Le nom de Claudette Colvin aurait pu résonner aussi fort dans les mémoires que celui de Rosa Parks. Pourtant, ce n’est pas son acte de rébellion contre la ségrégation que l’Histoire a retenu. Le 2 mars 1955 à Montgomery dans l’Alabama, l’adolescente de quinze ans refuse de céder sa place à une passagère blanche. Quelques arrêts plus loin, le conducteur du bus intervient et fait entrer la police. Claudette Colvin est arrêtée et jugée. Neuf mois plus tard, c’est au tour de Rosa Parks de rester assise dans un bus devenant l'héroïne du mouvement des droits civiques aux États-Unis oeuvrant à l’abrogation de la ségrégation en novembre 1956.
L’autrice Tania de Montaigne s’est intéressée au destin oublié de Claudette Colvin dans son ouvrage Noire, la vie méconnue de Claudette Colvin (éditions Grasset), qui a remporté le prix Simone Veil en 2015. Avant de prendre vie sous la forme d'une expérience immersive coproduite par Novaya, spécialisée dans la création d’expériences immersives artistiques en réalité augmentée, et le Centre Pompidou – lequel accueille pour la première fois une expérience de ce type –, le livre de Tania de Montaigne a été adapté au théâtre par le scénariste et réalisateur Stéphane Foenkinos, également coréalisateur de l’oeuvre immersive avec Pierre-Alain Giraud. Tous deux ont créé ce voyage en réalité augmentée avec la volonté de transmettre l’histoire de Claudette Colvin et poursuivre l’œuvre de réhabilitation initiée par Tania de Montaigne.
Un équipement léger
À mi-chemin entre l’art et la technologie, la réalité augmentée permet d’ajouter des éléments virtuels (sons et images) à notre environnement réel sans nous en isoler. Pour vivre cette expérience immersive, il faut s’équiper. On nous arme d’un casque de réalité augmentée (le modèle HoloLens 2 développé par Microsoft) qui s’attache derrière la tête et se place devant les yeux. Les lunettes permettent de rendre visibles les hologrammes. On place également un casque à conduction osseuse autour des oreilles pour transmettre une partie du son. Cet outil permet d’envoyer des vibrations par les os des tempes pour amplifier la perception sonore. Le tout sans fil. Le matériel est léger et permet de se déplacer facilement dans la pièce. Grâce à lui, l’expérience immersive peut commencer.
Devenir témoin de l’Histoire
Il est temps d’entrer dans la salle de l’exposition. À travers le casque de réalité augmentée, on aperçoit une pièce sombre et quelques éléments de scénographie. Des bancs, un bureau, des murs, une fenêtre. Tania de Montaigne apparait au fond sur un écran. « Prenez une profonde inspiration, soufflez, vous êtes désormais à Montgomery dans l’Alabama des années 1950 ». Dès ses premiers mots, elle nous plonge dans l’histoire méconnue de cette héroïne antiségrégationniste et s’adresse directement aux visiteurs. « Désormais, vous êtes noire. Et une femme, donc moins que rien ». Les ventres se nouent en assistant à l’injustice subie par Claudette Colvin. Impuissants, les visiteurs deviennent témoins des évènements. « Il était important qu’il s’agisse de réalité augmentée et non de réalité virtuelle. La réalité augmentée est un dispositif qui permet de se placer physiquement dans l’évènement tout en restant soi-même. On est témoin, mais on garde de la distance », explique le coréalisateur Pierre-Alain Giraud.
L’exposition est conçue pour accueillir dix personnes en simultané. La scénographie est minimaliste. Des hologrammes viennent s’y ajouter au fil du récit. Les bancs deviennent les sièges du bus où Claudette est assise. L’histoire de l’adolescente défile devant nos yeux. Le bureau s’élargit, un juge y est désormais assis, Claudette face à lui. Les personnages apparaissent et disparaissent dans l’espace. On voit Rosa Parks ou encore Martin Luther King. Les visiteurs ne sont pas isolés de la réalité. Ils peuvent interagir entre eux, avec les hologrammes et les objets physiques de la scénographie. Certains s’assoient dans le bus à coté de Claudette, d’autres regardent en l’air lorsque la pluie se met à tomber. L’expérience est unique pour chacun, et différente à chaque fois.
Des technologies spécifiquement développées pour l’exposition
L’exposition, dont une partie de la production et de la post production a pu être financée grâce au CNC, a nécessité le développement de technologies adaptées. Pour proposer une haute définition et des hologrammes réalistes, il était nécessaire de créer un logiciel, un serveur et un réseau spécifiquement pour l’expérience. Un travail réalisé par Pierre-Luc Denuit, ingénieur, et Mathieu Denuit, développeur informatique. Preuve de l’ambition du projet, la société Novaya – cofondée par Pierre-Alain Giraud qui a déjà œuvré auparavant sur l’expérience Solastalgia – a été créée spécialement pour développer l'expérience « Noire ».
Pour tourner en réalité augmentée, les équipes ont utilisé la technologie de la capture volumétrique développée par l'entreprise grenobloise 4Dviews. De part et d’autre du studio modulable en fond vert, des dizaines de caméras permettent de filmer les acteurs en captation volumétrique de manière ensuite à les numériser en postproduction et en faire des personnages en 3D. Ils sont par la suite placés dans le décor de l’exposition sous forme d’hologrammes visibles grâce au casque HoloLens 2.
Transmettre l’histoire de Claudette Colvin
En parallèle du tournage, l’espace réservé à l’expérience au Centre Pompidou a été pensé pour être démontable et transportable. Le but : faire voyager l’exposition en France et à l’étranger avec le label « Centre Pompidou ». Le casque audio a également été conçu pour proposer des versions en plusieurs langues. Par ailleurs, les organisateurs visent également le public scolaire. Accessible à partir de l'âge de 12 ans, cette exposition est un moyen d’appréhender différemment l’Histoire pour des adolescents. « On peut ressentir ici l’importance de l’Histoire d’une manière assez inédite », ajoute Pierre-Alain Giraud.
À 83 ans, Claudette Colvin vit toujours en Alabama. Un livre est mis à disposition à la sortie de l’exposition pour lui écrire un message. Il lui sera remis une fois l’exposition terminée. Si l’Histoire n’avait retenu que le nom de Rosa Parks, celui de Claudette Colvin y est désormais inscrit à son tour.
Noire, la vie mÉconnue de claudette colvin
Réalisation : Stéphane Foenkinos et Pierre-Alain Giraud, d'après Noire, la vie méconnue de Claudette Colvin de Tania de Montaigne (Ed. Grasset)
Production déléguée : Novaya (Pierre-Alain Giraud, Emanuela Righi)
Coproduction Taïwan : Flash Forward Entertainment (Patrick Mao Huang)
Direction technique : Mathieu Denuit
Ingénierie système : Pierre-Luc Denuit
Soutien du CNC : Fonds d'aide aux expériences numériques