D’où vient votre goût pour la géologie ?
Lors de mes classes de SVT et biologie au lycée, j’étais l’une des rares à ne pas être dégoûtée par tout ce qui avait trait aux cailloux et à la géologie. Ces domaines avaient un intérêt tout relatif pour moi, mais j’ai malgré tout pensé que je pouvais continuer dans cette voie. Et plus je creusais le sujet à l’université – sans mauvais jeu de mots -, plus ce dernier m’intéressait même s’il n’est pas « sexy ».
Travailler dans cette voie n’était donc pas une évidence au départ ?
Depuis le lycée, je me destinais au journalisme scientifique. Mais pour atteindre ce but, il me fallait un bagage scientifique, peu importe le domaine. Je me suis donc tournée vers la géologie puis j’ai bifurqué vers la biologie car je suis revenue à la raison ! (rires). J’ai ainsi obtenu une licence en géologie puis un master en biologie-évolution et enfin un master en journalisme scientifique J’ai finalement décidé de vulgariser la géologie parce que c'est un sujet qui m'intéresse beaucoup et qui est peu connu du grand public.
Vous avez travaillé en tant que journaliste à Sciences et Avenir. Est-ce là que vous avez eu envie de décrypter la géologie sur YouTube ou est-ce votre occupation de vidéaste qui vous a ouvert les portes de ce magazine ?
J’ai mené les deux activités en parallèle. La chaîne Science de comptoir a été lancée avec deux camarades de promotion lorsque j’étais en master, et presque au même moment j’ai décroché un stage à Sciences et Avenir. Ce qui ne m’a pas empêchée de continuer mon activité de vidéaste. Je pense d’ailleurs que ma chaîne m’a permis de finalement décrocher un emploi au sein de ce magazine où j’ai travaillé avec plaisir pendant deux ans. Mon contrat s’est terminé récemment et je travaille donc désormais à temps plein pour ma chaîne YouTube. Au départ, j’étais donc journaliste de profession et vidéaste pour le plaisir. Maintenant, c’est l’inverse. Financièrement, mes vidéos ne rapportent rien. Mais j’ai l’immense chance d’avoir décroché une bourse CNC/Talent, ce qui m’a permis de me professionnaliser et d’en faire mon métier. Je suis également soutenue par des campagnes de financement participatif sur Utip et Tipeee et je fais quelques placements de produits, mais de manière vraiment anecdotique pour l’instant.
Avec vos articles, vous aviez déjà un moyen d’évoquer la science avec le public. Pourquoi avoir choisi de prolonger votre travail sur un deuxième média ?
Ce projet de chaîne YouTube me plaisait car il a été lancé en partant de rien. J’étais également ma propre chef, j’ai donc pu expérimenter éditorialement et incorporer des blagues qui ne seraient pas passées dans un article. La liberté est plus grande sur une telle plateforme même si je me permettais certains clins d’œil et traits d’humour dans mes articles de Sciences et Avenir. Réaliser des vidéos sur YouTube est enfin un exercice très complet car il faut soigner aussi bien l’audio, que le montage, le texte et les illustrations.
L’humour est omniprésent dans vos vidéos. Est-ce pour répondre aux codes de YouTube ?
Non, c’est lié à ma personnalité. Je suis vraiment comme ça dans la vie… malheureusement pour mes proches (rires). En démarrant ma chaîne, j’ai regardé plusieurs vidéos de YouTubeurs déjà bien implantés sur la plateforme. Ils affirmaient par exemple ne pas faire d’humour car c’est un diktat sur YouTube. J’ai compris qu’ils conseillaient de ne pas être drôle dans les vidéos. Mais lorsque mes amis m’ont demandé pourquoi j’étais aussi ennuyeuse sur ma chaîne alors que je ne l’étais pas dans la vie, j’ai compris que les vidéastes conseillaient en réalité de ne pas se forcer à faire de l’humour si ce n’est pas naturel pour nous. En fait, la clé était d'être authentique ! J’ai donc publié des vidéos dans lesquelles j’étais moi-même et je plaisantais beaucoup. L’accueil du public a été très favorable et cette autodérision est un peu devenue une marque de fabrique, ce qui me plaît.
Dans vos vidéos, vous évoquez aussi bien les trois grandes familles de roches que le mythe du géologue qui lèche les cailloux. Comment vulgarisez-vous de tels sujets ?
Je m’appuie sur une importante bibliographie : je me plonge dans des études scientifiques, dans des livres, articles ou vidéos déjà vulgarisés, dans les ouvrages encyclopédiques de 500 à 1000 pages que l’on trouve dans les bibliothèques universitaires, parfois uniquement en anglais… Je peux passer des journées entières à étudier ces énormes livres ! Pour l’écriture, j’essaie d’ajouter des touches d’humour et surtout de raconter le sujet comme s’il s’agissait d’une histoire écrite pour ma petite cousine. J’utilise des images, je pense à des mises en scène particulières si je suis inspirée… Je me rends aussi dans des congrès et des conférences où je trouve des idées de sujets et où je peux rencontrer des spécialistes que je recontacte parfois après. Je fais particulièrement appel à ces experts pour la relecture des scénarios : ils sont tous systématiquement relus car je veux m’assurer de ne pas dire de bêtises sur le plan scientifique. La relecture par un expert est essentielle pour moi. C’est une approche très académique, qui est d’ailleurs celle utilisée régulièrement par les vidéastes venant du monde de la recherche ou par des journalistes. C’est un gage de véracité.
Votre statut de journaliste a-t-il aidé pour renforcer votre légitimité sur YouTube ?
Il m’a effectivement aidée mais il m’a surtout permis de sortir du syndrome de l’imposteur dont souffrent certains vidéastes qui ne se sentent pas légitimes et peuvent donc avoir peur d’aller au contact des experts - une démarche que l’on apprend lors de la formation de journaliste. Mais avoir un diplôme n’est pas indispensable pour se sentir journaliste.
L'interêt des collaborations
Récemment, Valentine Delattre a collaboré avec Monsieur Phi pour une vidéo sur la philosophie baptisée « Hold up sur la conscience ». « J’avais peur que le public la reçoive mal car je changeais ma ligne éditoriale. Mais l’accueil est très encourageant et me prouve que je peux parler d’autres sujets. » Si Valentine a toujours accueilli ses amis dans ses vidéos, cette expérience à deux était nouvelle sur sa chaîne même si elle l’a expérimentée dans d’autres circonstances. « J’ai fait plusieurs collaborations pour la chaîne du Vortex d’Arte. Mélanger les points de vue sur un sujet donné m’intéressait et j’ai très envie de retenter l’expérience ».