« Dead Cells » : du jeu vidéo à la série animée

« Dead Cells » : du jeu vidéo à la série animée

23 août 2024
Jeu vidéo
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La série "Dead Cells : Immortalis" adaptée du jeu "Dead Cells" Bobbypills/ADN

Acclamé sur PC et consoles depuis sept ans, Dead Cells se décline désormais sur le petit écran en série animée pour la plateforme ADN. Une adaptation fruit de la rencontre entre deux studios français : le développeur indépendant Motion Twin et le studio d’animation Bobbypills. Comment est né le projet Dead Cells : Immortalis ? Et de quelle façon les deux studios ont-ils collaboré pour transposer le jeu vidéo en série ? Décryptage.


Il y a quelques années, alors que le jeu Dead Cells est déjà bien installé, le studio Motion Twin décide d’enflammer les joueurs en sortant une bande-annonce, réalisée en animation 2D traditionnelle. C’est le studio Bobbypills qui est missionné. D’autres trailers Dead Cells voient ensuite le jour et Bobbypills commence à imaginer pousser le concept encore plus loin : « Nous nous sommes beaucoup amusés à explorer l’univers Dead Cells. Même en une minute, nous avons réussi à raconter des choses. Et déjà à ce moment-là, le public nous a réclamé une série », se souvient Jérémie Bonnouvrier, directeur de production chez Bobbypills. Thomas Vasseur, directeur créatif du jeu chez Motion Twin confirme : « Ces trailers ont généré une envie, une énergie. C’est de cette manière que les équipes de Bobbypills sont venues nous proposer un script. »

Laisser les mains libres au studio d’animation

Comment adapter un jeu « roguelite » [variante du « roguelike » dans laquelle le joueur peut malgré tout progresser entre deux aventures (runs) et recommencer avec de nouvelles possibilités en gameplay - ndlr] en une fiction intrigante et amusante ? Le défi est périlleux. « Que peut-on raconter sur un concept qui se répète à l’infini ? Parce que ce genre est intrinsèquement répétitif, explique Yannick Castaing, qui a supervisé la fabrication du projet chez Bobbypills. Les trailers que nous avons réalisés pour le jeu ont semé les germes de la série, mais il a fallu ensuite repartir d’une page blanche. Le défi majeur a été de rendre sympathique un héros immortel qui veut mourir, coincé dans une boucle infinie. À partir de là, il a fallu imaginer une histoire… » À cet égard, les créateurs de Bobbypills ont eu carte blanche. « Il faut laisser son ego de côté et permettre aux autres de travailler sur sa création, sourit Thomas Vasseur. Les laisser revoir certains des boss du jeu, comme “La Main du Roi”… Et ça donne quelque chose de génial… »

Image du jeu "Dead Cells" Motion Twin

Composer avec un budget serré

Bobbypills a pu s’amuser à arranger Dead Cells à sa façon sans contrainte, ou presque. « Globalement, nous avons eu toute la liberté de faire ce dont nous avions envie. Personne ne nous a jamais dit que nous allions trop loin. Nous avons osé, jeté des idées sur la table… Les seules requêtes sont venues du diffuseur, la plateforme ADN, qui a souhaité une esthétique aux influences asiatiques, correspondant à sa ligne éditoriale. » Une esthétique qui a également répondu au budget de la série. Impossible en effet de reproduire la qualité soyeuse des bandes-annonces précédentes. « Nous avons eu 70 minutes d’animation à produire pour cette série. Très vite, nous avons compris que ce travail n’était pas viable économiquement, raconte Yannick Castaing. Il a fallu être malin et trouver un moyen de créer des personnages expressifs, attachants, qui racontent une histoire, pour un coût moindre. Nous avons ensuite fait un autre choix drastique, pour respecter le budget : celui de ne pas réaliser de compositing [méthode de fusion de sources d’images pour en faire un plan unique, ndlr]. C’est une décision atypique que nous avons compensé en faisant de l’étalonnage. Il fallait soit privilégier le look de l’image, soit l’animation. » Un arbitrage validé par les équipes de Motion Twin. Thomas Vasseur estime que le design est par essence « moins important que l’animation en elle-même. Je préférais que l’argent soit mis sur ce travail que dans des détails visuels. C’est vrai que le design est très différent du jeu vidéo, mais il faut accepter que la série ait sa propre identité visuelle ».

Trouver sa propre histoire

Propre identité visuelle mais également propre identité narrative. Au-delà du budget serré pour l’animation, l’autre enjeu de cette adaptation animée a été l’équilibre à trouver entre le fait de respecter l’univers du jeu tout en racontant une histoire linéaire : « Dans le jeu, le joueur crée sa propre histoire, sur une base commune. En revanche, dans une série, il faut guider le public. Tout doit être explicite, décrypte Yannick Castaing. Le public n’est plus acteur mais spectateur. Cet aspect est sûrement le plus délicat à réussir : il faut arriver à emmener chacun là où nous l’avons décidé à la différence du jeu qui leur permet de creuser eux-mêmes leur propre expérience. » La série Dead Cells : Immortalis raconte ainsi l’histoire d’un héros solitaire qui souhaite mourir mais n’y parvient pas. Il apprend alors peu à peu à devenir moins taciturne grâce à une femme, un personnage qui n’existe pas dans le jeu initial… « Nous avons en effet ajouté ce personnage féminin, nommé Laure Esposito. Un héros solitaire manque d’intérêt narrativement, souligne Yannick Castaing. Et puis notre héros a perdu la mémoire. Laure Esposito joue donc le rôle de narratrice pour exposer le récit. La série part de ce principe : que se passe-t-il dans la tête d’un immortel ? Comment compose-t-il avec sa solitude, sa tristesse ? Tout cela avec un ton particulier, très impertinent, qui est la marque de fabrique de Bobbypills. »

