Né le 10 mars 1960 à Lyon, Éric Viennot s’est éteint le 25 juillet 2022. Il débute sa carrière dans les arts. Plasticien de formation – il pratique la peinture, la photographie et la vidéo –, Éric Viennot enseigne un temps à l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne avant de bifurquer vers le domaine du jeu vidéo. À la fin des années 1980, passionné par les débuts de l’infographie, il se forme (sur Amiga 500 puis Amiga 2000) à l’image de synthèse. C’est le début d’une nouvelle carrière de game designer qui va durer plus de vingt ans et durant laquelle il va donner naissance à une œuvre foisonnante, diversifiée (allant des jeux éducatifs aux concepts beaucoup plus expérimentaux) et, surtout, croisant plusieurs médias.
Il y a un an, dans un article des Dernières Nouvelles d’Alsace à la tonalité très nostalgique, le créateur reconnaissait pourtant une erreur de jugement : « On était peut-être un peu trop en avance. Entre ça et quelques choix malheureux, la société n’a pas tenu. » La société ? Lexis Numérique, une structure qui aura su faire rêver de nombreux joueurs et avait réussi à s’imposer comme un des studios français les plus innovants de ce qu’on a appelé la French Touch.
Fondé en 1990 avec Marie et José Sanchis, ce studio a donné naissance à une pléiade de titres très célèbres. Le plus connu, Les Aventures de l’oncle Ernest, fut lancé en 1998. Il s’agissait d’un jeu d’aventures pour enfants, disponible sur CD rom, qui se déroulait dans un album illustré, peuplé d’objets, d’outils et de petits animaux « vivants » avec lesquels le joueur pouvait interagir. Au fur et à mesure qu’il progressait, le joueur découvrait de petits films que l’oncle Ernest avait laissé pour créer sa propre légende.
Encore plus novateur, en 2003, In Memoriam plongeait le joueur au cœur d’une enquête sur un mystérieux serial killer. Pour le retrouver, on devait investir Internet, utiliser des faux articles de presse ou des indices laissés sur de vraies pages… Mêlant énigmes, vidéos, enquêtes et indices dispersés sur le Web, In Memoriam marquait une date dans l’industrie en devenant le premier jeu de réalité alternative conçu en Europe.
Éric Viennot fut, en effet, un pionnier des ARG (« Alternate Reality Games »), ces jeux qui multiplient les allers-retours entre fiction et monde réel et permettent aux gamers une immersion complète dans un univers. Autant que les possibilités démultipliées de la narration, c’est l’esthétique de ces concepts transmédias qui l’intéressait. « Le jeu urbain peut réenchanter le quotidien, expliquait-il au magazine en ligne BiTS. Il y a une véritable poésie qui transparaît à travers ces projets. » Malheureusement, les ARG n’ont pas su remplir leurs promesses et les projets fous, « trop en avance », de Lexis Numérique ont fini par avoir raison de la structure : en 2012 sort Alt-Minds, la dernière création du studio. Dans ce titre, les joueurs ne devaient plus seulement arpenter le Web pour trouver des indices, ils devaient sortir dans la vraie vie et y rencontrer certains personnages. Le déroulement du jeu en temps réel rajoutait des contraintes et devait pousser les joueurs à collaborer entre eux… C’est ce projet qui poussera Lexis Numérique à la faillite deux ans plus tard. « Je ne vais pas faire mystère de cela : ça n’a pas marché », regrettait encore Éric Viennot dans les DNA.
Après la fermeture de son studio, Éric Viennot n’en avait pas pour autant fini avec la narration hybride, surfant sur différents supports. Celui qui avait été nommé au rang de chevalier de l’ordre des Arts et des Lettres en 2007 a ainsi continué à explorer cet univers des possibles, prêtant ses talents de storyteller ou participant au développement de jeux indépendants. En janvier 2021, il publiait même une enquête sous forme de newsletter bihebdomadaire, où le narrateur partait à la recherche d’un homme rêvant dans une langue inconnue. Ce projet était inspiré par L’Atlas des îles abandonnées (un ouvrage publié chez Arthaud en 2010) de l’autrice allemande Judith Schalansky. Dans ce livre, elle racontait l’histoire de Marc Liblin, un Français qui rêve depuis sa plus tendre enfance dans « une langue qui lui est totalement inconnue », et qui découvre à 33 ans qu’il s’agit d’un vieil idiome polynésien. Ce mystère avait « harponné » Éric Viennot qui en avait fait la matrice d’un nouveau projet tentaculaire. Car après la newsletter, un film et un livre devaient voir le jour. La disparition de ce créateur, toujours en mouvement, toujours en avance, en a décidé autrement…