Comment est né ce documentaire en VR ?
En 2018, un an après la création d’Atlas V, Mike Brett et Steeve Jamison, les cofondateurs de la société de production anglaise Archer’s Mark avec qui j’avais coproduit l’expérience Notes On Blindness (2016) – qui plonge le spectateur dans la peau d’un aveugle –, nous sollicitent pour imaginer une expérience commune en VR sur le risque nucléaire. À l’époque, l’université américaine de Princeton en collaboration avec Games For Change (G4C), une ONG qui finance des projets de jeux vidéo ou XR « à impact », souhaite mettre sur le devant de la scène ce sujet qui intéressait peu le grand public. Nous réfléchissons donc à la meilleure manière d’aborder la question. Nous récupérons des milliers de datas auprès des chercheurs du Nuclear Futur Lab de Princeton, mais ces chiffres restent abstraits alors que l’humanité est déjà en sursis. Nous décidons de privilégier le récit humain. Grâce aux contacts noués sur leur film Next Goal Wins tourné à Hawaii en 2014, Mike Brett et Steeve Jamison entendent parler de l’alerte au missile nucléaire envoyée par erreur aux Hawaiiens le 13 janvier 2018. Ils partent documenter l’histoire sur place. Ils rencontrent l’activiste Jamaica Heolimeleikalani Osorio, devenue par la suite coscénariste du projet. Elle a contribué à remettre en perspective ce récit en partie lié à l’histoire du colonialisme. Pierre Zandrowicz et moi-même sommes principalement intervenus sur la direction artistique et la structure narrative de l’expérience. En effet on ne scénarise pas une œuvre VR comme un film classique.
Justement, est-ce le scénario qui s’adapte à la technique ou l’inverse ?
Au sein d’Atlas V, notre position est claire : l’histoire doit passer avant tout. Dans cette perspective, nous avons d’abord écrit l’intégralité du script. Ensuite, nous avons storyboardé l’ensemble du projet avant de passer à l’étape du layout – une version schématique des scènes – afin de tester la faisabilité des différentes scènes. Après seulement, nous avons réadapté, voire supprimé certaines qu’il nous semblait impossible à rendre en réalité virtuelle. On the Morning you Wake (to the end of the World) mélange les techniques de l’animation et du jeu vidéo. Je pense notamment à l’itération (ndlr : tester différentes versions du projet), un processus assez chronophage à coordonner entre des équipes externes, que nous avons emprunté au développement des jeux vidéo.
Comment avez-vous recréé les scènes et les personnages ?
Nous devions voyager à Hawaïi pour scanner en 3D les témoins et réaliser d’autres interviews. Mais la pandémie de covid-19 en a décidé autrement. Nous avons employé alors la même méthode utilisée sur Notes on Blindness : partir des rushes audios des entretiens réalisés finalement par téléphone, avant de recréer l’ensemble de l’univers grâce au procédé de photogrammétrie et de vidéogrammétrie – reconstituer des espaces, ou capter des personnages en 3D sur la base de scans. Il fallait conserver la véracité des témoignages, c’était un aspect fondamental. Pour « recréer » les témoins, nous avons cherché des comédiens qui appartenaient à la communauté hawaïenne. Londres en abrite une. Nous avons donc fait rejouer les scènes à notre casting. Les acteurs devaient être capables de « jouer » le texte en playback sur le son des entretiens audio préalablement réalisés. La ville héberge aussi un studio de capture volumétrique, Dimension, dans le nord de Londres qui permet de restituer des scènes vidéo en 3D. Nous avons pu réaliser une partie du projet là-bas. La capture volumétrique est l’une des techniques qui permet d’avoir le rendu cinématique le plus performant dans la mise en scène et dans le jeu des personnages.
De quelle manière avez-vous travaillé visuellement le propos du documentaire ?
