« Samuel », une série animée à hauteur d’enfant

« Samuel », une série animée à hauteur d’enfant

03 mai 2024
Séries et TV
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Samuel
« Samuel » créé par Émilie Tronche Les Valseurs / Arte

Avec sa mini-série, qui cumule plus de 25 millions de vues sur Arte.tv et les réseaux sociaux, Émilie Tronche dépeint le quotidien d’un garçon de 10 ans, Samuel, entre premiers émois et angoisses de grands. Plongée dans le processus créatif de l’autrice-réalisatrice-illustratrice-interprète à l’imagination débordante.


De quelle manière votre parcours vous a-t-il amené à la série Samuel ?

Émilie Tronche : Après le lycée, je suis entrée aux Ateliers de Sèvres en prépa animation. J’ai ensuite intégré l’EMCA [École des Métiers du Cinéma d’Animation – ndlr] à Angoulême. J’ai obtenu mon diplôme quatre ans plus tard. En 2020, j’ai participé à la collection de courts métrages « En sortant de l’école » [coproduite par Tant Mieux Prod et France Télévisions] qui consistait à réaliser un film en lien avec l’univers poétique de Paul Verlaine. Je venais de passer une année très intense en termes de production, car il s’agissait d’un film de commande très cadré pour lequel j’avais été limitée dans mes choix artistiques. Une fois ce projet terminé, j’ai eu envie de revenir à un sujet léger. Je me suis mise en tête de réaliser un petit film très rapide sur l’enfance, qui est devenu le premier épisode de Samuel. Je l’ai publié sur Facebook et Instagram. J’ai eu des retours positifs, ce qui m’a poussée à continuer.

Pourquoi ce sujet de l’enfance ?

Je savais que je voulais raconter une histoire d’amour. Inscrire ce récit dans la période de l’enfance m’a permis d’aller à l’essentiel. Je n’avais également pas beaucoup de moyens puisqu’au départ, j’étais seule sur le projet, et par ce biais je pouvais un peu tricher. Surtout, me replonger dans mes souvenirs et essayer d’imiter des enfants m’amusait. Un peu comme quand on est petit et qu’on joue au « papa et à la maman ». Sauf qu’ici c’était l’inverse !

J’ai fait sortir toutes mes pensées, même les plus parasites, afin de retrouver cette spontanéité inhérente à l’enfance.

Comment avez-vous remonté le temps ?

Enfant, je voyais mes parents rencontrer des difficultés à se remémorer leur jeunesse quand je leur posais des questions sur des aspects qui me paraissaient évidents. Avec mes deux sœurs, nous avons toujours aimé se souvenir de détails de notre enfance, se les rapporter, cultiver la mémoire et faire travailler ce muscle ! Nous adorons déterrer les souvenirs les plus enfouis. Par ailleurs, il se trouve que j’ai toujours grandi dans la même ville, de la maternelle au lycée, et je repassais toujours devant les lieux qui ont marqué mon enfance, ce qui m’a permis de ne rien oublier.

Comment avez-vous imaginé le scénario de Samuel ? La série renvoie à des éléments caractéristiques d’une période et également d'une époque – la récitation de poésie, l’épervier, les feuilles Diddl, MSN... 

J’ai écrit chaque épisode en partant d’une anecdote précise : les jours de pluie sous le préau, les répétitions de la chorale sur le carrelage froid de la cantine, les passages au tableau... Quelque chose qui résonne, qui est lié à une sensation de bouleversement chez l’enfant. Ensuite, j’ai brodé autour : je me suis mise devant une page blanche, et j’ai commencé à écrire très vite en me glissant dans la peau du personnage. J’ai fait sortir toutes mes pensées, même les plus parasites, afin de retrouver cette spontanéité inhérente à l’enfance. J’ai aimé alterner entre un langage soutenu et des phrases grammaticalement incorrectes, comme le font les enfants. J’ai essayé de trouver une justesse, de ne pas tomber dans le cliché car je ne voulais surtout pas les rendre plus mignons que ce qu’ils sont réellement.

Pourquoi avoir choisi un garçon pour matérialiser vos souvenirs d’enfance ?

Ce choix m’est venu très rapidement, dès la création du premier épisode. J’ai fait apparaître Samuel sans réfléchir, et je pense qu’il m’a permis de m’éloigner du côté autobiographique. J’ai souhaité que Samuel reste une fiction pour me distancer du protagoniste. Un personnage féminin aurait sans doute soulevé d’autres sujets avec une plus grande implication émotionnelle de ma part. J’aurais été moins observatrice comme je le fais ici avec Samuel.

Samuel évoque également le moment charnière du passage du primaire au collège. Pourquoi cette période ?

Début 2021, quand j’ai rencontré mes producteurs des Valseurs, j’avais déjà réalisé quatre épisodes. Je les ai publiés sur Facebook et ils ont attiré l’attention de Damien Megherbi. Ensemble, nous avons décidé d’en faire une série un peu plus longue de 10 épisodes qui se terminait à la fin du primaire. Lorsque la chaîne Arte a rejoint le projet pour en être le diffuseur, elle m’a demandé de réaliser le double d’épisodes. Mais je ne voulais pas surcharger la période du primaire. J’ai alors choisi de continuer avec ce passage au collège, qui marque une rupture. Mais je m’arrête juste avant la puberté, le moment où tous les problèmes arrivent !

 

Quel était votre processus pour concevoir les story-boards ?

