Chroniques animées d’un procès pour l’Histoire

Chroniques animées d’un procès pour l’Histoire

13 novembre 2024
Séries et TV
Le Grand Procès
« Le Grand Procès » de Bahareh Akrami et Camille Duvelleroy Arte France / Galaxie Presse

Rescapée des attentats du 13 novembre 2015, la dessinatrice Bahareh Akrami a suivi le procès qui s'est tenu à Paris de septembre 2021 à juin 2022. Dans Le Grand Procès, série documentaire animée pensée pour les réseaux sociaux d’ARTE, elle retrace les dix mois d’audience mêlant dessins, photos, collages, textes et voix off. Elle nous en raconte la démarche et les ambitions.


Le soir du 13 novembre 2015, Bahareh Akrami se trouvait au bar Le Carillon, à Paris, l’une des cibles des attaques terroristes. Enceinte de sept mois, la dessinatrice en réchappe miraculeusement, tout comme ses proches. Six ans plus tard, au deuxième jour du procès, elle décide de se constituer partie civile et de témoigner de ce qu’elle a vécu. La trentenaire, dont la famille a fui l’Iran, va ensuite faire son propre récit du procès sur Twitter et Instagram, avec authenticité et humour, sous la forme de comptes-rendus dessinés. Ils donneront naissance à un livre, On aurait aimé savoir, paru en novembre 2023 (Ed. Steinkis), et désormais à une minisérie intitulée Le Grand Procès, réalisée par Camille Duvelleroy, disponible sur Arte.tv, l’application ARTE Shorts et les réseaux sociaux de la chaîne.

Cette minisérie est-elle le prolongement naturel de vos précédentes œuvres ?

Bahareh Akrami : Au départ, il y avait les comptes-rendus du procès que je « postais » moi-même sur Instagram et Twitter. J’ai commencé en janvier 2022 et, à ce moment-là, il n’y avait aucune volonté de ma part d’en faire un livre, une série, ou quoi que ce soit d’ailleurs. C’était juste un besoin personnel de raconter ce qui se passait dans cette salle d’audience, d’extérioriser, de comprendre. Et aussi de partager avec les autres. En avril, durant le procès, j’ai été contactée par la réalisatrice Camille Duvelleroy. Elle m’a envoyé un message privé me disant qu’elle voulait faire une minisérie avec ARTE, destinée aux jeunes, avec l’idée de transformer mes dessins en BD animée. J’ai fini le procès et mes comptes-rendus et j’ai commencé à travailler sur la publication du livre. En parallèle, nous avons démarré la minisérie, qui nous a demandé deux ans de travail. Ce qui m’a vraiment motivée à accepter ce projet, c’est que dans le message de Camille – et je le dis en plaisantant ! – il y avait des mots-clés qui ont résonné chez moi : « jeune » et « ARTE ».

Quand je dessine et que je fais des comptes-rendus, sur n’importe quel sujet, je suis dans l’instantané et la spontanéité.

Quelles différences voyez-vous entre la minisérie, le livre et vos comptes-rendus sur les réseaux sociaux ?

Je dirais que la grosse différence tient du fait que la minisérie est destinée à un public plus jeune. Nous avons donc accentué les efforts de vulgarisation, en essayant d’être encore plus accessibles. Nous avions plus de recul, mais il fallait tout de même réussir à résumer cela en 13 épisodes, ce qui était loin d’être facile ! Le livre fait 300 pages et est assez dense ; il y avait donc un travail de synthèse et de recherche de thématiques claires à entreprendre. Nous avons aussi choisi de faire une série au format vertical, comme sur les réseaux sociaux, en raison de la cible visée, les 18-24 ans, voire les 18-30 ans. D’ailleurs, au départ, nous pensions publier sur TikTok. Mais pour des raisons d’algorithme changeant, nous sommes passés sur d’autres plateformes. La bonne surprise, c’est qu’ARTE diffuse la série sur tous ses canaux. Ce qui est parfait car nous voulons toucher ceux qui ne s’étaient pas intéressés au procès ou même qui n’en avaient jamais entendu parler.

Comment résume-t-on plusieurs mois de procès en treize épisodes de cinq minutes ?

Nous avons commencé par rédiger des synopsis à partir desquels nous avons fait un gros travail de brainstorming de trois jours avec Camille Duvelleroy. C’est pendant ce temps-là que nous avons défini les thèmes de chaque épisode. Ensuite, j’ai pris le relai pour écrire les scénarios, en ajoutant les dialogues, les textes… Il fallait vraiment en passer par ce moment entre Camille et moi, qui a permis d’affiner les choses. Je racontais, je racontais, et Camille tirait les fils. C’était comme une sorte de psychanalyse pour moi. Quand je dessine et que je fais des comptes-rendus, sur n’importe quel sujet, je suis dans l’instantané et la spontanéité. Durant le procès, je passais la journée au tribunal et je dessinais le soir même. Je me demandais d’ailleurs parfois pourquoi j’avais écrit telle ou telle chose. À certains moments, c’était de l’ordre de l’inconscient. Revenir dessus ne s’est pas fait sans douleur. Ça pouvait me faire sourire aussi, mais Camille cherchait vraiment à comprendre ce qui m’avait animée, elle voulait décortiquer une intention dont je n’avais pas conscience. Naturellement, beaucoup de petites anecdotes me sont revenues à partir de là. On les retrouve dans la série.

