En train d'être finalisé, Le Donjon de Naheulbeuk : L'Amulette du désordre sortira cet été. Il s’agit d’un événement, puisque ce jeu vidéo est le portage vidéoludique de la franchise du Donjon de Naheulbeuk qui fêtera ses vingt ans en 2021. A l'origine, ce feuilleton audio, créé par John Lang, raconte de façon parodique une partie de jeu de rôle « sur table » à la Donjons et Dragons. Une bande d'aventuriers y explore des souterrains peuplés de monstres, de pièges et de trésors... Parodiant les codes de l'heroic fantasy et des jeux de rôle avec un humour sonore décapant (les voix des personnages sont déformées dans les aigus), Naheulbeuk devient un petit phénomène et les fans s'échangent les fichiers mp3 à l'ère du téléchargement peer-to-peer. Vingt ans plus tard, Naheulbeuk est devenue une des franchises essentielles du paysage imaginaire francophone : outre la série audio (six saisons), Naheulbeuk a donné naissance à des romans, des concerts (avec le groupe Naheulband), des jeux de société, un jeu de rôle et surtout des BD (40 albums, six séries) dont le succès est aussi dû aux dessins de Marion Poinsot. Il ne manquait qu'un jeu vidéo à la série... Bruno Chabanel, PDG d'Artefacts Studio situé à Villeurbanne, a dirigé la conception de ce projet dont il rêve depuis dix ans. Il nous raconte les défis de L'Amulette du désordre.
Comment avez-vous imaginé le jeu vidéo Le Donjon de Naheulbeuk ?
Je viens du monde du jeu de rôle papier, à l'origine. J'ai travaillé chez Infogrames jusqu'en 2001, et j'ai monté mon studio en 2003. A l'époque, nous avions un projet inspiré de Blood Bowl mais nous n'avons pas réussi à le vendre. On a alors réalisé de la sous-traitance, des portages de jeux, sur des petits projets ou des franchises... Mais je n'ai jamais perdu de vue mes premières amours. Adapter des univers du jeu de rôle papier en jeu vidéo. Quand j'ai découvert Le Donjon de Naheulbeuk, je me suis complètement retrouvé dans ce qu'avait écrit John Lang. Et surtout la manière dont on se comporte autour d'une table de jeu de rôle. Je me suis dit qu'il y avait moyen d'en faire un jeu vidéo très intéressant sur le mode humoristique. J'ai contacté Clair de Lune, l'éditeur de la BD, en 2009. Nous avons décidé de faire un jeu en 2011. Mais au même moment, il y a eu un projet de série télé animée et notre jeu devait respecter les graphismes de cette série. Comme la série n'avançait pas, il a fallu attendre 2014 pour que nous puissions produire une première maquette, mais le producteur de la série l'a bloquée. Ensuite, la série a été mise en stand by et nous avons en octobre 2017 revu notre contrat avec Clair de Lune pour reprendre la production de notre jeu. En tout, ça a pris une dizaine d'années... Nous avons pu repartir de zéro visuellement, en utilisant la bande dessinée et les jeux de rôle comme référence.
Quelle a été l'implication de John Lang, créateur de Naheulbeuk ?
John Lang nous a toujours aidés. Au départ, on voulait faire un véritable RPG, mais c'était trop ambitieux, alors on s'est tournés vers le RPG tactique (jeu vidéo dans lequel le gameplay est basé sur les décisions tactiques que le joueur doit prendre au cours des combats, NDLR). Quand on lui a montré la première maquette, John a adoré. Il a validé le scénario, composé une partie des musiques, et nous a fait des retours sur notre projet. Les dialogues et les répliques ont été écrits pas Stéphane Audrand, un ami de John Lang, un écrivain qui a aussi collaboré au jeu de rôle papier. Mais John a validé le texte.
Pourquoi avoir choisi de faire un RPG tactique ?
C'est une question de budget. Si on avait voulu faire un RPG « narratif » pour concurrencer les autres RPG sur le marché, le budget aurait pu être multiplié par 2 ou 3...
Quels jeux vous ont inspiré ?
Divinity : Original Sin, Baldur's Gate, et surtout X-Com qui est une grande référence. Blackguards et ses décors «cassables » a été une bonne source d'inspiration : le jeu est d'ailleurs adapté de l'univers du vénérable jeu de rôle allemand L'Oeil noir.
Comment avez-vous travaillé avec Marion Poinsot, illustratrice de la BD ?
Elle a validé l'orientation graphique initiale des personnages : une fois obtenu son aval, nous avons développé dans notre direction. Elle a très bien compris que nous ne pouvions pas transposer les personnages de la 2D « papier » en 3D afin de toucher un public international. Mais nous n'avons pas repris au sens strict les visuels de la BD. Il faut prendre en compte notre moteur de jeu 3D et les mouvements de caméra. Il s'agit d'un RPG tactique avec une certaine hauteur de vue. Cela impliquait de trouver notre propre style.
Donc, ce n'est pas comme le RPG South Park : Le Bâton de la vérité qui a repris tels quels les graphismes de la série...
Encore une fois, le budget du jeu nous imposait de devoir toucher un public international qui ne connaît pas du tout la licence d'origine. En raison de notre investissement, nous devons « adapter » les graphismes à un standard international. En s'inspirant de ce que fait Blizzard avec la fantasy dans sa franchise Warcraft, par exemple. On utilise des codes qui touchent les joueurs actuels. On ne cherche pas la caricature.
Comment avez-vous transposé l'humour de Naheulbeuk ?
C’était notre projet d'IA : selon les actions que vous faites ou que vous ne faites pas, les coups ratés ou réussis, les personnages non joueurs vont faire des commentaires... C'est très intéressant et surtout très drôle.
Vous cherchiez au fond à reproduire l'humour de l'expérience « sociale » du jeu de rôle sur table ?
C'est exactement ça. C'est ici que l'on retrouve l'ADN original de Naheulbeuk : on retrouve l'affrontement entre le Nain et l'Elfe, le Barbare limité intellectuellement, le Ranger qui essaie d'être le chef du groupe, la magicienne la plus intelligente du groupe, et le Voleur froussard... Il y a aussi beaucoup d'humour dans le gameplay lui-même : l'ogre a une attaque spéciale où il rote au visage de ses ennemis pour les étourdir, par exemple. On a également joué avec des références plus ou moins connues, comme Le Seigneur des Anneaux et Donjons et Dragons. Il y a un mage nommé « Elmunster », spécialisé dans les sorts et le fromage, en référence à Elminster, le plus puissant magicien du monde des Royaumes oubliés (cadre de jeu de Baldur's Gate).
Concernant les voix, vous avez engagé deux acteurs de Kaamelott pour le doublage...
Franck Pitiot (Perceval) est un ami de notre directeur adjoint. De là, on a pu le faire participer ainsi que Jacques Chambon (Merlin). L'humour décalé de Naheulbeuk leur a plu, surtout le contrepoint absurde à une épopée épique comme celle du Seigneur des Anneaux. Astier, lui aussi, a pris tout l'aspect épique de la légende arthurienne pour la traiter avec humour dans Kaamelott. Les séries sont assez similaires, au fond.