CNC : Qu’est-ce qui fait la spécificité d’Antoine Schmitt ?
Dominique Moulon : Ce que fait Antoine Schmitt, c’est de l’art contemporain digital. Sa spécificité, c’est qu’il maîtrise le médium qui lui sert à faire œuvre : il est capable de programmer. Antoine Schmitt est le plus visible en France, même s’il a conquis l’international, des artistes qui ont une véritable maitrise du langage informatique et de la programmation, ce qui lui permet de faire ses œuvres de code lui-même. Je ne dirais pas que c’est rare, mais on peut parler de génération : dans la première génération d’artistes numériques, oui ce n’est pas obligatoire. Il est capable de gérer un projet artistique avec de la programmation de A à Z et il rédige son code comme un auteur, un compositeur, rédigerait sa partition. Ce que j’aime chez lui, c’est que lorsqu’il collabore avec d’autres artistes, il le fait avec des personnes qui ne connaissent pas toujours le code. Il enrichit son vocabulaire artistique au gré des collaborations aussi bien dans le théâtre que dans la danse.
Il se distingue également par son travail autour de l’art génératif, comme 7 milliards de pixels
Il écrit une œuvre comme un compositeur. Mais bien souvent, il injecte dans son code une part aléatoire : l’œuvre peut agir, réagir, se construire d’une manière qu’il n’avait pas envisagée. Un peu à la manière, dans le groupe Fluxus, de John Cage, qui mettait des objets au plus près des cordes de ses pianos. Quand l’interprète arrivait, il avait des sons qu’il n’attendait pas. Il a une idée très précise de la création qu’il est en train de faire. Mais j’imagine que lorsqu’il fait une œuvre, il en est le premier spectateur.
Il y a une part de l’œuvre d’Antoine qui raconte des histoires. J’aime beaucoup Les Batailles/War, qui oppose deux couleurs, avec des flux de particules de couleurs différentes. C’est un peu comme si on voyait des batailles napoléoniennes de très haut. Chaque particule, point, soldat, fragment de code respecte des lois de la physique. Il y a une part d’élasticité.
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«Il a fallu une dizaine d’années pour que mon travail trouve une certaine reconnaissance », nous confiait-il. Comment s’explique cette frilosité du monde de l’art contemporain pour les œuvres numériques programmées ?
Dans les années 1990, on a vu l’apparition des installations interactives. 2000, c’est internet. 2010, c’est certainement - progressivement - l’acceptation par les institutions, comme le Centre Pompidou avec Coder le monde ou le Grand Palais avec Artistes & robots, du medium numérique par le monde de l’art et ses critiques. Il y a eu beaucoup de freins. Les curateurs, collectionneurs, galeries se sont un peu méfiés de ces artistes qui arrivaient avec des outils qui sont ceux de l’entreprise. Il y avait une certaine méfiance mais également la peur que dans dix ans, ces œuvres ne soient plus visibles si le langage du code changeait.
C’est la « simplicité » de son art et de sa vision qui vous interpelle ?
Si on oublie le numérique, on peut considérer qu’il y a une relative radicalité. Mais il arrive à faire des œuvres où il y a un concept, une idée assez forte, assez immédiatement perceptible. Des œuvres assez ouvertes pour que nous puissions nous projeter, que nous ayons une culture numérique ou non. Ses créations ont une simplicité, une immédiateté qui m’intéresse. Il y a toujours une idée, et rarement plus d’une. Pour moi, quand il y a trop d’idées, elles finissent par se polluer les unes aux autres.
Qu’est-ce qui est au cœur de son travail pour vous, le mouvement ?
Je n’ai pas à l’esprit d’œuvre d’Antoine Schmitt sans mouvement. Et le mouvement, c’est la vie.