Au moment de sa sortie en 1992, Flashback était une petite révolution. Que cherchiez-vous à accomplir à l’époque ?
On voulait du nouveau, du jamais vu. Proposer une expérience différente, très narrative, dans des univers un peu plus adultes que ce qui se faisait avec Sonic ou Mario. Bref, que le joueur fasse autre chose que sauver la princesse ! Et Flashback était une incursion dans le cyberpunk, un thème très peu abordé à l’époque dans le jeu vidéo. La grande question était de savoir comment faire un jeu narratif sans jamais perdre de vue un gameplay relativement dynamique. Comment rendre ce mélange le plus transparent possible ?
Le jeu détonnait justement parce qu’il allait à rebours de ce qui se faisait à ce moment-là chez Nintendo ou Sega ?
C'était une volonté de s'affranchir de ce qui avait été fait et de tenter de trouver une autre voie. Les contrôles sont différents, on n'a pas de bouton de saut par exemple. Et si dans un Mario le personnage répond immédiatement, dans Flashback on est obligé d'anticiper : une fois que l'animation est commencée, on doit attendre qu'elle se termine pour enchaîner sur une autre action. Cela explique d’ailleurs que certains joueurs étaient déstabilisés. On était dans une époque d'expérimentation et il n'y avait pas vraiment de règles. Il fallait défricher et trouver des solutions. Certaines sont devenues des standards et d'autres sont parties dans des voies de garage (rires). Flashback est le reflet d'une époque où tout était nouveau.
Et pour la première fois, vous travailliez sur une console de salon, la Megadrive de Sega ?
C'était une découverte. Chez Delphine Software, on était plutôt spécialisés dans le jeu sur ordinateur, comme Atari ou Amiga. La Megadrive était encore une console à venir quand on nous a proposé de travailler dessus. On était attiré par le côté international, car même si nos jeux avaient déjà été vendus à l'étranger, on accédait à un marché totalement différent. Mais ça ne ressemblait à rien de ce qu’on connaissait ! On avait l'habitude de concevoir des jeux avec une souris, et là on se retrouvait avec un gamepad et des boutons. Forcément, il a fallu revoir entièrement le moteur qu'on avait l'habitude d’utiliser et reprendre à zéro le système de gameplay.
Mais la première version qui est sortie était tout de même sur Amiga !
Oui, parce qu’à l'époque, le système de développement de la Megadrive était relativement spartiate. Il était simplement constitué d’un PC connecté à une console de développement, mais les outils de productions étaient inexistants. Donc on a développé un outil sur Amiga, sur lequel on travaillait principalement. L'éditeur de Flashback tournait donc sur Amiga, ce qui explique pourquoi il est d’abord sorti sur cette plateforme.
Flashback carbure aux références à la science-fiction et notamment aux œuvres de Philip K. Dick. Vous étiez fan du genre ?
Toujours aujourd’hui ! Le cinéma de science-fiction de l’époque m’a beaucoup influencé : Alien, Blade Runner, Total Recall… Les réplicants sont dans le jeu et je crois même qu'il y a une réplique de Terminator. C’est bourré de clins d'oeil pour les fans de cinéma. Ces thèmes n'étaient pas abordés dans le jeu vidéo et c'était un rêve de mettre des joueurs dans la peau de héros qui se situent dans ces univers futuristes. De leur permettre de voyager très, très loin, géographiquement et dans le temps. C'est un médium extraordinaire car malgré la simplicité de l'image, l'interaction permettait de se projeter dans un ailleurs.
Et Flashback est resté dans l’Histoire comme le jeu français le plus vendu dans le monde. Vous vous êtes senti dépassé par le succès ?
À vrai dire, on a mis du temps à se rendre compte que c'était un jeu important. Même s’il avait été très bien reçu, dix ans après la sortie je n'étais toujours pas conscient qu’il avait marqué à ce point. Vous savez, en tant que développeur, on termine un projet et on en attaque un autre. On n'a pas forcément le recul nécessaire sur ce qu'on a fait avant. Et puis ce n’est que dans les années 2000 que les gens sont venus vers moi pour me dire à quel point Flashback avait compté pour eux ! Donc le retour a mis du temps, parce qu'on était pris dans une mouvance et qu’on ne regardait pas vraiment derrière nous. Le succès commercial m'intéressait peu, ce que je voulais surtout c'était pouvoir continuer à faire d'autres jeux et raconter de nouvelles histoires.
Avez-vous corrigé des choses dans la version remasterisée sortie il y a quelques mois ?
Plusieurs, oui. Il y a notamment un défaut qui est celui de beaucoup de titres de l'époque : c’est un jeu très punitif, un certain nombre d'actions engendrent une mort immédiate et il faut repartir de zéro. Alors j'ai ajouté un nouveau mode qui enregistre les trente dernières secondes de jeu et permet de revenir en arrière, de rembobiner. Ça évite la frustration et permet d'aider les joueurs d'aujourd'hui, peut-être un peu moins patients que nous à l'époque (rires). J'ai aussi corrigé des bugs qui existaient dans la première version il y a 25 ans ! Il y en avait un, assez marrant, qui permettait à certains moments de traverser les murs en faisant demi-tour. On avait repéré ça grâce à des vidéos sur YouTube, certains joueurs montraient comment ça leur permettait de finir le jeu plus vite.
Une suite a vu le jour en 1995, Fade to Black, qui n’a pas eu le succès escompté…
Ça a été assez problématique car le jeu a coûté très cher et a effectivement connu un moindre succès. C'était notre premier jeu en 3D et on a essuyé les plâtres, on était au début de la Playstation. Il a fallu inventer beaucoup de choses, comme les systèmes de caméra et de visée. Techniquement, on n'a pas réussi à garder la notion d’altitude : Flashback est basé sur le déplacement, les sauts, le fait de passer d'un étage à un autre… Avec Fade to Black, on n'a pas pu tracer d’étages en 3D. Donc on s'est rattrapé sur le scénario et le fait de proposer au joueur une expérience différente. Après, il y a eu beaucoup de maladresses et la technique n'était pas mûre. Mais une autre suite n’est pas d’actualité, je préfère essayer de nouvelles choses !