Gaudí, l’atelier du divin propose à ses participants (jusqu’à six personnes simultanément) de plonger pendant seize minutes dans la pensée créative du célèbre architecte, mort en 1926 alors que son chef-d’œuvre, la basilique de la Sagrada Família à Barcelone, reste inachevé… L’expérience, qui fait partie de la sélection Immersive, en marge de la Mostra de Venise, qui se tiendra du 30 août au 9 septembre 2023, a reçu l’aide à la création immersive du CNC. Le directeur de Small Creative, Vincent Guttman, nous éclaire sur la conception de cette œuvre particulière au sein d’un studio qui a déjà conçu des expériences immersives variées (Ayahuasca avec Jan Kounen, Moi fauve sur un mythe animiste, Biblioquête en réalité augmentée…).
D’où vient cette création ?
Nous avons été sollicités par le studio Gédéon Programmes, qui avait recréé en 3D l’atelier de Gaudí dans le cadre d’un documentaire sur l’architecte et souhaitait savoir si cette matière nous intéressait pour créer une expérience numérique. C’est ainsi que nous avons signé la direction artistique du projet, tandis qu’ils ont amené la caution scientifique et documentaire. La collaboration a été très fructueuse. L’œuvre a été écrite par deux auteurs, Stéphane Landowski et Gaël Cabouat, qui amènent de la fiction, du poétique… Ils sont accompagnés par nos équipes de narrative design et de direction artistique. Cette nouvelle narration en VR est toujours compliquée pour des gens qui viennent de la fiction. Ils ont certains réflexes : ils font des cadres, des coupures franches… Il faut leur expliquer pourquoi ce n’est pas compatible avec ce que nous voulons proposer, à savoir une expérience et non une narration. Les spectateurs doivent vivre quelque chose. Mais les impliquer ne réclame pas forcément de l’interactivité à tout prix. Nous avons utilisé un jeu de lumière pour diriger le regard des participants vers des éléments précis de l’atelier. Cela permet aussi d’économiser de la mémoire et du temps de calcul des casques VR qui ont une capacité limitée.
Comment avez-vous travaillé les aspects sonores et musicaux ?
C’est Mathieu Lamboley (Le Tigre et le Président, Une zone à défendre) qui a composé la musique. Un comédien fait la voix de Gaudí en français et en anglais. Nous avons aussi une comédienne pour lancer l’expérience en voix off. Il a fallu traduire également en japonais et en coréen. Les versions en mandarin et en espagnol devraient suivre. Le son de Gaudí n’est pas encore parfait selon nous, on travaille avec le studio Blanktone à Lyon et le Lab Innov de Radio France. Nous aimerions que le son soit beaucoup plus large quand on pénètre dans la cathédrale. Il faudrait aussi affiner le mouvement des avatars, qui ressemblent à des bonshommes en bois. La technologie minimale que nous avons développée nous permettra de proposer à nos clients de nombreuses évolutions. En effet, si telle ou telle société achète, pour Gaudi, notre dispositif, qui est peu encombrant – sept casques, un ordinateur portable, un routeur, le tout tient dans trois valises –, elle se verra proposer un catalogue complet qu'elle pourra alors changer à loisir. Et elle pourra aussi bénéficier de prestations sur mesure que nous imaginerons.
Combien de temps a demandé le projet ?
Le temps préliminaire nécessaire à construire l’ingénierie du projet a d’abord pris quatre mois. Il a ensuite fallu près d’un an pour obtenir les financements avec la NHK [l’entreprise publique qui gère les stations de radio et de télévision du service public japonais - ndlr]. Et encore quatre mois pour tout terminer. Nous avions une date limite : il fallait rendre le projet au plus tard mi-mai à la NHK. En résumé, le financement est ce qui nous a pris le plus de temps…
Comment s’est déroulée la phase de test ?
Le prototype durait huit minutes et racontait l’essentiel. Nous avons testé si l’interaction fonctionnait, mais ça s’est avéré plutôt déceptif, et nous l’avons donc enlevé. L’interaction, ce sont les participants qui peuvent se parler entre eux, et cela est suffisant !
Quelle différence voyez-vous entre Gaudí, l’atelier du divin et Call Me Calamity, une précédente création de Small Creative consacrée à la figure de Calamity Jane ?
