L’Equipage d’Anatole Litvak (1935)
En 1918 un jeune aviateur rejoint le front et découvre la vie des seigneurs de l’air au moment où le conflit est sur le point de s’achever. Joseph Kessel a 25 ans lorsqu'il publie, en 1923, L'Équipage, son deuxième roman. Ecrit en seulement trois semaines il puise dans ses souvenirs de pilote de guerre et le roman s’impose très vite comme un triomphe littéraire. Porté une première fois à l’écran par Maurice Tourneur en 1928, cette version muette du roman de Joseph Kessel avait connu un beau succès à sa sortie. Pour la deuxième adaptation, sept ans plus tard, Kessel décide de s’investir un peu plus dans la production et il participe étroitement à l’écriture du scénario avec le réalisateur Anatole Litvak. Le film est un beau récit d’aventure, qui transpire l’esprit d’équipe (une constante chez Kessel) et où l’on sent à chaque instant le sens du rythme de Litvak qui impulse aux séquences aériennes une ampleur rare dans le cinéma français de l’époque. Perfection technique, sentiment constant d’aventure, et refus des concessions psychologiques : le film est une réussite qui exprime la richesse de l’univers kesselien.
Au grand balcon d’Henri Decoin (1949)
Kessel ne fut pas seulement adapté au cinéma. Il écrivit également des scénarios originaux. Comme ce Grand Balcon, inspiré par des épisodes de la vie de Jean Mermoz son ancien camarade de vol qui raconte la vie des pionniers de l’aviation. On y suit surtout Carbot (incarné par un Pierre Fresnay flegmatique) qui veut développer les liaisons aériennes civiles et postales, repoussant les limites humaines et techniques. Au grand balcon brosse l'histoire de pionniers en lutte contre les éléments, et dont la foi en leur mission permettra le développement des lignes transatlantiques. La mise en scène d’Henri Decoin, remarquable, saisit ces héros dans leur intimité, entre les expéditions et leur quotidien turbulent au sein d’une petite pension de famille. Comme les meilleurs romans de Kessel, il s’agit d’une histoire d’hommes, traitée simplement, humainement, sans effets de grandiloquence.
Le Lion de Jack Cardiff (1962)
C’est l’un des romans de Kessel les plus connus : l’histoire d’une amitié impossible entre une gamine expatriée en Afrique et un lion. Evidemment, l'animal n’est qu’un miroir (une métaphore) de la relation entre l'homme et une entité plus puissante (le destin ? Dieu ? la Nature ?). Mais cette relation est aussi le catalyseur de problèmes plus durs. C’est là-dessus que le réalisateur Jack Cardiff choisit d’insister : la relation entre cette gamine et ses parents divorcés est l’enjeu dramatique du film. Pourtant, Cardiff ne s’appesantit pas sur les déboires du couple ou de l’enfant. Comme Kessel, il privilégie le voyage et les paysages ; son film devient un voyage en terre kenyane, à la découverte de sa richesse. Le spectateur découvre la beauté des impalas, les charges de rhinocéros et on se laisse transporter et immerger au cœur d’un univers inconnu mais fascinant, enveloppé par une mise en scène magnifique qui traduit admirablement le style lyrique de Kessel. Un conte initiatique porté par William Holden et Capucine.
L’Armée des ombres de Jean-Pierre Melville (1969)
Melville rend hommage à la Résistance en puisant dans ses souvenirs personnels et surtout dans un livre de Joseph Kessel écrit en 1943. Kessel avait imaginé un récit déstructuré, fabriqué comme un patchwork d'émotions et d’histoires mélangeant fiction et autobiographie. Melville signe une œuvre rigoureuse, cristalline. On suit les destinées de plusieurs personnages, Gerbier (Lino Ventura), Mathilde (Simone Signoret), "Le Bison" (Christian Barbier) et "Le Masque" (Claude Mann), qui, mises bout à bout, deviennent une terrible leçon de ténèbres. Refusant le spectaculaire de glorieux faits d’armes, le cinéaste raconte l’effacement de l’individu devant la tâche qu’il doit accomplir. Cette entreprise de démystification de la Résistance et de ses hommes de l’ombre montrait un quotidien où chacun devait se cacher, attendre, fuir, et parler le moins possible. Un cauchemar éveillé. Melville avait choisi de transposer les codes du film policier pour donner plus de force à son récit et il s’appuya sur une distribution parfaite - Lino Ventura décroche l’un de ses rôles les plus forts et Simone Signoret impressionne dans un personnage inspiré par Lucie Aubrac.
Belle de jour de Luis Buñuel (1976)
C’est le roman polémique de Kessel, le parcours d’une jeune bourgeoise mariée, tenaillée par son désir de luxure et ses engagements. La sortie en 1928 fut un scandale et obligea l’auteur à s’expliquer dans une préface (« je voulais montrer le divorce terrible entre le cœur et la chair, entre un vrai, immense et tendre amour et l'exigence implacable des sens »). Près de 50 ans après sa sortie en librairie, Luis Buñuel adapte le livre et donne à Catherine Deneuve le rôle titre. Buñuel et son scénariste attitré Jean-Claude Carrière s’emparèrent du roman pour mieux le déconstruire et le densifier. Allant au-delà du portrait de cette bourgeoise masochiste, ils rajoutaient du mystère et de l’ironie au texte original (avec notamment l’intrigante petite boîte qu’un client asiatique apporte au bordel). Résultat : un sommet de cinéma vénéneux et psychanalytique. Et l’un des plus beaux films du cinéaste, même s’il confia un jour que « Belle de jour fut peut-être le plus gros succès commercial de ma vie, succès que j’attribue aux putains du film plus qu’à mon travail ».
La Passante du Sans-Souci de Jacques Rouffio (1982)
A Paris, en 1981, Max Baumstein, président du Mouvement de solidarité internationale, abat l’ambassadeur du Paraguay. Pour expliquer son geste à sa femme, il décide de lui relater son enfance détruite par les nazis et sa passion pour une femme, Elsa... C’est à la demande de Romy Schneider, que Jacques Rouffio et Jacques Kirsner, adaptent le roman de Joseph Kessel. La Passante du Sans-Souci, baptisé d’après le nom d’un bistrot parisien où se retrouvaient les émigrés allemands, fut publié en 1936 et préfigurait l’horreur nazie à venir. Dans le livre, Elsa Wiener, exilée à Paris avec un jeune garçon juif, faisait tout son possible pour libérer son époux enfermé dans un camp. Rouffio imagine une adaptation liée aux tragédies contemporaines. Il part du présent (les années 1980), pour remonter le fil du passé, et rappeler que si les fascistes ont désormais de nouveaux visages, les méthodes sont les mêmes. Au-delà du message, La Passante du Sans-Souci est une œuvre déchirante parce qu’il s'agit du dernier rôle de Romy Schneider, qui disparaît un mois après la sortie du film. Un chant du cygne pour celle qui imposa une dédicace « À David et son père ». David, c’est son fils, décédé avant le début du tournage, à seulement 14 ans et son père, c’est Harry Meyen, Juif allemand et ancien déporté. On comprend mieux la puissance incandescente de l’interprétation de l’actrice, qui passe de la peur au chagrin, sans jamais se départir d’un courage admirable.