Comment est née Wara ?
De l'appel d'un jeune auteur nigérien, Magagi Issoufou Sani. J'étais alors en tournage au Maroc et il savait que je travaillais en Afrique. Il me propose d'écrire une histoire se déroulant en Afrique de l'Ouest, sur l'engagement des jeunes en politique et dans leurs vies de tous les jours. Au Niger, les jeunes représentent 65% de la population ! On s'est rencontré et on est parti d'une idée qu'il avait déjà développée, sur des étudiants cherchant à s'engager. On a écrit des personnages ensemble et Wara était née.
C'est une série panafricaine, mais qui se passe dans une ville et un pays fictif. Pourquoi ?
Monter une série en France, c'est déjà compliqué, mais en Afrique c’est un cauchemar... On a vécu un certain nombre de péripéties, géopolitiques notamment. A l’origine, Wara devait se dérouler à Zinder, une zone où il est difficile de séjourner à cause de Boko Haram. On a du coup décidé de partir au Burkina Faso, mais la guerre au Mali a rendu ça impossible. On a progressivement déplacé le projet en fonction des pays où il était possible de filmer. Et comme entre temps j'avais créé une série au Sénégal, intitulée C'est la vie, j'ai vu qu'on pouvait industrialiser un show là-bas. J'y ai trouvé toutes les ressources dont j’avais besoin, une jeunesse du métier formidable, des comédiens en devenir... Il y avait donc la possibilité développer une série « premium » dans ce pays. Mais on a décidé de raconter l'histoire d'une ville fictive, car on voulait avant tout parler d'une ville francophone, et plus généralement des pays sahéliens. On ne voulait pas localiser l'histoire. Wara était dès le début conçue comme une série universelle. On voulait transcender la réalité en préservant son essence. Mais on a mis 7 ans à monter le projet ! L'auteur de la série n'a même pas pu voir la série aboutir, puisque Magagi Issoufou Sani est décédé l'été dernier.
Comment s'est déroulé le tournage, au Sénégal ?
On a filmé à Saint-Louis, au Nord, à la frontière du Mali et de la Mauritanie. On y a trouvé les décors qu'il nous fallait, notamment le campus universitaire. Mon travail en Afrique a au fond deux ambitions : d'abord je cherche à créer un lien fort avec un Continent où plus de 200 millions d'habitants parlent le Français. Je veux être ancré dans leur culture et leur tradition. Ensuite, il y a cette jeunesse qui a l'espoir et l'énergie, mais qui n'a pas les outils ! Quand je suis arrivé avec tout le matériel, j'étais le Père Noël ! C'était la première fois que ces jeunes avaient du matériel conséquent, grâce auquel ils allaient pouvoir s'épanouir. Comme je travaillais depuis quatre ans là-bas, j'avais déjà repéré des techniciens et dans ces pays francophones, c'est assez facile d'échanger, de communiquer. Du coup, on a collaboré avec des gens venant de tous les pays : du Mali, du Burkina Faso, de la Guinée, de la Côte d'Ivoire... Avec Magagi Issoufou Sani, dès le départ, on avait ainsi cette ambition de créer un « pool » d'auteurs. Et on a écrit pendant un peu plus d'un an la première saison, avec des scénaristes venus de tous ces pays d'Afrique de l'Ouest.
Comment avez-vous écrit ces huit épisodes ?
L'utilisation des mots n'est pas toujours la même selon l’endroit d’où l’on vient. Le Français peut bouger. Chaque auteur peut investir d’un sens plus fort certains mots. Mais le moment le plus puissant, c'est quand on écrit les dialogues. Parce que c'est là qu'on caractérise les personnages.
Comment est-ce qu'un projet comme Wara est accueilli localement, par la population, les autorités ?
Moi je suis Africain... Et ça fait longtemps que je travaille avec eux, que je fais des séries là-bas avec eux. J'ai vite senti que la population était en attente. On a évolué ensemble. Et du coup, les gens de là-bas me font confiance.
La série a été financée par le CNC et par l’Agence Française de Développement ?
Oui et on est très fier de leurs investissements. Voir que le CNC s'intéresse à ces productions-là, démontre qu'on peut réussir. On a choisi deux réalisateurs du collectif Kourtrajmé, pour filmer les 8 épisodes en « crossboard », de décor en décor : Toumani Sangare? et Oumar Diack, qui étaient vraiment complémentaires. On a fusionné la mise en scène, pour pouvoir tourner sur deux plateaux en même temps et on a réalisé 8 épisodes de 45 minutes en 7 semaines. Ce n'était pas facile, mais je savais que c'était la bonne méthode, car je n’étais pas sûr de pouvoir y revenir. Là-bas, il n'y a pas forcément de position contractuelle. On peut prendre un décor un jour et la fois d'après, quelqu'un peut vous dire que c'est fini !
Est-ce que vous avez envisagé Wara comme de « l'Edutainment », de l'éducation par le divertissement, afin d'aider à promouvoir la démocratie au Sahel ?
Non, c'est le but d'une partie du financement, notamment l'AFD. Mais pour moi, ce qui est vraiment important, au-delà du message politique et social, c'est de raconter des histoires, pour qu'elles se propagent. De partager. Avec les gens sur place. Comme ce que ce jeune auteur, venu d'un petit coin du Niger, a bien voulu partager avec moi. On n'imagine pas ce qu'est l'Afrique aujourd'hui, l'Afrique contemporaine. J'ai pris conscience très vite, en travaillant là-bas, que le Français est une langue pratiquée avec énormément de richesse et de couleurs hors de France.
La série s'intitule finalement Wara, ce qui signifie « le Lion ». A quoi correspond ce titre ?
Wara, c’est « le lion » en Bambara, qui est la langue d'une ethnie malienne. L'idée, c'était de donner cette force à ce professeur de faculté. Que les jeunes autour de lui s'emparent de leur propre pouvoir. Parce que le destin de la planète est entre leurs mains. On a besoin de la jeunesse pour grandir, pour évoluer et cela correspond à mon parcours personnel en Afrique. J'ai grandi et j'ai changé en Afrique.
Wara, saison 1 en 8 épisodes, à voir sur la plateforme en ligne TV5 Monde Plus.