 

Faire des clins d’œil aux joueurs

Dead Cells : Immortalis, série d’animation pour adultes drôle et insolente, a su rester dans la veine de ce qu’ont connu les joueurs, tout en trouvant son propre ton, comme l’explique Thomas Vasseur : « Si les équipes de Bobbypills s’étaient contentées de respecter à la lettre le jeu vidéo d’origine, sans imagination, le public aurait été déçu ! Nous n’avons pas voulu leur resservir le même projet. » Si la série peut parler à un public différent, qui n’a pas toujours mis les mains sur la manette, Yannick Castaing observe « une porosité évidente. Nous n’avons pas de chiffres, mais nous savons que beaucoup de joueurs de Dead Cells regardent la série. Nous leur faisons des clins d’œil ici et là ».

S’appuyer sur le savoir-faire français

Cette perméabilité existe aussi chez la quarantaine d’employés de Bobbypills qui ont planché sur la réalisation de la série. Eux aussi sont des joueurs, pour la plupart. « C’est un aspect qui infuse naturellement dans le résultat, assure Yannick Castaing. Il y a une résonance. D’autant que, par séquence, nous forçons aussi le trait en transposant carrément le gameplay dans la série. Il faut s’éloigner des codes du jeu vidéo, c’est nécessaire. En revanche, nous partageons avec Motion Twin les codes de la japanimation et ça se ressent. Les ponts entre jeu vidéo et animation sont de plus en plus évidents, surtout en France qui possède un savoir-faire en la matière. Le pays compte une importante communauté de gamers. Elle baigne autant dans le jeu vidéo que dans la japanimation, poursuit-il. C’est notre génération, nous nous comprenons mutuellement. Sur des jeux indés, il y a cette idée partagée selon laquelle si nous, les équipes arrivons à en rire, alors ce sera également le cas de toute la communauté. Si l’adaptation des jeux vidéo fonctionne aussi bien en France, il me semble que c’est parce que nous sommes de grands enfants payés pour faire du dessin animé. Il y a aussi de très bonnes écoles, parfois hybrides, qui permettent cette synergie. Sur le plan technique également, les logiciels pour réaliser des séries animées rejoignent ceux utilisés pour les jeux vidéo ! »

Image du jeu "Dead Cells" Motion Twin

Éviter l’écueil du produit marketing

Selon Bobbypills, le succès de la série doit beaucoup aux échanges entre les deux studios depuis des années. « Toutes ces discussions que nous avons eu avec Motion Twin pour réaliser les bandes-annonces ont été cruciales. Nous savions où viser ! De leur côté, ils nous ont fait confiance car ils étaient conscients que nous n’allions pas tout casser. Je crois qu’il faut, à la base, cette complicité, une entente et des échanges qui nourrissent le développement du projet en amont… » Pour Thomas Vasseur, la clé d’une adaptation réussie réside aussi dans l’état d’esprit : « Il ne faut pas la penser comme une publicité pour le jeu, qui montrerait telle nouvelle arme ou tel nouveau pouvoir bientôt intégré… Une adaptation ne peut pas être du marketing. La série doit devenir autonome et explorer l’univers du jeu, quitte à agacer certains joueurs ! Ce n’est pas grave. Il faut une proposition honnête et juste, pour réaliser un produit unique. »

Imaginer la suite à deux

Désormais, Motion Twin et Bobbypills travaillent main dans la main sur Windblown, le nouveau jeu vidéo développé par Thomas Vasseur et son équipe. « D’ailleurs, Bobbypills a déjà réalisé une bande-annonce », se réjouit le directeur de production, qui imagine bien Windblown passer un jour à son tour en dessin animé. Quant à la série Dead Cells : Immortalis, les équipes précisent « ne pas savoir encore si d’autres épisodes seront réalisés ». « Ceux disponibles en ligne fonctionnent très bien pour le moment, souligne Thomas Vasseur. Un succès qui peut nous faire qu’espérer… »

Dead cells : immortalis - saison 1 en 10 épisodes

Affiche de la série Bobbypills/ADN
 

Avec les voix d’Antoine Schoumsky, Gérémy Crédeville et Alizée Laffitau…
Réalisée par Gaspard Sumeire
Produite par Bobbypills et ADN, en collaboration avec Motion Twin

A voir sur la plateforme ADN

Le jeu Dead Cells a bénéficié du Fonds d'aide au jeu vidéo (FAJV) du CNC, la série Dead Cells : Immortalis de l'aide sélective à la préparation et à la production en animation.