Pourquoi l’idée d’un métavers entièrement dédié au spectacle ?
Je vais essayer de faire court ! (Rires.) J’ai une formation musicale et j’ai étudié au conservatoire plusieurs années. J’ai toujours été passionné par la culture et son accessibilité. Je considère les arts en général – et la musique en particulier – comme un langage universel. En parallèle de ma carrière professionnelle qui m’a mené notamment en Asie, j’ai été propriétaire du théâtre du Minotaure à Béziers jusqu’en 2020. J’y essayais déjà de proposer une offre culturelle à des communautés diverses, avec une programmation très éclectique, à des prix abordables. J’ai également travaillé à San Francisco en tant que vice-président monde de THX, une société appartenant au réalisateur américain George Lucas. J’y ai énormément appris sur la technologie de l’audiovisuel. L’année 2016 a marqué l’avènement des casques de VR – réalité virtuelle – pour le grand public (HTC Vive, Oculus Rift et PS VR). Et au même moment sont nés les premiers métavers, ces réseaux sociaux dédiés à la réalité virtuelle. On pouvait s’y connecter sous forme d’avatars pour vivre des expériences collectives. Une révélation. J’y vois alors le futur de l’industrie du spectacle : toutes les contraintes physiques, logistiques, budgétaires, matérielles d’accessibilité ou de disponibilité de dates peuvent voler en éclat. C’est pourquoi j’ai décidé de lancer, en 2018, la société Perpetual Emotion, qui exploite la marque VRROOM. Mon but était de créer un endroit dédié à la culture – et au spectacle vivant en particulier – pour en partager l’émotion avec le plus grand nombre. Nous avons commencé en produisant des événements virtuels dans le métavers, sur des plateformes qui n’étaient pas la nôtre. Le 10 janvier 2023, nous avons lancé notre propre plateforme. Elle va fonctionner avec deux business models : nous continuerons d’être un studio de production pour nos partenaires, mais cette fois avec notre technologie, et à partir du mois de juin 2023, nous nous ouvrirons plus largement.
De quelle façon ?
VRROOM permettra à n’importe qui de créer en quelques clics, sans avoir besoin de coder, son propre « minivers » pour y héberger son spectacle et y accueillir ses fans. Il sera possible de monétiser directement l’événement grâce à un système de billetterie intégrée ou par le biais de transactions de biens virtuels.
L’idée est donc que les artistes puissent toucher en simultané un large public, et à moindre coût…
Exactement. Pour le moment, la plateforme est encore à l’état de prototype, et nous essayons de tout peaufiner avant son lancement officiel. Nous organisons dans ce but un petit festival qui s’appelle Break Down This Walls : chaque jeudi et vendredi, sur VRROOM, nous présentons un film différent par jour, à 360°, que les gens peuvent regarder seuls ou à plusieurs. Et tous les samedis et dimanches, on propose un DJ set.
Votre plateforme est pour l’instant connue pour les performances musicales qui s’y déroulent. Visez-vous tous les secteurs de la culture ?
Nous jouissons d’une certaine réputation dans la musique grâce à plusieurs de nos concerts qui ont eu beaucoup de retentissement, en particulier ceux organisés avec Jean-Michel Jarre [Ndlr : lequel préside la commission « création immersive » du CNC depuis septembre 2022]. Mais la plateforme touchera bien sûr à d’autres formes d’arts. Pour l’instant, la technologie actuelle a des contraintes : il est par exemple compliqué de reproduire les mouvements ultra-fluides de danseurs à travers des avatars. Et les comédiens peuvent être gênés par le manque de précision dans le rendu de leurs expressions faciales. Cependant, la technologie évolue à grande vitesse, et je pense que l’on va rapidement faire exploser toutes ces barrières.
Votre Graal serait-il d’atteindre le photoréalisme ?
Nous allons forcément y parvenir un jour. Mais en ce qui me concerne, je suis plutôt réservé sur le sujet. Pourquoi devrait-on reproduire la vie dans des mondes virtuels ? J’en note bien l’utilité pour des reconstitutions historiques ou de patrimoine, mais de mon point de vue, l’intérêt des mondes virtuels et des métavers est plutôt d’explorer des champs d’expression différents. Il s’agit de nouveaux médias ! Je ne dis pas que le photoréalisme n’est pas une bonne chose, mais il doit servir un propos artistique ou un concept. Le postulat de départ est de se demander ce qu’on peut faire dans le métavers et non dans la vraie vie. Quand on va voir un film d’animation réussi, on oublie au bout de dix secondes qu’il s’agit de personnages animés ! C’est là où le métavers peut permettre à n’importe quelle discipline d’avoir une forme d’expression qui échappe aux règles du monde physique.
