Rapport sur les équilibres de l’industrie audiovisuelle et cinématographique à l’heure des grandes plateformes de vidéo à la demande

Rapport sur les équilibres de l’industrie audiovisuelle et cinématographique à l’heure des grandes plateformes de vidéo à la demande

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  • Type de publication : Rapport
  • Année :
    08/11/2024

Rapport de Fabien Raynaud, conseiller d’État, et Hortense Naudascher, auditrice au Conseil d’État, remis au président du CNC le 4 juin 2024.
 

Résumé du rapport 

1. La France dispose depuis longtemps de puissants outils de régulation en faveur de la création et de la diffusion cinématographique et audiovisuelle : protection des droits des auteurs et de leurs oeuvres, obligations de production et de diffusion, mesures de soutien économique aux différents acteurs de la filière. Ces outils ont su s’adapter à l’évolution des technologies et des usages.

L’arrivées en Europe il y dix ans des plateformes de vidéo à la demande, d’origine essentiellement américaine, a fortement affecté le modèle français et européen de régulation, pas seulement les modes de consommation des contenus audiovisuels. Confrontées à la nécessité de proposer toujours plus de contenus, les plateformes ont imposé à toute la chaîne de valeur locale leurs instruments contractuels issus du système du copyright. Les acteurs de la filière ont été confrontés à de multiples difficultés : les auteurs, dont le droit moral a été fragilisé, ont été dans un premier temps confrontés à des pratiques de rémunération forfaitaire ; les producteurs, souvent réduits au rôle de prestataires de services, se sont trouvés privés de leur rôle créatif et de toute possibilité de constituer un catalogue ; les diffuseurs ont été confrontés à une hausse de leurs coûts de programmation et à une baisse de leurs ressources publicitaires, face à de nouveaux concurrents bénéficiant de plusieurs asymétries réglementaires ; les exploitants de salles, enfin, ont été confrontés au contournement de la chronologie des médias par certains SMAD, privilégiant une sortie directe d’oeuvres emblématiques sur leurs propres plateformes.

2. Pour faire face à ces difficultés, le cadre juridique européen et national a été adapté rapidement.
Pour mieux protéger les auteurs, des clauses types garantissant leurs droits moraux et patrimoniaux doivent désormais figurer dans les contrats de production. L’attribution des aides aux producteurs et la comptabilisation des obligations de diffusion en dépend. Les obligations des SMAD ont été rapprochées de celles des diffuseurs traditionnels : les plateformes de vidéo à la demande étrangères ont été assujettis, à compter de 2018, à la taxe sur la diffusion en vidéo physique et en ligne de contenus audiovisuels ; elles ont été soumises à des obligations minimales d’exposition d’oeuvres européennes, selon le régime défini par leur pays européen d’établissement. Enfin, à la faveur de la révision de la directive SMA, les SMAD peuvent désormais être soumis, par l’État membre qui est visé par ses services, à des obligations de contribution au financement de la production d’oeuvres nationales et européennes. La France réserve à la production indépendante une part importante des obligations de dépenses. Le dispositif est incitatif, tenant compte le cas échéant des engagements pris quant au niveau de financement du cinéma, afin le cas échéant de bénéficier de fenêtres de diffusion anticipées dans la chronologie des médias. En 2022, les plateformes étrangères visant la France ont ainsi contribué, à la faveur de ces obligations de financement, de manière significative à la production d’oeuvres audiovisuelles (287 M€) et cinématographiques (58,5 M€). Les diffuseurs traditionnels demeurent néanmoins les plus importants financeurs (880 M€ en audiovisuel et 357 M€ en cinéma). Les plateformes étrangères ont par ailleurs conclu divers accords avec les organisations professionnelles du secteur, et se sont vus ouvrir l’accès au dispositif de soutien financier du CNC à la production audiovisuelle.

3. Les enjeux concurrentiels et la préoccupation croissante de souveraineté culturelle justifient aujourd’hui de nouvelles adaptations normatives. Répondant aux attentes d’une clientèle mondiale, les plateformes de vidéo à la demande étrangères exercent un contrôle étroit sur les productions locales qu’elles financent, tendant ainsi à l’uniformisation culturelle. L’accaparement des droits d’exploitation au détriment de la circulation des oeuvres est d’autant plus préoccupante pour la souveraineté culturelle que le secteur demeure très concentré autour de quelques grandes plateformes.

Dans une économie où l’offre suscite la demande, le quota de 30 % d’oeuvres européennes mises à disposition sur les plateformes pourrait utilement être réhaussé à 50 %, afin d’aligner les obligations des SMAD sur celles des diffuseurs historiques (proposition n° 1).

Ce quota d’exposition d’oeuvres européennes demeure soumis à la règle du pays d’origine, laquelle génère d’importantes distorsions de concurrence. Les plateformes ciblant la France depuis d’autres Etats membres de l’Union échappent ainsi aux quotas plus ambitieux fixés par la réglementation française. L’introduction d’une dérogation à la règle du pays d’origine apparaît justifiée (proposition n° 2).

Dans ce contexte, la définition de l’oeuvre européenne pourrait également être resserrée. Parmi les critères alternatifs permettant de répondre à cette définition, celui tenant à l’établissement du producteur dans le périmètre géographique déterminé permet à des oeuvres produites en Europe par les plateformes américaines, dans le cadre de productions exécutives, d’être qualifiées d’européennes. La suppression de ce critère est dès lors préconisée (proposition n° 3).

4. L’accès aux mesures d’audiences et aux données de visionnage constituent des informations stratégiques pour les producteurs qui, trop souvent, se voient opposer par les plateformes de vidéo à la demande le secret des affaires. La communication gratuite aux producteurs, et a minima annuelle, de données pertinente d’audience par pays, sur chacune de leurs oeuvres pourrait utilement être prévue à l’occasion de la prochaine révision de la directive SMA (proposition n° 4).

Le maintien des droits de propriété intellectuelle des oeuvres sur le territoire européen constitue un enjeu de souveraineté culturelle. Il s’agit de préserver l’accès du public aux oeuvres dans toute leur diversité, a fortiori lorsqu’elles ont bénéficié d’aides publiques, de garantir les intérêts matériels et moraux des auteurs et de s’assurer de la bonne conservation des oeuvres. Dès 2021, la France a mis en place un mécanisme de protection des catalogues. Une réflexion sur les risques induits par la fuite des droits de propriété intellectuelle vers des territoires extra-européens, et les moyens d’y répondre, pourrait utilement être engagée au niveau européen (proposition n° 5).

Les catalogues étant pour beaucoup constitués d’oeuvres ayant bénéficié d’aides publiques, une réflexion sur la possibilité de conditionner les aides publiques à la production au maintien sur le sol européen d’éléments techniques des oeuvres aidées pourrait utilement être engagée (proposition n° 6).

Enfin, compte tenu des incitations à la production exécutive créées par le caractère plus généreux du crédit d’impôt international, plus généreux quant à son taux et à son plafond, que le crédit d’impôt audiovisuel, il est proposé d’examiner l’opportunité d’un rééquilibrage de ces dispositifs fiscaux (proposition n° 7).