Final Fantasy VII (1997)
Jeu de rôle japonais, Final Fantasy VII est aussi le premier de la saga à sortir en France. Le succès est énorme et la bande originale est depuis gravée dans l’esprit des joueurs.
Damien Mecheri : « Les personnages étaient profonds, touchants, et le jeu avait énormément de choses à raconter, notamment à travers la musique. Le compositeur, Nobuo Uematsu, avait déjà composé les bandes-son des précédents Final Fantasy. Ce n'est pas une révolution musicale pour lui ou pour le jeu vidéo, mais par contre c'est avec ce jeu que les joueurs ont découvert que la musique pouvait avoir une importance considérable dans l'émotion et la nostalgie. C'est un compositeur très talentueux et versatile, qui aborde différents genres et ne se limite à rien : il va passer du rock au jazz, à l'orchestral... L’idée est de coller à chaque fois à la scène, au décor ou à la situation de jeu. Il a utilisé la logique du leitmotiv, en associant un thème musical à un personnage. Et l'exemple le plus marquant pour le joueur est le thème d’Aeris, qui se fait tuer au milieu du jeu. C'est un rebondissement qui a marqué énormément de joueurs et le thème est une musique très triste, très mélancolique, qui a la particularité de continuer durant le combat qui suit le décès du personnage. On est dans la continuité émotionnelle de ce qui vient de se passer, encore sous le choc, et l’émotion se transmet dans la musique. Très souvent, les gens en viennent à citer ce thème quand on leur demande leur musique préférée du jeu. Ce n’est pas foncièrement la plus belle musique de Final Fantasy VII, mais elle est associée à quelque chose de très fort. La bande originale du jeu tient sur quatre CD, pour plus de quatre heures de musique... Dernièrement, un remake de Final Fantasy VII est sorti, une sorte de réinvention de la première partie du jeu. Et il y a tout un travail qui permet une mise en perspective de l'évolution de la musique de jeux vidéo, au moins vis-à-vis du jeu de rôle japonais. Désormais, la musique évolue en temps réel en fonction de la situation de jeu, il y a plusieurs variations. Le tout bascule instantanément, de manière très fluide, en fonction de la situation. En fait, on personnalise l'expérience, ce qui joue énormément sur les souvenirs du joueur qui a terminé l’original. C’est un discours presque méta sur ce rapport au souvenir. »
Silent Hill 2 (2001)
Deuxième volet de la saga "survival horror" de Konami.
Damien Mecheri : « On se souvient généralement d’une bande originale très “ambiante”, mais il n'y a pas que ça. Plusieurs styles se mélangent car le compositeur Akira Yamaoka a voulu proposer quelque chose qui n'a jamais été fait dans le genre du jeu d'horreur. Dans Silent Hill 2, on se balade dans une sorte de ville hantée, qui matérialise - à travers des créatures ou des décors - les pensées les plus sombres des personnages, avec une certaine poésie. Et cela se retrouve dans l'approche musicale : pour retranscrire cette ambiance un peu malsaine et horrifique, Akira Yamaoka est parti vers une approche industrielle. Des sons martelants, voire organiques, qui vont marquer cette double dimension du jeu. Mais Silent Hill, ce sont aussi des histoires très tragiques, mélancoliques, sombres. Un autre versant que l'on va retrouver dans l'approche balades rock, voire trip-hop, mais aussi les nappes sonores plus atmosphériques, avec des sonorités presque extraterrestres. La musique est toujours onirique, avec ce côté presque rêveur, qui fait naître un léger sentiment de familiarité et en même temps de malaise. L’ambiance est très profonde et très contrastée. Akira Yamaoka, qui a aussi réalisé le sound design, a pensé la musique pour aller à l'encontre des attentes des joueurs. Notamment en mettant de la musique là où normalement il n'y en aurait pas, ou l'inverse. C'est un jeu assez graphique, qui va exprimer des choses visuellement, mais qui dans sa partie la plus profonde joue énormément sur tout ce qui n'est pas montré. Et cela passe beaucoup par le travail sonore, qui fait travailler l’imaginaire. »
BioShock (2007)
Jeu de tir en vue à la première personne, BioShock se déroule en 1960, alors que le personnage incarné par le joueur s'écrase en pleine mer et découvre la ville sous-marine de Rapture, construite par un mégalomane milliardaire.
