Vous avez été reçu le prix de la Meilleure Musique originale au festival Séries Mania, en mars dernier. Qu’est-ce que ce prix représente à vos yeux ?
Julie Roué : On a beau dire qu’on se moque des prix, être récompensée par un jury de critiques, c’est-à-dire de gens qui ont un regard et une oreille sur la manière dont la musique colle avec les images, et pas seulement la musique en elle-même, c’est une vraie reconnaissance de ma collaboration avec Erwan Le Duc, qui a débuté en 2019 avec Perdrix.
Vous travaillez pour le cinéma et les séries. Y a-t-il des différences dans la manière de composer ?
L’approche est différente, oui. Déjà, il y a une question de timing. Une série se fait beaucoup plus vite qu’un film. Donc il faut avoir préparé beaucoup de choses en amont, avant même le début du montage. On a moins le temps de chercher et le travail se fait en collaboration étroite avec les monteurs. Ensuite, pour une série, il faut être capable de tenir sur une durée beaucoup plus longue, sans lasser. On explore beaucoup les mêmes thèmes musicaux, en cherchant à se renouveler. C’est un véritable défi. Cela dit, je compose pour une série comme pour un film. La musique est réfléchie à chaque endroit. Tout est fait sur mesure.
Est-ce que le réalisateur vous dirige aussi d’une certaine façon ?
Absolument. Composer une musique de film ou de série, ce sont trois cerveaux qui réfléchissent ensemble : en l’occurrence le mien, celui du cinéaste et celui du monteur qui est aussi partie prenante dans la manière dont la musique est pensée, où elle doit être placée, à quel point on doit l’entendre, où elle doit se commencer et se terminer, etc. C’est vraiment un travail d’équipe. Ce n’est pas moi qui impose quelque chose. C’est une discussion permanente.
Vous composez le plus souvent à partir des images ou sans les images ?
Ça varie. En série, je travaille beaucoup sans, parce que je commence très amont. Dans ces cas-là, je me base sur le scénario, des discussions avec le réalisateur, ce qu’il va chercher à exprimer à travers la musique, quels instruments... Je fais mon enquête pour « psychanalyser » les cinéastes et comprendre ce qui correspondrait le mieux à leur idée. D’une certaine manière, on est plus libre pour trouver des thèmes. Mais en réalité, c’est plus compliqué à faire, notamment parce que lorsque les images arrivent, on se rend compte que la musique prend trop de place. Une musique trop riche, qui tient par elle-même, va être trop présente alors qu’elle doit être plus en retrait, pour laisser parler les dialogues et le script. Je me retrouve souvent à enlever des choses. Je fais ainsi une première version assez étoffée et ensuite je l’allège. Parfois, je me retrouve à retirer la mélodie ! Pour ne garder que ce qui est vraiment nécessaire…
Comment vous est venue la vocation d’écrire de la musique de film ?
Je ne parlerais pas de vocation. Nos rêves sont souvent conditionnés par le cadre familial, là d’où l’on vient. J’étais plutôt prédestinée à devenir ingénieur. Je faisais beaucoup de maths. Et j’ai décidé de détourner ce principe familial en devenant ingénieur du son. Approcher la musique par le côté scientifique. J’ai fait l’École Louis Lumière, où j’ai commencé à côtoyer des étudiants en cinéma et composer de la musique pour leurs films d’études.
C’est difficile d’être inspirée sur commande ?
Non pas du tout. Au contraire. Avoir un cadre, c’est ce dont rêvent la plupart des musiciens et musiciennes. Partir de rien, c’est très dur ! Voir des rushes, quelques images, la colorimétrie d’un film, ce qui se dégage des acteurs et des actrices, le rythme qu’ils peuvent mettre dans la scène, c’est ce qui m’inspire.
Faut-il savoir jouer de tous les instruments, être touche-à-tout, pour faire ce métier ?
C’est mieux. Personnellement, j’utilise ma voix, je joue du piano, un peu de la guitare. Je ne joue pas très bien… Le bonheur, c’est quand on entend des musiciens professionnels jouer et enregistrer ce qu’on a composé.
Le Graal d’un compositeur de musique de film, c’est de trouver une ritournelle qui reste et qui marque le public ?
Je crois que la bonne musique de film, c’est celle dont on se dit que le film n’aurait pas été le même sans elle. Peu importe si les gens la chantonnent après dans la rue, du moment qu’il se passe quelque chose pendant qu’ils regardent le film.
Quelle différence voyez-vous entre un compositeur de musique de film et un compositeur de chansons ?
Ce n’est pas le même métier. Ma démarche, c’est vraiment de coller à la vision du cinéaste. J’essaye de me fondre dans son univers. Je suis une page blanche, et j’essaye de trouver la musique qui sera indissociable du projet. Quelqu’un qui arrive avec son univers musical aura une approche différente. Mais ce n’est pas toujours facile de s’oublier, en tant que musicienne, en tant qu’artiste. On se demande parfois pourquoi on se met autant au service des autres. C’est pour ça que j’ai commencé à développer mon projet personnel, en faisant de la chanson à côté. Je vais bientôt sortir un EP [un disque de quelques chansons, ndlr]. Pour être très honnête, mon envie de jeune fille, c’était d’être chanteuse. Une envie que je ne m’avouais pas. J’ai fait un peu les choses à l’envers. D’habitude, les gens font d’abord leur musique et se mettent à composer pour le cinéma. Moi, il a fallu que je gagne en assurance et en technique pour me dire que je pouvais aussi monter sur scène, que j’avais des choses à raconter. Maintenant, je crois que je n’arrêterai jamais complètement de faire des musiques de film. J’aime trop les gens avec qui je travaille.
Le Monde n’existe pas
4 épisodes sur Arte.tv et dès le 26 septembre sur Arte.
Créée et réalisée Erwan Le Duc
Écrite par Erwan Le Duc et Mariette Désert
Avec Niels Schneider, Maud Wyler, Julien Gaspar-Oliveri
Produite par Nicole Collet
Sociétés Image & Compagnie, Arte France et Pictanovo Région Hauts-de-France
Soutien du CNC : Fonds de soutien audiovisuel (aide automatique à la production)
La série a par ailleurs bénéficié du crédit d’impôt audiovisuel.