En début d’expérience, nous avons privilégié un traitement plutôt photoréaliste, puis durant toute la durée de l’alerte, nous avons opté pour une esthétique plus évanescente (nuages de points lumineux, effets de particules…). Le plus important était de ne pas sacrifier le regard d’auteur, en l’occurrence celui de Jamaica Heolimeleikalani Osorio, par la technique. Nous avons pris le parti de scénariser un événement passé à travers un récit choral dans un registre documentaire certes, mais sans verser dans le photoréalisme pur, sans tomber dans l’aspect jeu vidéo dramatique. On the Morning you Wake (to the end of the World) est une œuvre entre réalisme et onirisme. Le traitement visuel des thèmes du souvenir, de la mémoire, de l’identité est récurrent dans notre travail chez Atlas V. Il y a d’ailleurs peut-être matière à entamer une psychanalyse collective (Rires).
Quels défis spécifiques pose la réalité virtuelle ?
On the Morning you Wake… est un projet de 38 minutes divisé en 3 chapitres. Faire tenir 38 minutes de capture volumétrique dans une plateforme mobile comme le casque Oculus Quest 2 a été un défi technique, relevé en collaboration avec les ingénieurs du studio Novelab. Les fichiers sont très lourds et leur intégration en postproduction n’est pas évidente à manier. L’autre problématique a résidé dans l’impact de notre expérience sur le public. Quel rôle avoir en réalisant cette expérience sur une plateforme, Oculus Store, encore peu fréquentée par les utilisateurs ? L’une des raisons qui nous a poussés à investir ce genre de plateforme, c’est l’ambition de s’adresser à une audience jeune, celle qui aura à résoudre le problème de la menace nucléaire ou encore du changement climatique. Chez Atlas V, notre crédo est de faire dialoguer regards d’auteurs et outils technologiques. Comment raconter un récit politique et social avec la technologie, et par là même, comment créer un rapport différent à l’œuvre ? La VR est une industrie à la frontière de l’animation, du jeu vidéo et de la production audiovisuelle classique. Les femmes et les hommes qui évoluent dans ce secteur sont les créateurs des œuvres audiovisuelles des dix prochaines années. Et c’est par l’expérimentation constante que nous arriverons à créer des œuvres novatrices.
L’exploration du métavers s’inscrit donc comme la suite logique à votre travail ?
Je vois le métavers comme la version sociale de la VR. Explorer toutes les possibilités permises par ces plateformes nous intéresse afin d’imaginer le développement du champ créatif de la réalité virtuelle. Chez Atlas V, nous avons démarré notre activité dans la réalité virtuelle avec des œuvres unitaires (courts ou longs métrages), ensuite nous avons cherché à développer des formes sérielles, à l’image récemment de Missing Pictures. Nous envisageons les projets sur les métaverses comme des programmes de flux. Ils n’ont pas forcément de valeur catalogue ou patrimoniale, mais ils permettent de mutualiser les ressources et de développer de la R&D sur de nouvelles plateformes. Nous fonctionnons désormais comme un « groupe média immersif » avec trois entités : la société de production Atlas V, le studio Albyon et la filiale de distribution Astrea. Nous n’arrêterons jamais d’explorer les limites de la création. Et notre objectif est d’avoir le plus de moyens possibles pour le faire.
On the Morning you Wake (to the End of the World) a reçu le prix de la meilleure expérience VR au South by Southwest (SXSW) 2022.
On the Morning you Wake (to the End of the World)
Un documentaire en réalité virtuelle et augmentée de Mike Brett, Steve Jamison, Arnaud Colinart et Pierre Zandrowicz
Production?: Atlas V, Archer’s Mark, VR For Good META, Studio Novelab, Games for Change, Princeton University’s Program on Science and Global Security
Disponible en réalité virtuelle sur la plateforme Oculus Quest et en format 16/9 sur arte.tv et Youtube.
Soutien du CNC : Fonds d’aide aux Expériences Numériques (Aide au développement, Aide à la production), Aide à la création visuelle ou sonore (CVS).