Comment est née l’idée d’évoquer ces histoires à travers trente épisodes de trois minutes ?
Tout a commencé en mars 2017, avec ma lecture d’un article publié sur un site américain, Mother Jones, plutôt très à gauche et engagé politiquement. Le titre de l’article était : « I made that bitch famous », d’après une phrase tirée de la chanson Famous du rappeur Kanye West dans laquelle il parlait de la chanteuse Taylor Swift. En partant de cette polémique, les journalistes s’amusaient à remonter dans le temps pour évoquer des destins de femmes invisibilisées, allant même jusqu’à Cro-Magnon. Je me suis dit que l’idée était excellente pour la raconter en série.
Vous avez fait le choix de l’animation, un domaine qui vous était inconnu…
Oui, il m’a semblé évident que la série ne pouvait pas exister dans un format documentaire. J’avais aussi envie, visuellement, de redonner aux femmes leur place dans les livres d’histoire. Il a donc fallu établir graphiquement les choses avec mes co-réalisateurs Mathieu Decarli et Olivier Marquézy : ce livre qui s’ouvre, cette silhouette qui se détache des pages, le dialogue avec le narrateur historien et misogyne... C’était forcément de l’animation. Seul ce médium offre une telle liberté. Par ailleurs, je suis fan de Panique au village [de Stéphane Aubier et Vincent Patar, NDLR]. J’avais donc envie d’utiliser des personnages en plastique un peu absurdes. Je suis aussi très influencée par Tex Avery, notamment par son travail autour du son et des bruitages. On en parle peu, mais c’est essentiel et c’est aussi ce qui amène de la vie au projet.
D’où vient l’envie de réaliser la série en stop motion et en 2D ?
Tourner en stop motion a toujours été très clair dans ma tête. À un moment, on s’est posé la question d’utiliser la 3D, mais cette technique est trop parfaite pour moi. Avec le vrai stop motion, il y a toujours une pliure, un bout de Patafix qui reste... Ce côté artisanal me plaît beaucoup.
À quel point vos habitudes d’écriture ont-elles été chamboulées par l’animation ?
Elles ne l’ont pas été tant que cela, mais il y a des spécificités. J’écrivais les épisodes par dix, et au fur et à mesure, on « story-boardait » les scénarios. Finalement, c’est ce qui m’a fait évoluer dans l’écriture : une fois que j’avais le story-board, je partais des images pour trouver la bonne blague à placer au moment opportun, afin qu’elle soit appuyée par un élément visuel.
Comment avez-vous choisi ces trente femmes ?
Au-delà de leurs biographies, j’étais surtout intéressée par la façon dont ces femmes ont été « effacées ». Il fallait trouver des mécanismes différents les uns des autres pour l’illustrer. Par exemple, il y a énormément de femmes scientifiques invisibilisées au XXe siècle, et les cas se ressemblent beaucoup. On a donc fait une sélection : une chimiste, une astronome... afin de varier les univers des épisodes. Pour parler de ce mécanisme d’effacement, il a bien fallu raconter leur histoire, ce qui est paradoxal. Nous sommes donc certainement passés à côté de femmes qui n’ont pas encore été reconnues a posteriori.
Culottées, la BD de Pénélope Bagieu, qui a d’ailleurs été adaptée en animation. Vous acceptez la comparaison ?
Bien sûr. Mais de notre côté, on s’est principalement focalisé sur les mécanismes de disparition. C’est la vraie différence avec Culottées. On n’a pas développé la biographie de ces femmes, on s’est concentré sur ce qui a été invisibilisé précisément chez elles. On entend tout le temps parler du « patriarcat », mais c’est une notion un peu vague. Et je trouve intéressant de mettre des faits très précis sur ce que cela veut dire. Comment ça marche, vraiment, le patriarcat ?
Cherchez la femme
Réalisation : Julie Gavras, Mathieu Decarli et Olivier Marquézy
D’après une idée originale de Julie Gavras
Scénario : Julie Gavras
Production France : Les films du Bilboquet, Zadig Productions
Production Belgique : Iota Productions, Magellan Films
Diffusion : Arte
Distribution : Miam ! Animation
Durée : 30x2,30’
Avec les voix de : Aïssa Maïga, Julie Depardieu, Camille Cottin, Denis Podalydès…
Soutien du CNC : Aide aux techniques d’animation (anciennement CVS).