« Le scénariste de jeux vidéo écrit des dialogues. En tout cas, c'est souvent l'acception qu'on en a. Elle est un petit peu limitative, car c’est une tâche qui peut occuper une très grande partie de son temps, mais c’est loin d’être la seule. Il doit aussi aider à créer les personnages, contextualiser le monde dans lequel on va plonger le joueur... Il peut travailler sur toute une série de choses qui se rapprochent de la narration », confie Olivier Henriot arrivé chez Ubisoft il y a dix-huit ans. A l’époque, aucune formation particulière ne mène aux métiers du jeu vidéo. Après des études d’histoire-géographie à l’université, il entre dans le secteur par la petite porte. « J'avais une appétence particulière pour l'écriture. Il y a davantage de formations aujourd’hui, mais pas spécifiquement pour l'écriture de jeux vidéo. Il faut faire savoir qu'on a cette sensibilité, et une fois qu'elle est démontrée, cela permet de se réorienter au sein de l’entreprise ».
D’abord scénariste sur des adaptations vidéoludiques d’univers de bandes dessinées comme XIII ou Largo Winch, il collabore à Prince of Persia et « au premier Open World de chez Ubisoft, Far Cry, sur PC ». Depuis, il est devenu spécialiste des mondes ouverts et met son talent au service de titres massifs comme la franchise Assassin’s Creed. Olivier Henriot explique que le rôle du scénariste ne se limite pas à une (longue) phase de préparation : il est pleinement impliqué dans le développement et travaille tous les jours en collaboration avec les autres corps de métier. « On réécrit beaucoup durant le développement, car le jeu va énormément évoluer entre sa phase de conception et le résultat final. Il y a beaucoup de modifications, au niveau des événements qui sont censés se produire dans la trame narrative, ou bien directement sur les dialogues ». Cela peut vouloir dire raccourcir une scène qui n’a finalement pas besoin d’être aussi longue que prévu, ou bien couper quelques répliques qui sont de trop. « Et parfois, on a besoin de toute une série de nouveaux dialogues systémiques, c'est-à-dire des dialogues dits par les personnages contrôlés par l'intelligence artificielle du jeu. Ce sont souvent des dialogues contextuels de réaction à une situation particulière. Selon le gameplay qui va être ajouté, il faut revenir à l’écriture ».
Par ailleurs, le scénariste est régulièrement amené à jouer au jeu encore en développement. Dès qu’une version est assez stable, certains outils internes leur permettent d’avancer plus rapidement dans l’histoire. Ils ont également la possibilité d’intégrer directement leurs lignes de dialogues dans le jeu, mais avec des voix robotiques. « On n'a pas nécessairement l'intention qu'aurait un acteur, donc il faut se projeter, précise Olivier Henriot. C’est parfois désarçonnant. Mais c'est une étape importante qui permet de relever tous les problèmes de compréhension potentiels. On a toujours en tête que raconter quelque chose, c'est distribuer de l'information de la façon la plus naturelle et la plus visuelle possible ».
De très longs scripts
Selon les projets, la trame de base peut être écrite par plusieurs personnes en même temps. « C'est très variable, détaille le scénariste. Sur Prince of Persia, la trame avait été intégralement écrite par Jordan Mechner, le créateur de la saga. On a évidemment pas mal évolué dans le type de jeux que nous faisons et aujourd’hui, les trames narratives de nos titres sont le résultat de discussions et de consensus entre différents métiers. Ce sont les têtes créatives du projet qui vont s'entendre sur ce qu'elles veulent dire et raconter. A charge ensuite aux scénaristes d’exécuter ». Pour mieux se rendre compte du travail fourni par les scénaristes sur un jeu comme Assassin’s Creed, il faut s’intéresser à la longueur du script final, extrêmement volumineux. « On est loin des 120 pages du cinéma, s’amuse Olivier Henriot. On fonctionne en nombre de lignes de dialogue : sur Assassin’s Creed : Odyssey, on était entre 130 et 150 000 lignes, ce qui nous rapproche probablement du million de mots. Cela représente le travail d'une grosse dizaine de personnes durant trois ans. Il faut savoir que l’écriture ne dure pas forcément tout ce temps : il y a un long travail en amont de mise en accord avec l'équipe sur les règles du jeu, les différentes activités, la création des personnages... Des impératifs de délai entrent ensuite en jeu, puisqu’il va falloir faire enregistrer ces dialogues par des acteurs, et ensuite les faire traduire. Dans les faits, je dirais qu’il y a six à neuf mois d'écriture intense ».
La question de la liberté
Le scénariste peut également s’occuper des descriptions d’objets trouvés par le joueur, des fiches de personnages, et bien entendu des scènes cinématiques. Un travail beaucoup plus proche du cinéma ou de la série télévisée puisque ces passages ne sont pas interactifs. « Ça s'écrit comme un script traditionnel, les règles sont les mêmes. Mais les passages en monde ouvert sont bien différents. Ce qui change par rapport aux médias traditionnels, c’est le contrôle. Dans un film, on décide de ce qui va se passer à l’écran à tel moment. Dans le cadre du jeu vidéo, l'interactivité entre évidemment en ligne de compte. Au-delà de la suspension de l'incrédulité, vient s'ajouter la nécessaire adhésion du joueur. Il est acteur et pas seulement spectateur : il faut donc créer des expériences logiques, en parallèle du gameplay qui leur sera associé. C'est là que des questions d'ordre narratif se posent. Il faut savoir à quel moment le joueur est disponible pour intégrer une série d'informations importantes sur les choix auxquels il va être confronté. Mais on doit aussi se demander comment on va faire adhérer le joueur à ce qui est en train de se passer. Plus on tend vers une narration inspirée des médias traditionnels, plus il faudra résoudre l’équation entre ce que le joueur contrôle et ce qu'il va éprouver : il faut qu’il soit au diapason du personnage. Dans un type de jeu où l'on va davantage laisser la main au joueur et où il a plus d’impact sur la façon dont les événements vont se produire, on a paradoxalement beaucoup plus de liberté en tant que scénariste ».
L’objectif au fond est de faire comprendre le plus de choses au joueur sans avoir à lui expliquer directement : « On doit lui laisser une immense liberté d'expérimentation. C'est l'une des forces du jeu vidéo ». Il faut par contre régulièrement lui rappeler ce qu’on attend de lui, afin d’éviter qu’il ne se perde. Pourquoi cherche-t-il telle personne ? Pourquoi doit-il se rendre à tel endroit ? « Il faut le faire de la façon la plus fluide et la plus élégante possible. En fait, on construit des mini-histoires, inspirées des mécaniques de séries télé, avec un début, un milieu et une fin. Il s'agit de donner un sens à ce que le joueur fait et de varier le ton, pour ne pas lasser ».