Visuellement, est-il possible de parvenir à une forme d’hybridation ?
Oui, on peut avoir de la vidéo, du film 2D ou à 360°, des œuvres ou des objets en 3D, du vidéo mapping, des animations, de la musique, de la danse, du théâtre…Tout cela, en plus du gaming. L’expérience des métavers est a priori beaucoup plus « gamifiée » que les expériences culturelles de la vie réelle. Et dans le métavers, le spectateur devient « spect-acteur ». C’est une notion à prendre absolument en compte quand on créé des expériences parce que le public – et en particulier les jeunes, entre 10 et 15 ans – s’est déjà approprié ces codes. Ils sont nés avec les codes du gaming, ils ont donc tendance à s’attendre à ce que les expériences qu’ils vivent dans le métavers leur permettent d’agir sur ce qui se passe. Sur la plateforme que l’on développe, les gens vont pouvoir choisir leur propre customisation de la mise en scène, avec une action sur les jeux de lumière, les décors éventuellement, ou la manière dont se passe l’action. Et ces expériences personnalisées seront évidemment partageables sur les réseaux sociaux. On note de plus en plus une volonté du public d’ajouter sa propre touche à son expérience. Cette tendance va s’amplifier.
L’expérience dans le métavers pourrait-elle se rapprocher de celle vécue en « physique » ?
La plupart des gens qui ont déjà expérimenté une performance culturelle dans le métavers – équipés d’un casque de VR, accompagnés d’avatars avec qui interagir directement – oublient rapidement l’idée d’isolement qu’ils pouvaient avoir au départ. On arrive en grande partie à recréer l’émotion éprouvée collectivement face au spectacle vivant. Je ne dirais pas complètement, puisque on possède cinq sens. Et avec la technologie actuelle, il y a encore des points à améliorer, mais l’émotion de l’artiste réussit à transpirer dans le métavers.
Quelles sont vos ambitions sur les prochaines années ?
Elles dépendent de l’évolution de la technologie. Plus elle ira vite, plus on pourra se permettre d’avoir des ambitions délirantes. (Rires.) Il y a bien sûr l’envie de combiner mondes physiques et numériques avec des spectacles hybrides. C’est ce qu’on appelle la réalité mixte. Là, je vise le moyen terme. L’idée est de pouvoir se retrouver dans un endroit physique, où l’on peut ressentir l’émulation entre les gens, tout en portant des lunettes légères de réalité mixte. Elles permettront soit de superposer des objets 3D sur l’environnement, soit de le transformer ou encore de l’occulter… On peut imaginer être dans une boîte blanche où tout le monde porte ces lunettes : on se voit, et subitement tout le décor change et l’on est transporté dans un monde complètement différent. C’est un peu le Saint Graal du métavers. Et bien sûr, il serait formidable de pouvoir intégrer les autres sens comme l’odorat et le goût. Mais cela n’est pas pour demain. (Rires.)
En quoi est-ce important de créer un métavers franco-européen ?
Jusqu’à présent, les plateformes de métavers sont plutôt américaines, ou du moins étrangères. Et il y a d’énormes enjeux – presque civilisationnels – à développer des plateformes franco-européennes. Déjà pour s’assurer de la diversité de la création et échapper aux règles instaurées par les plateformes étrangères. Sur VRROOM, il y aura évidemment de la modération, mais nous allons essayer d’être plus inclusifs et permissifs. Et nous voulons également mettre en avant les productions des pays tiers. Soit émergents, soit de l’Europe. Il y a aussi le défi de l’intelligence artificielle et de la traduction. Nous fonctionnons déjà en anglais et en français, mais notre objectif est de rendre notre métavers accessible au plus grand nombre de locuteurs possible. Nous souhaitons proposer une traduction simultanée entre avatars. Nous tâcherons de ne pas passer par l’anglais comme langue intermédiaire – comme c’est souvent le cas ailleurs – mais plutôt de travailler avec des IA qui pourront traduire directement de langue à langue, pour éviter de formater les messages à travers une pensée anglo-saxonne.
Le projet bénéficie du soutien du CNC.