Ces « petites anecdotes », paradoxalement, racontent aussi bien le procès et les gens qui y ont participé que les moments hors de la salle d’audience…

Oui, car c’est dix mois de procès, mais aussi dix mois dans la vie de quelqu’un qui suit un procès. J’ai rencontré énormément de gens en dehors de la salle d’audience. Ces rencontres, elles se sont faites sur les marches ou autour du tribunal…

Durant le procès, je passais la journée au tribunal et je dessinais le soir même.

Vous étiez au cœur des attentats et pourtant vous avez un point de vue rare, puisque vous ne vous considérez pas comme une victime…

Je le dis souvent : je ne suis pas traumatisée, parce que je n’ai perdu personne… J’ai l’impression d’aller bien. Si j’avais perdu mon meilleur ami, mon ex-conjoint, ou même mon enfant à naître au moment des attentats, je ne peux pas dire que j’aurais pris du recul ou que j’aurais fait preuve de distance face à la mort. Ce serait d’ailleurs très naïf de le penser. Mais il est vrai que durant ces dix mois de procès, j’ai vu beaucoup d’autres parties civiles, des victimes ou des proches de victimes, qui avaient perdu des êtres chers. Malgré cela, ils arrivaient quand même parfois à prendre du recul. L’humour existait aussi dans les discussions, dans les conversations, et il était important de le montrer.

Comment avez-vous décidé de la forme à donner à la série, qui est un mélange de dessins, de photos, de collages, de textes, de voix off…

Grâce à Camille Duvelleroy et à l’équipe d’animation. Au début, nous voulions que la voix dise ce qui était écrit, mais nous avons vite compris que ça ne fonctionnait pas. Ce qui est écrit n’est pas toujours ce qui est dit, car cela nous permet de faire passer certaines choses plus facilement, et d’ajouter des expressions très orales. Pour les collages, c’est vraiment Camille qui a réussi à entrer dans ma tête, en s’inspirant de mes comptes-rendus. On y trouvait déjà des dessins, du texte et parfois des références graphiques issues d’autres univers. Même la mise en page avait une forme de collage. Elle a cherché à retranscrire tout ça d’une manière différente. J’ai adoré – et je ne le savais pas au début – l’ajout du partenariat avec l’AFP et des dessins de Benoît Peyrucq, dessinateur de presse judiciaire. Je trouve que cela apporte beaucoup à la série.

L’humour existait aussi dans les discussions, dans les conversations, et il était important de le montrer.

Qu'est-ce qui vous a marquée dans le déroulé du procès ?

Je n’avais jamais vu les parties civiles occuper une place aussi importante dans la presse au cours du procès. Mediapart les faisait régulièrement intervenir. Il y avait aussi le journaliste David Dufresne, qui faisait des chroniques pour France Info. Moi, je suis arrivée un peu de nulle part. Personne ne me connaissait, je ne faisais pas partie des panels ou des dispositifs déjà en place. Mais il me semble que cette démarche médiatique était justement une réponse à une critique préexistante, car des moyens avaient été mis en place pour y répondre. Même au sein du procès, il y avait des moments où cette présence directe des victimes prenait le dessus, par exemple pendant les plaidoiries des parties civiles. On se souvient des témoignages de certaines victimes venues en personne partager leurs souvenirs de cette soirée, mais pas vraiment des plaidoiries de leurs avocats. Il est en effet difficile pour un avocat de raconter aussi bien qu’une victime ce qu’elle a vécu.

La comédienne Sara Forestier est la voix off du Grand Procès. Pourquoi ce choix ?

Sara Forestier m’avait contactée via Instagram pendant la publication de mes comptes-rendus, pour un projet qui n’avait rien à voir. Elle m’a envoyé un scénario, et en le lisant, j’ai retrouvé dans son écriture une façon de parler qui m’était proche. C’est là que je me suis dit : « Ah, mais elle parle comme ça dans la vraie vie. Comme moi ! » Quand l’idée de la minisérie a émergé, je me suis dit que si Sara prêtait sa voix au projet, ça ne sonnerait pas faux. Puis, les choses se sont déroulées le plus simplement du monde : nous lui avons proposé et elle a accepté.

LE GRAND PROCÈS – 13x5MN

Affiche de « Le Grand Procès »
Le Grand Procès Arte France / Galaxie Presse

Une série documentaire en animation de Bahareh Akrami et Camille Duvelleroy
Écriture et dessins : Bahareh Akrami
Réalisation : Camille Duvelleroy
Commentaire dit par Sara Forestier
Production : ARTE France, Galaxie Presse
A partir du mercredi 13 novembre 2024 sur l’appli mobile ARTE (dans l’onglet “Shorts“), le compte @artefr sur Instagram, Snapchat, Facebook et X.

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