Quelle est la genèse de Creative Seeds ?
Camille Campion : L’école existe depuis 2016, avec une première rentrée en 2017 et un projet en gestation depuis 2014. Pour la plupart, nous venions de Paris, avec l’envie de quitter la ville et de nous rapprocher de l’enseignement. J’enseignais déjà dans plusieurs structures, notamment à l’université de Grenade en Espagne où je suis resté trois ans. À mon retour en France, j’ai continué à donner des cours ici et là, ce qui m’a permis de réfléchir à la pédagogie. J’ai constaté qu’elle se résumait souvent à « qu’est-ce qu’on enseigne », « combien de temps » et « par qui », alors que je voulais aller sur le « comment », passer en revue les modalités et les choix pédagogiques. Nous avons démarré à sept associés, aujourd’hui nous sommes une vingtaine. Notre particularité est d’avoir créé une équipe d’artistes en coopérative, avec une gestion totalement démocratique et horizontale. Nous avons une logique qui mélange l’association, la coopérative et l’entreprise. Les employés peuvent devenir associés au bout d’un an et nous touchons tous le même salaire.
Comment s’organise concrètement la formation que vous proposez ?
Nous fonctionnons avec une pédagogie inversée. La connaissance est à disposition quand les élèves en ont besoin via des tutoriels faits sur mesure qui correspondent aux enjeux de chaque année de spécialité. Le rôle du professeur n’est plus de donner des master classes, mais d’accompagner les élèves qui peuvent avancer à leur rythme. Le système de l’école s’inspire beaucoup des méthodes Montessori et Freinet. Nous avons rompu avec le système traditionnel où l’on passe sans cesse d’une matière à l’autre. Cette façon de connecter et déconnecter n’est pas naturelle et ne correspond pas à la réalité professionnelle. La journée type d’un étudiant à l’école n’est pas la même toute la semaine : nous pouvons travailler pendant deux semaines sur un même projet, avec quelques coupures ponctuelles, notamment l’anglais que nous relions souvent au sujet principal. Comme chez Montessori, nous n’attribuons pas de notes. Nous avons un système d’évaluation par acquisition de compétences qui prend en compte quatre aspects, dont le professionnel et le comportement social. Tout le travail se fait à l’école, il n’y a pas de devoirs à la maison, l’école est accessible et chaque étudiant dispose de son propre poste pour se former dans un environnement professionnel optimal.
Quel est l’apport du plan France 2030 « La grande fabrique de l’image » dans votre développement ?
Le projet de transformation de l’école Creative Seeds en un lieu culturel et support de notre industrie dans la métropole n’est pas nouveau. Nous avions déposé un projet auprès de la ville de Cesson-Sévigné et de Rennes Métropole il y a six ans pour un lieu qui devait mélanger des acteurs professionnels, des associations et notre école pour mutualiser des équipements. Les élus et les équipes de Territoires Rennes Métropole, convaincus par notre démarche, ont soutenu et encadré le projet. Le coût immobilier est en partie absorbé par le promoteur qui a pu faire une péréquation économique grâce à la construction d’une résidence étudiante à côté de l’école. Le contexte était parfait – l’apport de France 2030 nous a permis d’accélérer de trois à quatre ans la réalisation d’une partie de nos projets et surtout d’en développer de nouveaux plus ambitieux encore !
Comment se concrétise ce développement ?
Nous sommes passés de 800 à 4 000 mètres carrés dans un nouveau lieu à Cesson-Sévigné, face à la nouvelle ligne de métro. C’était une volonté de la Ville d’amener un acteur de la culture dans ce quartier. L’école occupe un peu moins de la moitié des espaces. Nous disposons d’une salle de cinéma de 100 places, d’un plateau de tournage, d’une grande cafétéria qui peut faire office de salle de concert, de lieux d’événementiels, d’un plateau entier dédié à une pépinière d’entreprises et d’associations. Nous avons en copropriétaires et partenaires trois studios de musique : La Licorne Rouge, Casoar et OVF, qui possèdent quatre cabines et quatre régies d’enregistrement. France 2030 nous permet de financer l’équipement et d’accélérer nos recrutements – nous sommes passés d’un à sept recrutements sur l’année. Ce financement nous accompagne sur quatre ans, très fortement la première année, un peu moins la suivante, et ainsi de suite, jusqu’à la pérennisation de notre modèle économique.
