Qu’est-ce qui a poussé la CST à créer son prix au Festival de Cannes voilà déjà soixante-dix ans, en 1951 ?
Simplement l’envie des techniciens de faire reconnaître leur travail au cœur d’un événement aussi essentiel que Cannes. Ce prix a d’ailleurs fait partie du palmarès officiel du festival pendant très longtemps et j’espère qu’il le sera de nouveau dans le futur car je sais Thierry Frémaux très attaché à son existence. Il avait pris pour nom le prix Vulcain en 2003, mais il y avait quelque chose de trop peu lisible et d’un peu trop viril dans cette appellation. Voilà pourquoi on l’a rebaptisé prix CST de l’artiste-technicien en 2019. Une année où les femmes se sont d’ailleurs largement imposées : Flora Volpelière pour le montage des Misérables de Ladj Ly, et Claire Mathon qui a reçu une mention spéciale pour la photographie d’Atlantique de Mati Diop et de Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma.
Comment se constitue le jury chargé de faire son choix parmi tous les films présentés dans la compétition cannoise ?
Il existe une base immuable sur laquelle on s’appuie : on réunit chaque année un étudiant ou une étudiante en cinéma (Fémis ou Louis-Lumière), un ou une membre des Industries techniques (en 2021, la directrice de la photographie Pascale Marin), un réalisateur ou une réalisatrice (en 2021, Lucien Jean-Baptiste), un producteur ou une productrice et des représentants de nos partenaires. Cette année, en plus d’un exploitant de cinéma itinérant (Julien Poujade) et du président de Poly-Son, Nicolas Naegelen, j’ai aussi eu envie de faire appel à Véronique Le Bris, la journaliste fondatrice du prix Alice Guy. Cette diversité de professions me paraît essentielle au débat. J’avais moi-même été jurée en 2017, l’année où j’avais présenté hors compétition sur la Croisette 12 jours de Raymond Depardon (dont elle était à la fois la productrice et l’ingénieure du son). Or, dans ce jury, j’étais la seule femme ! Corriger ce déséquilibre fut dès lors pour moi une évidence. Quand on m’a proposé d’être vice-présidente de la CST, ce fut l’un de mes premiers souhaits. Et, depuis, on a toujours eu un jury paritaire.
C’est dans cette même logique qu’a été créé cette année le prix de la jeune technicienne de cinéma ?
Cette idée est née d’un constat – la sous-représentation des femmes dans la CST (la première association française de techniciens du cinéma et de l’audiovisuel) – et du désir de changer les choses en mettant en valeur les femmes techniciennes pour inciter un maximum d’entre elles à venir réfléchir avec nous sur nos métiers et l’évolution des technologies à l’intérieur de ceux-ci. Pour cela, j’ai proposé de mettre en avant les jeunes femmes techniciennes trop souvent sous-valorisées avec la création de ce prix temporaire uniquement centré, lui, sur les films français présents à Cannes, en compétition, hors compétition et dans les sections parallèles. Soit 32 longs métrages en tout. On a passé au peigne fin les génériques pour trouver les candidates et le bilan est éloquent : si on compte 100 % de femmes au poste de chef costumier et 50 % au montage, il y en a seulement 30 % en chef déco, 41 % à la réalisation, 16 % à l’image, 10 % au son. Et ce, avant même de parler d’un critère d’âge.
Quel est le critère d’âge pour ce nouveau prix ?
Avoir moins de 35 ans. Car j’avais moi-même moins de 35 ans quand j’ai eu mon premier film en compétition à Cannes en tant que chef opératrice du son (La Captive du désert de Raymond Depardon en 1990). Mais cette année, aucune femme ne remplit ce critère à la déco. Les candidates aux prix seront en fait uniquement issues de l’image (une) et du son (deux). Et seuls deux films français présents à Cannes cette année ont employé des femmes chefs de poste de moins de 35 ans ! En créant ce prix, l’idée était aussi de pointer mathématiquement ce déséquilibre que nous pressentions de l’intérieur, quand beaucoup pensent que les choses ont énormément changé.
Or s’il y a beaucoup d’assistantes à la réalisation et de jeunes femmes en postproduction, on n’en retrouve quasiment aucune en chef de poste. Et au son, c’est catastrophique. En fait, rien n’a vraiment évolué depuis 1986 (où elle est devenue la première femme chef opératrice du son au cinéma en France en travaillant sur Le Rayon vert d’Éric Rohmer). Mais on voulait dresser ce constat positivement, à travers un prix, car on sait l’importance des symboles et des modèles pour créer des vocations. Et puis, il ne faut pas oublier que les films présents à Cannes cette année ont été pensés en 2018 et financés en 2019, avant que les mesures du CNC pour la parité ne deviennent effectives. Forcément, Cannes 2022 sera différent. Ce prix de la jeune technicienne sera annoncé en même temps que le prix de l’artiste-technicien, le samedi 17 juillet, jour du palmarès. Et ces deux trophées seront décernés lors d’une soirée spéciale à Paris en octobre.
Quel sera le jury chargé de désigner la lauréate du prix de la jeune technicienne de cinéma ?
On sera deux : Angelo Cosimano, le président de la CST et moi-même. Un jury paritaire donc ! Et Raymond Depardon offrira à la gagnante un tirage de collection.