Comment s’organise le clan d’Irène Gueule Tordue (la leader du groupe) ? Quels sont les liens de filiation entre les différents cachalots évoluant dans cette société matriarcale ? Comment communiquent-ils entre eux ? Ces questions sont au cœur du travail de « La Voix des cachalots », le programme d’étude et de préservation des cachalots de l’océan Indien développé par Longitude 181 et dirigé par François Sarano, un docteur en océanographie, plongeur professionnel, ex-conseiller scientifique et chef d’expédition du Commandant Cousteau. Aux côtés d’Hugues Vitry et du cadreur spécialisé en images sous-marines René Heuzey, il suit depuis plus de 7 ans un clan de cétacés dans le cadre du programme Maubydick, initié par l’association mauricienne Marine Megafauna Conservation Organisation (MMCO). Une mission également suivie par le photographe et cinéaste Stéphane Granzotto. « René Heuzey est un opérateur sous-marin très connu en France, tout comme François Sarano qui a travaillé pendant 13 ans à bord de la Calypso et qui a été conseiller scientifique de Jacques Perrin pour le film Océans. Nous nous connaissons depuis longtemps : les personnes gravitant dans le milieu de la plongée se connaissent toutes. »
Après le livre Cachalots (Editions Nemesys) retraçant en photos les nombreuses heures de plongée et d’observation, il a coréalisé Le Clan des cachalots qui suit l’une des expéditions annuelles de l’équipe. Un film documentaire produit par ARTE France, Mona Lisa Production et Label Bleu avec la participation d'Ushuaïa TV, Longitude 181 et CuriosityStream. « Nous sommes allés vers Arte car c’est une chaîne qui pouvait soutenir un tel projet grâce à sa case découverte. Mon livre a été un des éléments ayant déclenché l’envie de la chaîne de faire ce film avec nous. J’avais par ailleurs déjà collaboré avec Mona Lisa Production pour deux films [Danse avec les dauphins et Méditerranée : le royaume perdu des requins, ndlr]. Je leur avais parlé de l’éventualité de faire un film sur les cachalots et cette idée leur plaisait », explique Stéphane Granzotto en soulignant qu’il s’agit ici d’une « production classique pour un film documentaire et sous-marin » : « Aller en mer, c’est comme aller à la montagne ».
Un tournage entre terre et mer
Si une partie du film se concentre sur les plongées de l’équipe au cœur du clan de cachalots, le documentaire capte également des instants de vie sur le bateau, lorsque François Sarano et la graphiste mettent à jour les fiches d’identité individuelles de chaque cachalot ou tentent de les mesurer grâce à un drone. L’étude des sons des cachalots grâce à un outil inédit ou encore les analyses ADN réalisées pour créer l’arbre généalogique du clan sont également suivies par la caméra de Stéphane Granzotto qui n’apparait à aucun moment à l’écran. « Nous avons décidé que je serai le chef opérateur pour la partie « terrestre » du film tandis que les images sous-marines étaient réalisées par René Heuzey. Je ne me suis pas mis en scène, ce n’était pas l’objet. La personne à filmer était vraiment François Sarano qui fait ce travail de longue haleine sur le clan ».
Retranscrire à l’écran, en 52 minutes seulement, les nombreuses avancées faites par le directeur en océanographie et son équipe n’a pas été chose facile. « L’une des difficultés du film était de synthétiser la masse importante de connaissances accumulées sur ce clan puis de les rendre intelligibles et lisibles pour le public », confie Stéphane Granzotto qui a coréalisé Le Clan des cachalots avec François Sarano. Les deux hommes ont également écrit le film avec la collaboration de René Heuzey. « François et moi avons développé le sujet en nous basant sur ce que nous savions déjà et sur les contraintes classiques d’un documentaire : il fallait que ce soit vivant. Avec son expérience, René Heuzey nous a aidés à choisir la direction du film. »
Avec ce film, les trois hommes ont voulu « montrer l’unité du clan et le côté sympathique de ces cachalots à travers leur comportement et certaines images » tout en rendant compte du « travail de fourmi fait par les équipes de François pour créer les fiches d’identité et l’arbre généalogique à travers la génétique ». Leur enquête pour découvrir les différents liens entre les cachalots et leurs interactions au sein d’un groupe familial est « une première mondiale », s’enthousiasme Stéphane Granzotto. « Ce travail inédit fait actuellement l’objet de plusieurs publications scientifiques. Le Clan des cachalots n’est pas qu’un film, mais un travail scientifique toujours en cours ».
Des images sous-marines qui enrichissent
« Nous ne voulions pas seulement faire un film scientifique. Il était aussi important pour nous de laisser la place à de belles images sous-marines qui traduisent aussi à chaque fois un comportement ou un élément qui enrichit la compréhension de l’animal ». Autant de séquences qui permettent de découvrir à quel point les cachalots sont des animaux évolués ayant des liens très forts entre eux. « Ce sont souvent des clans familiaux, comme pour les bicéphales ». Mères, sœurs, enfants, cousins vivent donc ensemble et se protègent les uns les autres - une femme cachalot a par exemple pris l’habitude de s’occuper de tous les petits du clan, alors même qu’elle n’a pas enfanté. Autre particularité étonnante des cachalots, ils se sont « habitués à la présence pacifique de l’espèce humaine ». A tel point que les plongeurs peuvent les approcher de très près et nager au milieu d’eux. « En tant que plongeurs, nous sommes très curieux d’eux. Mais eux le sont encore plus de nous. Ce n’est pas anodin d’être dans l’eau avec un des plus grands mammifères de la planète qui survit grâce à la solidarité très forte existant dans le clan. On se sent tout petit, c’est magique et très fort », remarque Stéphane Granzotto.
Ce rapport particulier à l’espèce humaine peut s’expliquer par le fait que dans cette région du monde, ils ne sont plus chassés par l’homme depuis longtemps. « Il est difficile de confirmer ça d’un point de vue scientifique. Mais le fait est que la chasse dans ce secteur de l’océan Indien s’est arrêtée il y a plus de 50 ans. Ailleurs dans le monde, c’était plutôt dans les années 1980, donc presque hier. Les cachalots peuvent donc avoir des craintes vis-à-vis de l’homme car ils ont en mémoire des siècles de chasse. Les individus avec lesquels nous plongeons, et notamment Irène Gueule Tordue, n’ont jamais connu l’homme-prédateur, ce qui peut jouer dans le peu de méfiance qu’ils ont envers nous. C’est une hypothèse, mais nous nous gardons bien d’affirmer quoi que ce soit. Ce serait déplacé ». Aujourd’hui, ces animaux « sont victimes de tous nos excès dans le monde : chasse, plastique, collision avec les navires, alerte en conclusion le réalisateur. Il faut les préserver et leur survie dépend de nous. Nous avons tous un rôle à jouer ».