Quels nouveaux projets développez-vous grâce au plan France 2030 ?
Nous créons une nouvelle section orientée game design et développement, pour des profils qui auraient hésité entre une école d’ingénieur et une école de jeu vidéo et animation. Ce ne sont pas des profils artistiques au sens de la création d’image, mais plutôt des étudiants intéressés par le développement technique, la programmation et les mécaniques de jeu et d’interactivité. Nous avons créé un groupe de travail sur l’intelligence artificielle, « Creative Machine ? », qui fonctionne très bien, dont la mission est de questionner les usages et les impacts de l’IA générative dans les industries culturelles et créatives. Nous sommes près de 700 personnes sur Discord, avec une quinzaine de bénévoles actifs qui se réunissent en visioconférence les mercredis. Nous avons organisé notre premier événement en avril 2024 pendant le Festival national du film d’animation de Rennes, avec une journée de conférences et un hackathon de deux jours. Nous développons également le périscolaire et l’acculturation auprès du jeune public. Nous travaillons notamment avec le lycée Chateaubriand de Rennes pour construire ensemble une section cinéma-images animées. Nous sommes aussi en partenariat avec l’université de Rennes et son pôle informatique (ISTIC) pour lequel nous accueillons et encadrons des ateliers en licences 1 et 2.
Creative Seeds est la seule école supérieure privée à avoir rejoint le Campus des Métiers et des Qualifications (CMQ) d’Excellence de l’Éducation artistique et culturelle (EAC) en Bretagne. Une organisation qui nous permet de développer des projets, de mettre à disposition nos équipements et compétences financés grâce au plan France 2030 « La Grande Fabrique de l’Image » à de nouveaux partenaires publics.
Comment fonctionne votre écosystème ?
Concernant les associations que nous accueillons dans nos espaces, nous proposons des loyers qui couvrent juste les charges. De leur côté, les entreprises de l’industrie culturelle et créative paient environ 60 % du prix du marché. C’est plus qu’un simple coworking : les entreprises ont des contrats de six mois, avec leurs propres bureaux et l’accès à tous les espaces communs – salles de réunion, rooftop pour événements. C’est un espace protecteur : les contrats sont courts pour ne pas piéger les entreprises si elles rencontrent des difficultés.
Nous sommes dans une logique d’écosystème. Nous accompagnons des projets en apportant locaux, matériels et compétences. Par exemple, nous développons un projet d’incubation en mettant à disposition nos équipements et notre expertise pour superviser des projets tout en favorisant le recrutement de nos étudiants sortants.
Notre approche inclut également une dimension environnementale forte. Nous allons faire une étude fine sur le coût énergétique de l’image avec les différents outils que nous utilisons, en intégrant l’IA. Notre approche écoresponsable se traduit surtout dans la gestion du matériel informatique : au lieu d’une durée de vie de 3-5 ans, notre objectif est de la prolonger à 7-8 ans en maintenant et transformant les machines en interne. Nous faisons aussi du don aux associations et aux établissements scolaires publics – les machines peuvent être obsolètes pour la 3D mais pas pour d’autres usages.
Quels sont vos résultats et perspectives ?
Le taux de placement de nos étudiants est très satisfaisant, autour de 85 % depuis nos débuts, même si comme de nombreuses écoles, l’insertion est plus difficile depuis 2023 et la crise qui frappe notre industrie. L’école est petite, mais nous avons une qualité de travaux étudiants qui est très haute – nous sommes ravis d’avoir remporté la première place du classement des Rookies dans la catégorie Animation 3D, seconde place dans la catégorie Visual Effects et 8e (2e en France) du top 50 des écoles créatives, alors que nous existons depuis relativement peu de temps.
Nous ne cessons de développer les partenariats. Sur l’IA notamment, nous avons été contactés par les élus locaux pour réfléchir à l’acculturation des jeunes publics – collèges, lycées, voire primaires. L’idée est de former des « citoyens éclairés ». L’important pour nous est de maintenir notre approche : une formation de qualité, avec une vraie réflexion pédagogique, et un modèle économique qui sert avant tout le projet plutôt que la rentabilité.