Comment est née 9.3 BB ?
Abd al Malik : L’idée vient de Wallen. C’est elle qui a créé et écrit la série. Nous sommes passionnés par le théâtre et un soir, il y a quelques années, un ami nous a parlé d’une pièce de Brecht, qui a le même titre qu’un morceau de mon épouse [Wallen - ndlr], Celui qui dit non. À ce moment-là, elle lisait un roman sur une jeune fille de Seine-Saint-Denis. Elle s’est plongée dans le travail du dramaturge allemand et a eu l’idée de créer la fusion de ces deux univers à travers une série. Dès le départ, elle a appelé le projet 9.3 BB, avec les initiales de Bertolt Brecht. Elle a travaillé dessus pendant trois ou quatre ans. J’ai trouvé son scénario tellement réussi que j’ai eu envie de la réaliser moi-même.
L’ambition de mettre le patrimoine au cœur des préoccupations de la jeunesse est un aspect important dans votre travail ?
Oui, totalement. J’ai créé la série Cités sur TikTok, qui avait cette même vocation. On partage Nous partageons beaucoup de choses Wallen et moi : notre vision de l’art et de la transmission notamment. Nous nous interrogeons sur la manière de toucher les jeunes et les moins jeunes à travers le grand patrimoine de la culture française et européenne. Cette nouvelle série avait quelque chose de naturel pour moi. J’ai eu le sentiment que je pouvais transmettre certains thèmes qui me touchent avec l’image.
Quels thèmes exactement ?
L’idée que la culture permet de retrouver une forme de fraternité ou de sororité, et qu’elle nous influence et nous élève. Je veux montrer comment elle impacte les personnes qui vivent dans les quartiers populaires. Parce que 9.3 BB ne parle pas d’une minorité mais d’une majorité ! Les séries sur la drogue dans les cités, comme certaines séries américaines par exemple, oublient qu’il y a essentiellement des hommes et des femmes qui ont une vie tout à fait normale dans ces quartiers. Le trafic existe, mais ça il a un caractère exceptionnel. Or, il y a d’autres histoires qui méritent d’être racontées, de belles et fortes histoires. Wallen et moi avons tous les deux grandi dans des cités, elle à Saint-Denis, moi dans celle du Neuhof à Strasbourg. Nous avons un rapport particulier aux quartiers populaires et l’envie de montrer comment ça se passe et surtout que les jeunes des quartiers ne sont pas forcément hermétiques à la culture. Il s’agit de détricoter des clichés.
Comment abordez-vous le travail de mise en scène ?
Ce qui m’intéresse profondément, c’est la poésie, sous toutes ses formes, y compris visuelle. J’adore la mise en scène de séries comme True Detective ou Atlanta, par exemple. L’esthétique y tient une place essentielle et de mon côté, j’ai aussi eu envie de porter ce type de regard sur 9.3 BB. Pour cela, je me suis inspiré de l’imagerie des clips et de la photographie pour inventer une forme de poésie par l’image.
Pourquoi avez-vous choisi de tourner en Seine-Saint-Denis ?
C’était essentiel pour Wallen. Elle l’évoque comme son « département chéri ». Nous avons filmé à Aulnay-sous-Bois, à Romainville, à Montreuil, avec un accueil formidable. C’est un département avec un dynamisme admirable. Nous sommes ravis de pouvoir porter un regard plus proche du réel sur ces quartiers.
Comment avez-vous travaillé avec Wallen ?
Nous avions déjà collaboré. Je suis fan de son écriture de manière générale. Je crois que c’est réciproque. Nous sommes admiratifs l’un de l’autre, donc notre collaboration est très fluide. Elle est très exigeante : sur 9.3 BB, elle avait une vision très claire de ce qu’elle voulait. Nous avons beaucoup échangé.
Wallen et vous êtes musiciens. Quel rôle tient la musique dans la série ?
Elle est omniprésente. Elle est liée à l’art et à la culture, qui sont présents dans la série. 9.3 BB parle de Brecht mais aussi d’un rappeur qui manie la langue française avec virtuosité. C’est une série interdisciplinaire, où la musique tient sa place, comme la poésie ou le théâtre.
Pourquoi s’intéresser à Bertolt Brecht ?
En son temps, il a bouleversé le théâtre, comme le rap a bouleversé la variété et continue de le faire. Pour moi, le lien est direct. Le hip-hop, c’est donner du sens en s’exprimant. Le théâtre de Brecht, c’était aussi déconstruire pour donner du sens. La filiation est à mon avis évidente.
Avez-vous l’ambition, avec cette série, de ramener les jeunes vers la culture classique ?
Oui et non. Les jeunes s’emparent déjà eux-mêmes de la culture. Quand j’ai monté Les Justes d’Albert Camus au théâtre du Châtelet, le public était composé à 80 % de jeunes venus de partout et qui n’étaient, pour la plupart, jamais allés au théâtre auparavant. La jeunesse est intelligente, elle réfléchit. C’est à nous, artistes, d’être forces de proposition. C’est ce qu’il s’est passé quand la série Cités a généré des millions de vues sur TikTok. Les jeunes s’en sont emparés très vite. Il ne faut pas les sous-estimer intellectuellement.
Vous venez de terminer le tournage de votre nouveau film, L’Affaire de l’esclave Furcy, dix ans après Qu’Allah bénisse la France. Pourquoi avoir pris ce temps avant de revenir au long métrage ?
Ce genre de projets met du temps à se concrétiser. Comme pour 9.3 BB, j’avais envie de raconter quelque chose qui pointe du doigt des sujets sensibles, et de faire un objet artistique capable de réconcilier. En ça, la série et le film se répondent.
9.3 BB
Le 19 avril 2024 sur France TV. Slash – 8x26 min
Créée par Wallen
Réalisée par Abd al Malik
Sociétés de production : France Télévisions, Chabraque Productions et Maison Wanowan
Produite par Abd al Malik, Clémentine Dabadie, Hervé Fihey, Fabien Coste
Avec Luiza Benaïssa, Matteo Falkone, Abderrahim Boumes
Soutiens du CNC : Fonds de soutien audiovisuel (Aide sélective préparation + production), Crédit d'impôt audiovisuel