La captation d’Hippolyte et Aricie était-elle prévue avant même que la diffusion en direct soit envisagée ?
Oui. Nous collaborons depuis de nombreuses années avec le Théâtre National de l'Opéra Comique et nous les accompagnons sur un certain nombre de spectacles pour produire les captations et permettre leur exploitation en DVD.
Comment s’est faite la bascule entre les représentations et la captation diffusée en direct sur Arte Concert et France Musique ?
Cette décision a été prise en plusieurs étapes. Après l’annonce du couvre-feu, l’Opéra Comique a rapidement réagi en reprogrammant en quelques heures toutes les représentations. La première, qui devait avoir lieu le 12 novembre, a ainsi été déplacée au 11 novembre ce qui leur permettait de jouer en matinée, la journée étant fériée. La mise en scène d’une pièce est pensée pour une salle avec du public et c’était d’autant plus important pour Hippolyte et Aricie qui présente une très forte imprégnation théâtrale dans le sens où le modèle de cet opéra est quand même la pièce Phèdre de Racine : l’œuvre et la musique ont donc une dimension théâtrale très forte. Pour accentuer cet aspect, Jeanne Candel (la metteuse en scène) et Raphaël Pichon [à la direction musicale, NDLR] ont choisi de faire un prologue théâtral qui vient ici se substituer au prologue musical qui est généralement, dans ce genre d’œuvres, une sorte d’hymne à la gloire des souverains qui n’a pas forcément toujours un impact narratif et dramatique évident. Le prologue imaginé par Jeanne et Raphaël, et incarné par un comédien, créait une véritable complicité entre le public et la scène. Ils pouvaient donc l’adapter… jusqu’à l’annonce de la fermeture totale des lieux culturels. Le gouvernement a malgré tout donné la possibilité d’aller jusqu’au bout du processus de création sans public dans la salle. Imaginez le travail d’adaptation nécessaire pour un tel spectacle qui jouait énormément avec le public – des scènes de carnaval devaient par exemple se dérouler dans la salle…
Quelle a été la ligne directrice pour cette adaptation ?
Nous devions à l’origine réaliser la captation du spectacle après plusieurs représentations afin que tout le monde puisse se roder et qu’il n’y ait pas le stress de la première. Là, nous nous sommes retrouvés dans une situation incroyable : c’est vraiment la première représentation qui est diffusée… Raphaël Pichon et Jeanne Candel sont revenus vers moi en me disant : « On est dans une situation singulière. On te propose de penser un objet avec une approche beaucoup plus filmique ». Les jours de générale et de pré-générale, qui accueillent généralement du public, ont été transformés en journées de tournage. Il a fallu repenser les choses et isoler des séquences, ce qui était passionnant.
Chose qu’on ne peut habituellement pas faire pendant une représentation car il ne faut pas gêner le public et nous filmons donc depuis des emplacements discrets. Ici, il y avait une totale liberté. Nous avons travaillé deux réalisations en parallèle - celle pour le direct et avant un travail très scénarisé sur le plan de la réalisation pour le DVD – qui se rencontreront au montage.
Est-ce pour créer cette « intimité et proximité » que vous avez choisi de réaliser de nombreux gros plans des comédiens ?
Il y a aussi bien des gros plans que des séquences englobant toute la scène. La plus grande difficulté a été la responsabilité écrasante que l’on ressent avec un tel projet. On se dit en effet qu’on va donner à voir un spectacle qui n’a pas été fait pour la caméra. Ici, le public ne peut porter de regard sur l’œuvre qu’à travers notre propre regard sur la pièce et nos choix de cadre et de découpage. J’ai fait ces derniers en concertation totale avec Jeanne Candel, la metteuse en scène, même si elle m’a laissé une liberté de choix. Notre travail va se poursuivre avec le montage qui sera diffusé ultérieurement sur Arte ainsi qu’en DVD. Adapter sa mise en scène a dû être difficile pour Jeanne car son théâtre est très marqué par le saut de l’irruption inattendue et de la surprise. Il y a un vrai dialogue avec le public qui ne pouvait pas se faire là. Des séquences ne faisaient plus sens en direct, comme le carnaval dans la salle ou la sirène portée à bout de bras pour traverser l’orchestre. Le processus de pensée, d’écriture et de conception scénographique demande beaucoup de temps et d’anticipation. Des choses inattendues, comme celles qu’on vit aujourd’hui, sont des cataclysmes.
Comment vous êtes-vous imprégné, en tant que réalisateur, des contraintes du direct ?
La préparation est la clé de tout : j’ai suivi le travail depuis le début. Il faut vraiment s’imprégner du spectacle, le penser, laisser passer ses émotions, ses impressions, ses envies… Il faut évidemment discuter de la scénarisation des séquences, des valeurs de cadre et des axes. Je voulais, pour cette captation, qu’il y ait une grande liberté de regard et qu’à la limite, on ne réalise pas que le spectacle est filmé pour que le public le suive avec fluidité. Il y a eu un important travail sur la corporalité pour cette adaptation. Les chanteurs ont travaillé masqués pendant les répétitions, il y avait donc cette entrave posée sur le visage qui bloquait la voix. Ils ont dû s’exprimer autrement même si les masques ont été enlevés lors du premier tournage – ce fut d’ailleurs un moment bouleversant.
Bravo à l’Opéra Comique d’être allé jusqu’au bout de cette aventure malgré le stress et les contraintes. Cet Hippolyte et Aricie reste un souvenir inoubliable pour moi.
Pourquoi avoir choisi, en guise de fin, un plan montrant les chanteurs debout et masqués en silence dans la salle ?
Nous nous sommes demandé comment terminer. Il nous semblait impossible de faire des saluts devant une salle vide ce qui aurait été étrange. Nous avons donc voulu montrer, avec ce plan final, la détermination et cette unité incroyable qui existent entre les chanteurs, les musiciens et les techniciens qui sont tous mélangés dans ce plan.
Ce final fait-il écho aux premiers plans du spectacle qui montrent la salle vide ?
Oui, c’était notre intention. Hippolyte et Aricie est une œuvre tellement remarquable et j’étais très heureux d’avoir travaillé avec Jeanne Candel et Raphaël Pichon. Ce spectacle revient des enfers : il nous a fallu une odyssée pour qu’il existe.