Chaque détail compte lors de la création d’un jeu vidéo. Dès les premières maquettes, un spécialiste intervient pour combler toutes les attentes des futurs joueurs. Ce spécialiste, c’est l’ergonome. Auparavant rare dans l’industrie vidéoludique, il est devenu indispensable à la réussie d’un jeu. Né après la Seconde Guerre mondiale, rappelle Sophie Peseux, le métier d’ergonome va de pair avec la cognition humaine (les processus mentaux et activités psychologiques liés à la connaissance) : « Un ergonome s’intéresse à la manière dont les personnes traitent et comprennent les informations qu’elles reçoivent ».
« Dans le milieu du jeu vidéo, son rôle est d’offrir la meilleure expérience de jeu aux joueurs. Il doit faire en sorte que leurs attentes soient comblées, que les interfaces et les tutoriels soient facilement compris. Il doit notamment répondre à la question : Est-ce que les émotions et les sensations que le créateur voulait communiquer sont bien celles vécues par le joueur ? », explique cette ergonome qui évolue dans le milieu du jeu vidéo indépendant depuis plus de dix ans. Aussi appelé « designer UX (Expérience Utilisateur) », il peut intervenir tout au long du processus de création, et ce dès la finalisation du cahier des charges : « On peut déjà cerner de nombreuses problématiques dès les maquettes. Est-ce que l’architecture des menus est bien amenée ? Est-ce que les informations sont bien mises en valeur ? Est-ce qu’elles correspondent bien au joueur-cible ? ».
De simples astuces suffisent parfois pour créer une expérience utilisateur positive. Exemple avec le jeu à succès Fortnite. Dans la première version, le joueur voyait une buche s’afficher à chaque coup de pioche, pour symboliser « plusieurs bouts de bois » ramassés. Un détail qui a conduit de nombreux testeurs à se plaindre de la vitesse de récolte des matériaux, a expliqué Célia Hodent au Monde. Avec son équipe, cette spécialiste de la psychologie cognitive, qui a notamment travaillé pour Ubisoft puis Epic Games, a proposé une nouvelle version présentant non plus une, mais plusieurs buches à l’écran. Une simple modification qui a transformé le ressenti négatif des testeurs.
La grande difficulté du métier
« Le plus grand challenge de ce métier, c’est d’évaluer la satisfaction du joueur avec des indicateurs concrets prouvant que le jeu remplit bien sa fonction de divertissement. C’est l’objet d’une longue réflexion. Si je travaillais sur un jeu de survie, je regarderais par exemple si les personnes sursautent, si elles se déplacent plus doucement lorsque la musique est stressante, etc… Dans un jeu de stratégie, je regarde si les mécanismes sont suffisamment complexes pour accrocher le joueur assez longtemps. Avec le comportement de la personne, on sait si les intentions sont bonnes et respectées », explique Sophie Peseux, qui a notamment travaillé pour Phoenix Studio ainsi que pour Virtual Beings et Okugi Studio (société de jeux vidéo qu’elle a créée avec plusieurs associés).
Pour être le plus pertinent possible, l’ergonome évoluant dans l’industrie vidéoludique doit prendre en compte le public-cible, mais également le contexte du jeu et sa plateforme. « Si c’est un produit pour le mobile, on misera sur des sessions de jeu plus courtes que sur PC », précise-t-elle. Des tests d’utilisation sont mis en place tout au long du processus de création. « C’est ce qui permet de monter en puissance en terme d’intuitivité et d’accessibilité du jeu. On étudie son ergonomie structurelle, son architecture. On évalue les courbes d’apprentissage, de difficulté », ajoute la jeune femme qui enseigne également l’ergonomie. Œuvrant pour que le jeu réponde aux attentes du public, l’ergonome est devenu essentiel dans l’industrie vidéoludique.
Aujourd’hui, certains établissements tels que l’ICAN (école d'infographie spécialisée en Game Design, Animation 3D et Web Design) de Paris ou le Cnam-Enjmin (Ecole nationale du jeu et des médias interactifs numériques) ont fait de l’ergonomie une des matières étudiées dans leurs formations. Mais ce n’était pas le cas il y a encore quelques années, souligne Sophie Peseux. L’ergonomie s’apprenait alors dans des formations universitaires, notamment en psychologie. Un cursus suivi par Sophie Peseux. « J’ai toujours été intriguée par le fait que les gens comprennent les choses différemment et j’adore ce qui tourne autour de l’informatique. Je jouais plus jeune avec mon frère sur la Megadrive, puis sur PC. Avec mes amis, on faisait des sessions de jeu. On devait transporter nos lourdes tours d’ordinateur avec les écrans et le câblage. J’avais ces deux passions, et je me suis aperçue que je pouvais les combiner dans mes études en découvrant l’ergonomie lors de ma troisième année de psychologie », explique-t-elle. En arrivant sur le marché du travail, elle a fait face, à l’époque, à une méconnaissance de son métier : « Il y a dix ans, c’était un mystère pour ceux qui m’employaient. Quand j’ai commencé, c’était tout un art de décrire ce métier qui n’était absolument pas courant en France. Mais cette profession est assez rare pour créer de l’intérêt. »