Comment est née cette envie de transposer votre podcast en série documentaire pour la télévision ?
Philippe Collin : Il y avait un désir de France Télévisions et de Radio France, un heureux concours de circonstances. Personnellement, j’y étais très favorable. D’abord parce que tout ce qui peut renforcer l’image de Léon Blum me paraît essentiel. Et puis j’avais passé des mois avec Blum dans les oreilles, beaucoup d’univers sonores, et là on passait à un récit visuel, avec une iconographie très variée. Je me suis dit que les auditeurs qui avaient écouté le podcast allaient se réjouir de pouvoir se replonger dans le récit de la vie de Léon Blum, cette fois en images.
Pourquoi vous êtes-vous intéressé à Léon Blum au départ ?
Philippe Collin : Parce qu’il est toujours réduit à 1936, aux congés payés. Pour la petite histoire, j’ai rencontré Blum à l’université. Il a été mon premier sujet de travaux dirigés à la fac. Je suis issu d’un milieu conservateur, et Léon Blum m’a ouvert à un autre champ de possibles et de réflexions. J’ai une dette envers lui. Léon Blum m’a appris à penser autrement qu’à travers la matrice qui était la mienne. Il m’a accompagné dans la vie. Alors, au fil de ces podcasts historiques sur France Inter, je me suis dit que c’était le moment de parler de lui. Il était temps pour moi de rendre à Blum ce que je lui devais. Et je crois que nous avons réussi à réactiver au passage une forme de mémoire autour de lui, à le faire revenir dans le spectre politique.
Florence, aviez-vous écouté ce podcast ?
Florence Platarets : Nous nous connaissons depuis longtemps avec Philippe. Nous avons travaillé ensemble sur l’émission Personne ne bouge pour ARTE. Je suis son travail, j’ai écouté tous ses podcasts et j’étais ravie de partir sur ce projet avec lui. Nous réfléchissions déjà à ce moment-là à des documentaires d’histoire chez Agat Films, et cette idée est arrivée au bon moment.
Qu’est-ce qui fait que Léon Blum est un personnage de feuilleton selon vous ?
Philippe Collin : C’est totalement un personnage de feuilleton et c’est pour ça que j’ai sous-titré la série Une vie héroïque. Ce que les historiens, qui n’aiment pas les héros, m’ont reproché d’ailleurs. Mais pour moi, un héros est une personnalité qui fait preuve de courage et de bravoure dans sa vie. C’est le cas pour Léon Blum. Il a été courageux du début à la fin de sa vie et c’est ça qui fait de lui une figure tellement romanesque. Et puis Blum avait une fascination littéraire pour l’œuvre de Stendhal et ses héros. Je crois qu’il a tenté d’avoir une vie qui pouvait ressembler à celle d’un Julien Sorel ou d’un Lucien Leuwen. Par ailleurs, le feuilleton de sa vie, c’est aussi le feuilleton de l’histoire de l’Europe au XXe siècle, de l’affaire Dreyfus aux deux guerres mondiales.
Comment avez-vous adapté le format radiophonique au format télévisuel ?
Florence Platarets : Ce fut une grande première. J’y suis allée de manière empirique, méthodique. Je suis partie du tout début, c’est-à-dire que j’ai réécouté tous les rushes des entretiens de Philippe pour le podcast. Il y avait à peu près vingt-quatre heures d’interviews. Et je me suis rendu compte que cette matière géniale avait aussi une forme bien différente des entretiens que nous pouvons recueillir pour la télévision. Parce que ce sont des entretiens radio, réalisés dans des studios, sous forme de discussions. J’avais envie de conserver cette parole-là pour la faire perdurer à la télévision. Nous nous sommes donc dit que nous n’allions pas refaire les entretiens pour les filmer. Nous nous sommes lancé ce défi de laisser les sons des historiens en simple voix off. Nous avons constaté que ça marchait bien. Alors nous avons gardé cette idée pour ensuite construire le récit en images d’une autre manière.
Quel a été le travail de recherche, en amont, pour illustrer ce récit ?
Florence Platarets : La recherche d’iconographie a été très importante. La série dure trois heures et comme nous n’avons pas d’images des entretiens, il faut tout illustrer. Deux documentalistes ont effectué un travail de recherche complètement fou parmi les archives historiques, pour retrouver des images d’époque. Nous avons des archives sur Blum, liées à la personnalité politique qu’il a été. Le plus dur étant de savoir comment mettre en images sa vie privée, qui, évidemment, a été nettement moins documentée… Nous avions quelques photos mais pas plus. Les documentalistes ont alors cherché des images issues de la fiction, qui sont des images d’évocation. C’est intéressant aussi de sortir du factuel pour chercher une mise en récit de ce côté-là. Enfin, nous avons eu recours à de l’animation, grâce à des dessins de Sébastien Goethals que connaît bien Philippe. Ces dessins amènent une autre dimension à la narration...
Comment ne pas trahir l’identité sonore et narrative du podcast ?
Philippe Collin : J’avais toute confiance en Florence. Nous nous connaissions bien et je savais qu’elle saurait respecter une forme d’élégance que nous avions essayé d’atteindre dans le podcast. J’avoue que j’étais un peu inquiet de laisser les entretiens en voix off. Mais quand elle m’a montré la première séquence montée, j’ai vu que ça fonctionnait. Ça permettait de garder ce ton particulier de la discussion, très lié à la radio, où l’interlocuteur ne se demande pas, face caméra, de quoi j’ai l’air. La caméra n’est plus là et nous avons un autre accès à la parole historienne. Florence a su garder la patte du récit dans la voix des historiens. Il y a un vrai effet miroir entre ce que nous avons produit et ce qu’elle a produit.
Le podcast dure neuf heures et la série trois heures. Comment choisit-on les coupes à effectuer ?
Florence Platarets : C’est un travail en entonnoir. On part d’une matière énorme et après on coupe, on coupe. Dans le podcast, Philippe a du temps, plus que nous à la télévision, donc il peut laisser la parole se déployer. À la radio, on n’a pas peur de la répétition. L’écriture télévisuelle la supporte moins, et donc il faut condenser. D’autant que l’image prend beaucoup le relais du texte. Il y a plein de sons que j’avais gardés et que j’ai enlevés parce qu’ils étaient redondants avec les images.
Quel pourrait être le sujet d’une nouvelle adaptation d’un de vos podcasts en série documentaire, Philippe ?
Philippe Collin : Mon prochain podcast sortira le 11 décembre et sera consacré à Alfred Dreyfus. Beaucoup de choses sont liées à l’affaire Dreyfus. Les auditeurs qui nous suivent depuis quatre ans sur France Inter vont être surpris, parce que nous recroisons tous les personnages des podcasts précédents : Blum, Pétain, Lucie Aubrac… C’est fascinant de voir comment cette affaire a façonné la France du XXe siècle. Ce sera forcément plus difficile à adapter en format télévisuel par la suite, parce que les images d’illustration vont cruellement manquer. Mais en attendant, nous allons adapter, aussi pour France Télévisions, le podcast sur « Les Résistantes ». Il sera diffusé en avril ou en mai prochain.
Face à l’histoire : Léon Blum, une vie héroïque
Série documentaire inédite en 4 épisodes de 45 min à revoir en intégralité sur la plateforme France.tv
Adaptée du podcast original de Philippe Collin sur France Inter
Écrite par Philippe Collin
Réalisée par Florence Platarets
Lectures de : Charles Berling et Bérengère Warluzel
Produite par Agat Films & Cie en coproduction avec Radio France
Soutien du CNC : Fonds de soutien audiovisuel (automatique et avance)