. Pour cela, le cinéaste s’appuie sur des documents d’archives, des images tournées sur place (sous couvert de la mise en boîte d’un autre film, Pour L’Espagne, qui lui servira donc d’alibi), couplés à des textes de grands écrivains comme André Malraux, Ernest Hemingway et Georges Bernanos. Le tout accompagné par la musique de Maurice Jarre et d’un commentaire une fois encore écrit par Madeleine Chapsal et lu notamment par Jean Vilar et Suzanne Flon. La sortie du film en France sera rocambolesque. Le gouvernement espagnol va d’abord tout mettre en œuvre pour racheter le négatif afin de le détruire. Sans succès. Puis le régime franquiste va faire pression sur la France au nom du rapprochement entre les deux pays et exiger… vingt-cinq coupes. La France finira par lui en accorder six. Mais cela n’empêchera pas Mourir à Madrid d’avoir un formidable écho. Prix Jean Vigo, nommé à l’Oscar du film documentaire en 1966, il sera le plus gros succès en salle de Frédéric Rossif avec plus d’1,1 million d’entrées.
La Fête sauvage (1976)
A la télé (l’émission La Vie des animaux, la collection L’Opéra sauvage) ou au cinéma (Les Animaux, Sauvage et Beau), le monde animalier a inspiré Frédéric Rossif tout au long de sa carrière. Mais avec La Fête sauvage, il change la physionomie d’un genre qui n’en est alors qu’à ses balbutiements. Quatre années de tournage sur quatre continents (Afrique, Asie, Amérique du Sud et Europe) avec à chaque fois des équipes légères de six techniciens. Un seul objectif : aborder le documentaire animalier dans une logique strictement inverse à la vision anthropomorphiste des productions Disney, rois du genre à cette époque. Ici, les animaux ne sont jamais filmés comme des humains mais avec une réelle ambition cinématographique. Au point d’innover aussi sur ce terrain-là : c’est ainsi dans La Fête sauvage que la technique du ralenti est utilisée pour la première fois afin de saisir courses, combats et plongeons des animaux sauvages… et ce grâce à une caméra utilisée par l’armée américaine pour filmer l’impact des bombes pendant la guerre du Vietnam. C’est également la première fois qu’un réalisateur utilise un hélicoptère pour filmer en hauteur les mouvements des différentes espèces… Le tout accompagné par la bande originale signée Vangelis.
Pablo Picasso, peintre (1981)
Après Georges Braque en 1975 et avant Jacques Brel en 1982, Frédéric Rossif se lance dans le portrait d’une figure essentielle de la culture, Pablo Picasso dont on s’apprête alors à célébrer les 100 ans de la naissance. Deux documentaires lui avaient été consacrés de son vivant : Le Mystère Picasso d’Henri-Georges Clouzot en 1955 et Le Regard Picasso de Nelly Kaplan en 1967. Avec Pablo Picasso, peintre, Frédéric Rossif cherche à replacer la vie et l’œuvre du peintre dans l’histoire du 20ème siècle. Pour cela, il remonte aux sources de ses inspirations, de Malaga où il est né, à Paris où il a vécu en passant par Barcelone où il a débuté mais aussi Guernica, Vallauris, Antibes, Vauvenargues… On voit aussi Picasso au travail et des artistes comme son compatriote Miró expliquer en détails l’influence qu’il a eue dans leurs propres créations.
De Nuremberg à Nuremberg (1989)
« J’ai conçu ce film pour réveiller les mémoires ». Ainsi s’exprime Frédéric Rossif lors de la diffusion de ce documentaire monumental qui connaîtra deux versions : l’une de trois heures, l’autre de quatre heures. Dans une époque où, en France comme dans beaucoup de pays d’Europe, l’extrême-droite semble gagner du terrain, il entend raconter à travers un minutieux travail d’archives et l’apport de plusieurs historiens (Marc Ferro, Annette Wieviorka...) l’histoire du fascisme nazi. Des premiers rassemblements de masse nazis de Nuremberg en 1933 jusqu’au célèbre procès accueilli par le tribunal de cette ville en 1945. Considéré aujourd’hui comme un film de référence, il fut longtemps mis de côté par Antenne 2, la chaîne à laquelle Rossif l’avait proposé. D’abord par peur d’être accusée de sortir de sa neutralité en pleine campagne présidentielle de 1988. Puis en expliquant que le thème du nazisme n’était pas à la mode. Aujourd’hui encore De Nuremberg à Nuremberg est étudié dans les écoles. Ce sera l’ultime film de Frédéric Rossif qui s’éteindra le 18 avril 1990 à 67 ans.