« Je crois que la qualité première d'un directeur artistique de jeu vidéo est le désir d'apprendre de nouvelles choses et de pouvoir les mettre en application », explique-t-elle. Un métier qu’on « n'a jamais fini d’apprendre », et qui demande de rester alerte en permanence : « On peut toujours s'améliorer. Par exemple cette année, puisque je savais que j'étais entre deux projets et que j'avais un peu plus de temps libre que prévu, je suis partie à l'école des Arts Décoratifs pour me former pendant un an à l’animation ».
Concrètement, le directeur ou la directrice artistique met au point des chartes qui permettent de garder une cohérence graphique tout au long du projet. Son travail est de « résoudre des problèmes graphiques avec les paramètres qui lui sont propres : la forme, la ligne, la couleur, la lumière et l'ombre au service d'un sentiment et d'une ambiance. Une fois qu’on a défini l’univers, après avoir fait son mood board (une planche rassemblant des images et autres éléments définissant le style graphique d’un projet ndlr), on fixe ce que doivent être les couleurs, les formes, la végétation…
Je remarque que certains studios indépendants commencent par imaginer le jeu d'abord visuellement, pour ensuite partir sur le gameplay. C'est une façon tout aussi valable de penser le jeu ».
Un peu de technique, beaucoup de dessin
Venue du web-documentaire, Ana Maria de Jesus a vu des similitudes notables avec le jeu vidéo. « Le web-documentaire et le jeu vidéo ont en commun la pensée de l'interactivité. Un directeur artistique d'images non interactives travaille des images fixes, sans embranchement. Dans le jeu vidéo, toutes ces composantes sont augmentées par la conséquence interactive des actions du joueur ». Mais doit-on être technicien pour faire ce métier ?
Certains directeurs artistiques, qui dirigent de grosses équipes, parviennent à exercer leur métier sans savoir dessiner. Mais Ana Maria estime que cela n’est plus possible quand l’échelle du projet est plus réduite. « Dans une grande entreprise, on travaille de façon très compartimentée, donc on peut orienter un graphiste avec une référence visuelle. Mais pour une petite équipe, il n’y a pas le choix, il faut montrer ce qu’on a en tête en dessinant. Parfois, un simple dessin peut permettre de redresser le tir ».
Chercher longtemps
Sadhana a la spécificité d’avoir demandé énormément de recherches, puisqu’il contient trois directions artistiques très différentes, imbriquées les unes dans les autres. « Il fallait toujours se demander à quel moment du jeu on est dans la charte A, la B ou la C. Et donc bien délimiter le périmètre dans lequel les chartes graphiques étaient utilisées ». Pensé comme un jeu philosophique, le titre amène le joueur à expérimenter le développement spirituel d'un yogi. « On va de plus en plus loin dans la vision du monde, pour finir à l'essence de ce qui est derrière toute chose », détaille Ana Maria de Jesus. « Visuellement, on commence par du figuratif - avec une ambiance tout de même proche de la réalité - avant d’aller de plus en plus vers la géométrisation du monde. C’est une métaphore qu'on file tout au long du jeu qui devient de plus en plus stylisé. Vers la fin, le personnage lui-même ressemble simplement à trois triangles. »
La directrice artistique souhaitait s’inspirer de l’Inde ancienne, mais les interprétations graphiques modernes et réussies de l'univers indien sont rares. « Par contre, j'avais à disposition de nombreuses sources antiques. Il a fallu beaucoup travailler à partir de miniatures indiennes, qu’on a pu transformer en concept arts. Ça a été un long processus. On a fait d'énormes mood boards pour resserrer ensuite de plus en plus. Je voulais quelque chose de très simple et très naïf. Il a fallu un an, un an et demi pour trouver des références les plus simples possibles ».
Quel parcours ?
S’il n’existe pas vraiment de voie royale pour devenir directeur artistique dans le jeu vidéo, certaines formations proposent désormais des parcours complets, de Bac +2 à Bac + 5 - avec éventuellement une spécialisation 3D, FX ou animation - qui permettent d’acquérir autant de savoir théorique que pratique. Une autre possibilité pour des designers qui viennent d'autres horizons est de rejoindre le jeu vidéo à travers des formations plus courtes, d'un an, type master spécialisé, comme le master Interactive Digital Experiences Cnam-Enjmin Gobelins. L'Enjmin (L’École nationale du jeu et des médias interactifs numériques du Cnam) est la seule école publique qui enseigne le jeu vidéo, mais d'autres écoles réputées proposent également des formations qui peuvent mener à ce métier (elles sont d’ailleurs listées sur le site internet du Réseau des Ecoles du jeu vidéo).
« Cinq ans d'études pour devenir directeur artistique, cela me semble assez confortable », analyse Ana Maria de Jesus, qui a longtemps travaillé sur des projets interactifs. « Jusqu'au moment où j'ai eu envie de passer à autre chose. Je me suis demandé ce qui était plus interactif que le web-documentaire et très rapidement, je suis tombée sur le jeu vidéo. Je suis partie me former aux Gobelins et j'ai très vite travaillé sur des projets en réalité virtuelle, dont une installation muséale avec une tablette qui interagissait avec un casque de VR ». Tous les chemins mènent au jeu vidéo.
Sadhaest est sorti en septembre 2020.