Comment donner à voir, et à entendre, la musique à la télévision ? Cette question, sans doute aussi vieille que l’ORTF, est aujourd’hui reformulée par l’émission d’Arte Echoes with Jehnny Beth. Lancé en janvier 2020, ce programme à la forme audacieuse réunit, à chaque numéro, trois groupes ou artistes, invités à jouer en live puis à converser entre eux, dans une discussion libre menée par la musicienne et comédienne Jehnny Beth.
Connue comme leader du groupe punk Savages, nommée au César du meilleur espoir féminin pour Un amour impossible, prochainement à l’affiche de Kaamelott – Premier Volet d’Alexandre Astier et des Olympiades de Jacques Audiard, Jehnny Beth a la particularité de ne pas être une journaliste ou une animatrice « classique » : c’est une artiste – un élément qui instaure une camaraderie et une complicité naturelles avec ses interlocuteurs. Née en France mais ayant longtemps vécu à Londres, Jehnny Beth est également parfaitement bilingue, ce qui est pratique quand vos guests se nomment Kim Gordon (ex-membre du groupe Sonic Youth), Geoff Barrow (fondateur de Portishead), King Krule ou Ed O’Brien, guitariste de Radiohead.
« Arte a lancé un appel à projets, la chaîne recherchait une émission musicale dans la lignée de One Shot Not [présentée par Manu Katché et Alice Tumler entre 2007 et 2011, NDLR], explique Vincent Munié, producteur exécutif d’Echoes au sein de Walter Films. Le cahier des charges était à la fois large et précis, ce qui témoigne de la grande liberté qu’Arte laisse à ses producteurs. Il s’articulait autour de trois points : proposer un véritable événement live, réinventer le genre de l’émission musicale, et permettre une transversalité avec le numérique. »
C’est ainsi que va germer Echoes, nourrie de la connivence artistique de Walter Films avec Jehnny Beth. Les invités, dès le premier numéro (un plateau réunissant les groupes Primal Scream, Idles et Life), répondent présents non seulement pour le live, mais aussi pour le plaisir d’être questionnés par quelqu’un qui partage avec eux des convictions, un goût de la radicalité et de l’indépendance, une idée de la musique comme engagement personnel. « Jehnny Beth étant musicienne, ça donne en effet un caractère un peu spécial à ces conversations », confirme Vincent Munié. Conversations qui, par leur décontraction, leur côté buissonnier, leur refus de la pensée prémâchée et du formatage télévisé, peuvent évoquer une idée de la télé en liberté telle qu’on la pratiquait dans les années 70. Le décor du Yoyo, club logé au sein du Palais de Tokyo, où ont été enregistrées les premières émissions (avant que l’épidémie de Covid ne contraigne Echoes à être tournée en huis clos), évoque « un lieu de nulle part, une boîte de nuit berlinoise de la fin des seventies, explique Vincent Munié. On a fait le choix de cette lumière froide, d’un décor très looké, très conceptualisé, très identifiable. L’émission est bâtie autour des fondamentaux de Walter Films, cette envie de soigner les choses. On veut que les musiciens et le public se sentent bien et que ce confort soit perceptible à l’écran. »
Cette atmosphère élégante et hors du temps est au service d’un discours par ailleurs très moderne sur le métissage culturel. En conversant ensemble, les artistes peuvent se trouver des préoccupations communes, qu’elles soient esthétiques ou politiques. Quant à la forme de l’émission, elle revendique elle aussi ce désir d’hybridation, en mêlant les concerts des artistes invités et en multipliant les « échos » entre la musique et les paroles échangées sur le plateau. « Echoes se veut un objet de qualité, une véritable émission de télé qui véhicule l’idée que le live peut aussi être une forme d’écriture, conclut Vincent Munié. Les concerts d’Echoes ne pourraient pas exister ailleurs ou autrement, ils sont complètement subordonnés au programme. On ne présente pas trois concerts à la suite, mais on les mélange, en résonance avec le propos qui se déploie pendant les discussions. Il y a une idée de liberté. Surtout, on retient de certains modèles anglo-saxons que l’émission musicale est un genre à part entière. Il ne faut surtout pas en faire un sous-objet, une frustration. On veut faire une émission de télé qui soit fière de l’être. »