J’ai fait beaucoup de danse, donc j’aime me servir du mouvement pour dessiner. Je vois la mise en scène comme une chorégraphie. C’est pourquoi j’ai utilisé la vidéo en référence. Je me suis mise en scène, pour aller au plus proche de l’énergie et de la façon de bouger d’un enfant au niveau des postures comme au niveau des expressions du visage. Ce travail m’a donné l’occasion d’habiter mes personnages, de mieux les écrire, de leur trouver une personnalité. La plupart du temps, je me suis filmée en train d’imiter les scènes dans mon salon. Ensuite, j’ai importé ces vidéos dans mon logiciel TVPaint et j’ai sélectionné les poses qui m’intéressaient le plus avant de les redessiner. Une nouvelle écriture est née avec le rythme de l’animatique. J’ai parfois dû changer des mots ou des phrases pour que tout s’organise au mieux et paraisse naturel.

Comment s’est déroulé le travail d’animation de la série ?

J’ai travaillé en équipe aux côtés de cinq autres animateurs qui venaient majoritairement de ma promo de l’EMCA. Ils ont tous été très efficaces ! Quand nous avons commencé l’animation, il me restait encore six épisodes à storyboarder. J’étais assez stressée. Mon assistante réalisatrice Florine Paulius, qui est aussi une superbe animatrice, s’est tour à tour imposée en cheffe de file. J’ai poussé assez loin les animatiques, car je voulais que l’intention soit claire et précise pour faciliter le travail des animateurs.

Je vois la mise en scène comme une chorégraphie.

Pourquoi ce choix d’un graphisme en 2D, avec des traits noirs sur fond blanc ?

Ce dessin naïf et cet aspect croquis se prêtent bien à l’histoire, et au fait que Samuel écrive dans un journal. Ces traits simples me permettent aussi un certain contraste : je peux ajuster les niveaux, créer des scènes très dynamiques ou bien fixes pour laisser plus de place à la musique.

Qu’est-ce qui a guidé la conception de la bande sonore de la série ?

Il fallait que les musiques choisies correspondent aux séquences. Parfois, j’ai écrit l’histoire même en fonction d’elles ! Tout est organique dans mon travail, l’image et la musique sont très liées. Quand j’enlevais une musique pour des questions de droits musicaux, il fallait que je réécrive la scène et que j’en change le sens. Par exemple dans l’épisode du château, la première partie est cadencée, lente, les regards et le placement de la voix off sont en rythme avec cette mélodie au piano. La deuxième partie, la scène de l’épervier sur « Palos » de La Paloma, est à l’inverse beaucoup plus énergique et m’a permis de partir dans tous les sens.

Pourquoi avoir choisi d’interpréter les voix de tous vos personnages ?

Toutes les décisions artistiques ont été prises au moment où j’étais seule, sans producteur. Comme j’ai voulu une série rapide et efficace, j’ai utilisé mon enregistreur afin d’imiter une voix de petit garçon pour Samuel et j’ai posé ma voix sur tous les autres personnages. Mes producteurs ont beaucoup aimé et ont voulu garder ma voix pour Samuel. Cependant, la question s’est posée pour les personnages secondaires. Arte a préféré que j’incarne tous les personnages alors que de mon côté j’étais plutôt d’avis de choisir des doubleurs afin de faciliter la compréhension des dialogues. Mais finalement ce choix s’est accordé parfaitement avec le sujet de la série : Samuel écrit dans un journal intime. Ce qu’il y raconte est subjectif et il interprète tout avec sa propre voix.

Samuel est la première série produite par Les Valseurs. Comment s’est passée cette collaboration ?

Nous avons beaucoup appris durant cette production. Et Samuel a été un projet faussement simple ! D’extérieur, la série semble légère mais elle a pris progressivement de plus en plus d’ampleur notamment quand les producteurs espagnols [Pikkukala – ndlr] ont rejoint le projet pour l’adapter en espagnol…

Samuel a dépassé 25 millions de vues en seulement 1 mois et demi. Comment avez-vous vécu le succès de la série ?

J’essaye de garder la tête sur les épaules. J’anticipe peut-être le moment où l’engouement va retomber et qu’il faudra redémarrer, trouver une nouvelle idée, faire d’autres films. Mais je suis très heureuse, je continue de recevoir des messages de personnes qui se reconnaissent dans le personnage. Je vois que certains internautes imaginent des suites, d’autres me demandent l’autorisation de se faire tatouer Samuel ! C’est fou de se dire que ce personnage que j’ai créé en quelques heures fait maintenant l’objet de montages et de fanarts. Samuel a pris des proportions énormes, mais je tente de faire en sorte que le succès ne m’envahisse pas trop. Cela peut être vertigineux.

Y aura-t-il un deuxième journal de Samuel ?

Nous en discutons avec mes producteurs ! Il est vrai que j’aime l’idée d’un objet de fiction isolé car cela lui donne une certaine rareté, mais je ne peux m’empêcher d’imaginer la suite des aventures de Samuel, Bérénice, et de la grande Julie.
 

SAMUEL – 21 x 5mn

Affiche de « Samuel » réalisé par Emilie Tronche
Samuel Les Valseurs -Arte

Réalisatrice, autrice, interprète : Émilie Tronche
Assistante réalisatrice : Florine Paulius
Animation : Antoine Causaert, Mina Convers, Quentin Marchand, David Mendes, Lise Rémon, Florine Paulius
Montage : Jérôme Bréau
Production : Les Valseurs, Arte France
Diffusion : Arte France

Soutiens du CNC : Aide à l’écriture, Aide au développement, Aide à la production