Comment est née l’idée de Mechanical Souls, produit par les Français de Digital Rise et DVgroup ainsi que par les Taïwanais de Serendipity Films Ltd. ?
Avec ma co-auteure L.P. Lee, nous voulions explorer l’histoire dans un format qui allait soutenir son contenu. Nous n’étions pas certaines du format à suivre même si je savais que je voulais que ce soit une histoire interactive de façon « inconsciente » : dans mon expérience, lorsque le spectateur fait un choix dans une histoire interactive, il sort de l’immersion. Je voulais donc que ses choix se fassent de manière inconsciente. J’ai rencontré par hasard François Klein de Digital Rise dans une convention à Londres. Il était en train de créer un studio VR et j’ai trouvé que c’était le bon format pour cette histoire inspirée d’une nouvelle écrite par L.P. Lee.
Chaque spectateur va-t-il vivre un parcours différent ou suivre une trame commune ?
Il y a une trame narrative principale : chaque spectateur va voir la même scène d’introduction et de conclusion. Ce qu’il se passe entre va varier selon son intérêt. On utilise un système qui analyse le regard et le mouvement de tête de chaque personne pour voir quel personnage l’intéresse le plus : elle va donc suivre celui-là. Chaque utilisateur verra des scènes distinctes et par conséquent, comprendra le final de manière différente. Certains vont suivre le même personnage pendant toute l’expérience, d’autres vont changer de point d’intérêt à chaque scène. Mais nous avons fait en sorte qu’il y ait une logique narrative et chronologique dans toutes les options qui se présentent.
Ce dispositif demande donc une grande flexibilité du scénario.
Oui, nous avons beaucoup travaillé les possibilités d’interaction et d’adaptation pendant la préproduction. Mechanical Souls est le pilote d’une série de 7 épisodes de 13 minutes environ. Pour prendre en compte l’interactivité et les différents choix à faire, il y a 40 minutes de contenu pour chaque épisode. En accumulant les minutes de ce projet, on fait un très long long métrage.
Quelles étaient les contraintes de réalisation de la VR ?
C’est forcément très différent de la réalisation classique. Il était intéressant pour moi de déconstruire ce que je savais de la réalisation, de vraiment réfléchir à ma technique de mise en scène et de ne plus travailler par automatisme. Personnellement, je préfère être dans la même pièce que mes acteurs pour regarder ce qui se déroule sous mes yeux. Pour Mechanical Souls, j’ai dû regarder depuis un écran et un casque VR, ce qui m’a distanciée du contenu. Mais je découvrais en même temps ce que le spectateur allait voir et comment il allait réagir.
Vous avez tourné en 360 degrés. Savoir que le spectateur peut regarder partout oblige-t-il à soigner le moindre détail ?
Dans un court métrage traditionnel, on sait ce que le spectateur va voir : il aura un champ de vision délimité par le cadre et la focale de l’objectif (la distance entre le capteur de l’appareil et le centre optique ndlr) même si nous construisons quand même un univers riche en détails pour créer un monde stimulant. Pour un film VR, il faut penser à tout ça sans avoir le luxe de pouvoir vraiment cadrer le regard du spectateur. Il faut donner de quoi le stimuler sans pour autant le distraire car il doit se concentrer sur l’action principale. Il faut trouver un équilibre car nous devons aussi éviter de lui donner l’impression qu’il est en train de rater quelque chose s’il ne regarde pas continuellement autour de lui.
Mechanical Souls est votre première création en réalité virtuelle. Comment vous êtes-vous adaptée aux spécificités de la VR ?
J’ai regardé pas mal d’expériences pour tenter de voir ce qu’allait ressentir le public et pour mieux comprendre comment mener la mise en scène. J’ai aussi travaillé avec une équipe rodée en VR. Par instinct, je veux souvent concentrer l’attention du spectateur avec des plans serrés. Mais c’est beaucoup plus difficile à faire en VR : les acteurs ne pouvaient pas se rapprocher trop près de la caméra car sa focale était plus limitée que d’habitude. Il y a donc un périmètre d’un mètre autour de la caméra où l’image n’est pas capturée. Il faut prendre ça en compte.
Un dispositif interactif pour entrer dans l'histoire
Présentée dans le cadre du Sundance New Frontier, l’expérience Mechanical Souls était accompagnée d’une « pièce immersive pour faire entrer le spectateur dans l’histoire dès qu’il rentrait dans l’espace de présentation ». « J’ai réalisé cette pièce avec deux acteurs américains rodés en improvisation », précise Gaëlle Mourre qui souligne que ce dispositif permettait au public d’être « déjà dans l’histoire avant de mettre le casque VR ».