Damien Mecheri : « C'est une bande-son très intéressante à étudier, et pas seulement pour les musiques qui ont été composées pour le jeu. Dans BioShock, la musique extradiégétique (c’est-à-dire la musique que n'entend que le joueur, mais pas le personnage) est parsemée tout au long du jeu, mais elle n'est présente qu'à des moments-clés, ce qui va d'autant plus renforcer son impact. Le compositeur, Garry Schyman, a vraiment travaillé sur l'idée de représenter la mer, puisque l'univers de BioShock se situe dans une cité sous-marine, avec un côté dystopique et tragique. Il a pensé tout de suite aux cordes (violon et violoncelle), qui retranscrivent les mouvements des vagues. Il s'inspire également de toute la musique savante du XXe siècle, ou de la musique plus horrifique, propre au style du compositeur Krzysztof Penderecki, connu pour l'utilisation de ses morceaux dans Shining de Stanley Kubrick. De la musique vraiment dissonante, presque concrète, avec des sons inspirés de bruits du monde réel. Mais le jeu, au-delà de ça, fait un énorme travail sur l'utilisation de la musique intradiégétique, celle que va entendre le personnage que l'on contrôle. Ce sont des chansons jouées par des gramophones, puisque le temps s'est arrêté en 1959 dans le jeu. On y entend de grands standards du jazz et blues des années 20 à 50. Cela fait sens par rapport à l'histoire de la musique jazz, notamment via son rapport à l'esclavage. C'est une thématique forte dans BioShock, puisqu'au-delà de l'esclavage au sens large, c'est l'esclavage même du joueur dont on parle, puisqu’il est littéralement enchaîné : le personnage principal a des chaînes tatouées sur ses mains. Et à un moment dans le jeu, on se rend compte qu’on est en quelque sorte manipulé depuis le début. Toute la magie de la chose est d'utiliser ces standards jazz pour créer une ambiance spéciale : les sonorités sont joyeuses, alors que ce qui est raconté par la musique et les paroles est extrêmement sombre. Cela habille toute la direction artistique du jeu. »
Journey (2012)
Succès indépendant, Journey propose un voyage initiatique dans un monde étrange et minimaliste.
Damien Mecheri : « C'est un jeu d'aventure très court, très concentré, très pur. On contrôle un personnage qui se réveille dans un désert et doit rejoindre au loin une montagne avec une sorte de halo lumineux. C'est un voyage physique mais surtout spirituel, et un jeu muet dans lequel le son a une importance considérable, même dans le gameplay. Par exemple, une touche permet d'émettre des sonorités : et plus on appuie de fois sur le bouton, plus les sonorités seront différentes. Quelque part, c'est un moyen de communication qu'on a avec l'autre joueur, qu’on ne rencontre que de façon anonyme dans le jeu. La musique est pensée pour transmettre de l’émotion : le compositeur s'est inspiré de la musique du XXe siècle, très sophistiquée mais très mélodique aussi. Il y a un thème principal, décliné tout au long du jeu. C'est une sorte de concerto pour violoncelle, le violoncelle étant une représentation du joueur, l'instrument soliste. Et tous les instruments autour représentent le monde, les émotions et les rencontres avec les autres joueurs. Quelques sonorités électroniques s'ajoutent à tout ça, mais c'est vraiment l'orchestre qui prédomine. Le joueur est accompagné par la musique dans son voyage mythologique, qui reprend l'archétype de la quête du héros. La musique est très raffinée, très élégante, très mélodique et surtout adaptative, avec une personnalisation de l'expérience. Plusieurs heures de musique ont été composées, mais chaque joueur va entendre des portions différentes en fonction de la vitesse à laquelle il va avancer, ou de la zone qu'il va explorer... La musique va varier de manière très subtile, en temps réel. Chaque voyage est musicalement une variante différente. Ce qui a une vraie valeur ajoutée, émotionnellement parlant. »
Death Stranding (2019)
Dernier jeu en date d'Hideo Kojima (Metal Gear Solid), Death Stranding nous transporte dans un monde post-apocalyptique, dans la peau d'un homme qui tente de relier différentes villes américaines.
Damien Mecheri : « L'approche majeure de Death Stranding est son aspect contemplatif. S’il s’agit d’un monde post-apocalyptique, paradoxalement, le message du jeu est extrêmement positif. Une ambivalence qu'on retrouve jusque dans la musique, utilisée de plusieurs manières et dans plusieurs cadres. La majorité du jeu est silencieuse musicalement parlant, et pourtant le travail sur le sound design est incroyable. Les compositeurs Ludvig Forssell et Joel Corelitz ont fait un travail de recherche de sonorités assez marqué. Ils ont notamment utilisé un piano préparé, c'est-à-dire qu'ils ont renversé l’instrument et ont tapé et frotté sur les cordes. On est sur quelque chose de très 'ambient', un peu électronique par moments, avec de temps en temps des cordes très fortes et belles qui vont grimper. Les moments de mélodie sont rares mais marquent cette part d'humanité qui émerge au sein d'un environnement plus sombre et défaitiste. C’est un travail assez exceptionnel, avec une identité unique qui va marquer le joueur parce que la musique va apparaître dans des instants-clés. Et pas seulement la musique composée pour le jeu : certaines chansons de groupes, en particulier Low Roar et Silent Poets, sont utilisées dans des moments de contemplation pure. Je pense à l'un des moments les plus marquants, vers 8-10 heures de jeu : on se retrouver à escalader une montagne, sous une pluie diluvienne, tout en évitant des entités fantomatiques. C’est extrêmement épuisant et éprouvant. Et puis soudain, on arrive au sommet de la montagne et on voit en contrebas une ville portuaire. Commence alors une musique magnifique de Silent Poets. Il n’y a plus rien d'autre à faire que de savourer cet instant de soulagement, de bonheur, en regardant cet horizon. On retrouve de nombreux moments de ce genre dans le jeu, ce qui est à la fois extrêmement puissant et original. Surtout que le créateur du jeu, Hideo Kojima, se permet de briser le quatrième mur : on voit apparaître à l'écran le nom du morceau joué, avec le nom du groupe. Cela va à l'encontre des règles de la fiction, on pourrait presque sortir de l'immersion ! Et pourtant, magie du jeu vidéo et de l'interaction, tout fonctionne parfaitement. »