Gaudí fait partie d’une verticale patrimoniale. De son côté, Calamity est du théâtre immersif, le dispositif est similaire, mais il y a une actrice qui joue face aux spectateurs assis. Elle peut improviser, prendre à partie le public… Il y a aussi une version avec une Calamity Jane précalculée. Cela permet de raconter la vie de personnages mythiques. Avant tout, que ce soit pour Calamity ou Gaudí, on ne voulait pas d’une expérience VR en solo. Tout le monde enlève son casque en même temps et peut partager son ressenti, comme à la fin d’une séance de cinéma en quelque sorte.
Comment avez-vous développé le côté collectif de l’expérience ?
Le spectateur se déplace rarement seul, et vient plutôt en famille, entre amis… Il faut donc proposer une expérience collective. Il y a des médiateurs culturels sur place mais pas de techniciens. Le matériel doit donc être facile d’utilisation et l’expérience simple, rapide : c’est pour cela qu’on s’est imposé une durée de seize minutes. Cela permet de proposer des créneaux de 20 minutes en comptant l’installation et le relancement de l’expérience. La cible est un public familial. Il faut être petit, agile. C’est aussi pour cela qu’on demande un espace de moins de 50 m2, ce qui se trouve facilement dans la plupart des bâtiments. Six personnes, c’est un groupe d’amis, une famille… C’est le « modèle escape game » qui est connu et donc rassurant.
Comment s’est passée la collaboration avec la Sagrada Familia ?
Gaudí n’a pas d’ayants droit, mais nous avons collaboré avec la société de la Sagrada Familia. Le bâtiment étant inachevé, ils ont demandé à différents artistes – souvent encore vivants – de le terminer. Un artiste japonais a créé les vitraux, par exemple. Des éléments ne sont pas de Gaudí, il faut donc avoir l’accord de leurs créateurs. Ce qui peut être un peu long. Ces artistes ont testé l’expérience au Japon, dans les studios de la NHK, et l’ont adorée. Mais l’expérience n’est pas encore proposée en Espagne. Il faut trouver notamment le bon lieu et les bons interlocuteurs qui comprennent le format : c’est pourquoi nous devons faire de la pédagogie, voire de l’acculturation, en permanence. On montre le projet, on explique les modèles économiques qui vont avec, on s’adapte à l’interlocuteur : un lieu public demande un modèle adapté. Il nous semblait évident que la Sagrada allait demander cette expérience virtuelle, mais c’est un peu plus compliqué que cela. Ils ont déjà leur musée qui draine tellement de monde, et chaque année, ils reçoivent beaucoup de propositions similaires à la nôtre… Pour les convaincre, il fallait que notre projet soit terminé et surtout ne cannibalise pas la visite de la Sagrada Familia. Mais dans notre expérience, on la voit très peu et ça donne justement envie d’aller la voir !
Et au Japon ?
L’expérience a été conçue pour le musée de la NHK. En même temps, la NHK avait coproduit une exposition complète – et non immersive – sur Gaudí, qui va se déplacer à Tokyo, Osaka et Nagoya. Notre expérience va s’y intégrer. En Corée, elle était présentée en compétition au Festival international du film fantastique de Bucheon (BIFAN), et nous avons un représentant sur place qui se charge de la proposer à différentes structures. Nous n’en sommes vraiment qu’au début…
Comment voyez-vous l’état de la VR aujourd’hui ?
Les acheteurs potentiels ont attendu que la technologie soit stable. Nous ne sommes plus du tout dans l’expérimentation : l’exploitation de la VR est désormais rentable. Ça change tout. L’expérience a un coût « normal », en somme. La narration et la grammaire sont là, la technologie est là. Mais la technique ne fait pas tout. Comment créer de bons projets qui soient diffusables dans des lieux de culture ? C’est l’un de nos enjeux principaux.
Quels projets envisagez-vous après Gaudí ?
Nous voulons développer une collection patrimoniale autour de lieux possédant des éléments qui ont disparu ou changé au cours du temps et qu’on ne peut plus visiter. La prochaine expérience sera consacrée au Versailles disparu, guidé par Louis XIV, avec la ménagerie royale, le labyrinthe, la grotte de Thétys… On va proposer au public de les visiter en VR. On développe également avec What The Prod une expérience autour de Marcel Pagnol pour accompagner le film d’animation de Sylvain Chomet, Marcel et Monsieur Pagnol, qui sortira en 2025. Elle sera focalisée sur l’enfance de Pagnol en Provence, mais sans utiliser les visuels du film.