Pendant la première partie de votre carrière, vous avez travaillé comme game designer chez de grands studios comme Activision. Qu’est-ce qui vous a poussé à créer votre propre entreprise, qui plus est en France ?
Tout d’abord, j’ai toujours voulu faire des jeux vidéo. Depuis le CM1, pour être plus précis, où j’avais créé mon premier concept avec un copain. Dans ma jeunesse, je développais des jeux amateurs sur mon temps libre. J’ai notamment travaillé à la création d’un RPG d’inspiration japonaise, Son of Destiny, qu’on a monté de toutes pièces, de la musique au gameplay. J’ai énormément appris de ce projet qui s’est étalé sur plus de quatre ans, et à la suite duquel je suis vraiment rentré dans l’industrie du jeu vidéo. D’abord chez Ankama, où j’ai rencontré l’autre cofondateur d’Old Skull Games, Guillaume Magnies, puis chez Activision. J’y étais chargé du design des « boss » sur le jeu The Amazing Spider-Man. Fort de ces expériences, j’ai décidé de réaliser mon rêve et de monter ma propre boîte. On s’est alors posé la question de rester dans cet Eldorado du jeu vidéo qu’était le Québec ou de revenir en France. Au final, on a choisi de fuir l’intensité des studios « triple A » pour privilégier la vie de famille et une culture d’entreprise plus détendue. C’était un pari gagnant car l’écosystème de jeu vidéo français s’est fortement amélioré depuis notre retour.
Aviez-vous une idée précise du genre de jeux que vous vouliez développer en créant Old Skull Games ?
Déjà un an avant la création du studio, on avait Rakoo’s Adventure en tête. C’est un runner où le joueur incarne une petite créature largement inspirée du panda roux. Un personnage romantique et inoffensif qui s’aventure à la recherche du grand amour.
Malheureusement, Rakoo’s Adventure n’a pas rencontré le succès escompté, en raison de l’effondrement du marché du jeu premium sur mobile. Cela nous a poussés à laisser les jeux originaux de côté et à travailler main dans la main avec des éditeurs. Un long travail collaboratif qui a atteint son apogée l’an dernier avec la sortie de Bob l’éponge : Patty Pursuit, un platformer 2D développé en partenariat avec Nickelodeon. De la quinzaine de jeux qu’on a sortis en neuf ans, c’est celui qui a eu le plus fort retentissement et qui devrait nous permettre de nous recentrer sur des projets originaux.
Dès votre création, vous vous êtes orientés vers le jeu mobile. Qu’est-ce qui rend ce support attrayant aux yeux d’un développeur ?
Les raisons sont multiples. La première, c’est que tout le monde possède un mobile. Il est donc possible pour un studio relativement petit de toucher un public très large. Nos plus gros succès (Amber’s Airline et Bob l’éponge) ont totalisé des millions de téléchargements.
Un des autres avantages est l’accessibilité du développement, qui peut se révéler précieuse pour les jeunes studios. Enfin, les capacités innovantes de gameplay que permet le tactile sont également très intéressantes. Pour autant, on commence à lancer des projets sur consoles Next Gen pour approfondir notre côté polyvalent.
On commence de plus en plus à parler des pratiques de « crunch » (heures supplémentaires pour respecter les deadlines) que certains développeurs estiment nécessaires pour la qualité du produit final. Quelle est votre opinion sur cette concentration du travail sous pression ?
En créant Old Skull Games, on voulait tendre à un équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle pour les employés. Je voulais notamment éviter deux choses : l’opacité de la direction et les temps de travail à rallonge. J’ai été traumatisé par les périodes de « crunch » où je travaillais en sous-effectif, jusqu’à 100 heures par semaine.
Les heures supplémentaires sont très réglementées chez nous parce que l’on ne veut pas qu’elles deviennent systémiques. Elles sont évidemment facultatives et doivent être approuvées financièrement, sous réserve d’apporter une contribution fondamentale au jeu.
Le nom Old Skull Games fait autant référence aux influences rétro qu’à la piraterie. Quelles sont les raisons et les inspirations à l’origine de cette dénomination ?
C’est parti d’une discussion avec mon frère sur la philosophie de la société. Il me demandait si je préférais des militaires ou des pirates sous mon diapason. Je lui ai répondu que je voulais des gens qui s’affirment, un peu grande gueule, et une ambiance très participative. Je désirais surtout une équipe qui soit prête à partir à l’aventure, sans certitudes sur le lieu d’arrivée. Le reste du nom vient du fait que certaines racines du jeu vidéo traditionnel étaient souvent perdues de vue dans les jeux populaires au profit d’une vision plus cinématique. On souhaitait allier une patte artistique moderne à des éléments de gameplay plus classiques. Rakoo reprenait d’ailleurs un gameplay de runner en profondeur, très populaire dans les années 90 dans certains « Beat Them All ».
Avec un nom comme ça, à quand votre propre jeu de pirates ?
Il est possible que l’on ait ça dans les cartons ! En tout cas, j’ai toujours rêvé de concevoir un jeu d’aventures, à l’image de The Legend of Zelda : The Wind Waker. J’admire aussi le remake de Link’s Awakening pour la Switch. C’est un jeu que j’aurais été très fier de créer et qui est en parfait accord avec la philosophie optimiste d’Old Skull Games.