L'année 1988 a marqué un tournant dans l'histoire de la fiction française. Au cœur du mois de juillet, TF1 lançait la toute première saga de l'été produite dans l'Hexagone : Le Vent des moissons. Portée à l’antenne par le directeur de la fiction de TF1, Claude de Givray, le scénariste Jean-Pierre Jaubert et le réalisateur Jean Sagols, doté d’un casting solide (Jacques Dufilho, Annie Girardot et Gérard Klein) cette série racontait le parcours d'un propriétaire terrien veuf et orgueilleux, qui allait orchestrer l'union de son fils avec une voisine propriétaire de nombreuses terres. Ce coup d'essai fut un coup de maître puisque Le Vent des moissons remporta un énorme succès (plus de 35% de part de marché). Dès lors, les sagas de l'été devinrent une tradition estivale. Des Cœurs brûlés (1992) à Dolmen (2005), en passant par Le Château des Oliviers (1994), Terre indigo (1996) ou Zodiaque (2004), les chaînes proposent chaque année, entre juin et septembre, un nouveau feuilleton hebdomadaire, généralement étalé sur une demi-douzaine d'épisodes utilisant souvent les mêmes ressorts et les mêmes éléments. Décryptage.
Une héroïne forte
Le réalisateur Jean Sagols a souvent dit que l’élément essentiel de ces sagas, c’était les personnages. Au cœur de ces programmes, on trouve d’abord une figure féminine autour de laquelle s'articule toute l'intrigue. Les principales sagas de l'été ont été pensées selon une architecture narrative récurrente : une héroïne au tempérament fort et au destin contrarié doit se battre pour faire valoir son droit et bien souvent restaurer le patrimoine familial. C’est Léna Chevalier jouée par Nicole Calfan dans Les Grandes Marées, Talia Vargas incarnée par Claire Borotra dans Le Bleu de l'océan, Sandra Francœur jouée par Marie Verdi dans Sandra, princesse rebelle ou bien l'iconique Isa Mercier interprétée par Amélie Pick dans Les Cœurs brûlés...
Un domaine à défendre
La plupart du temps, ces héroïnes se débattent avec leur passé et un héritage lourd à porter. Elles sont d’ailleurs souvent en mission : elles doivent laver la mémoire de leur père et plus généralement de leur famille. Dans Tramontane, Angèle (jouée par Alexandra Vandernoot) revient d'Afrique et découvre que le domaine paternel est au bord de la faillite. Elle décide alors de créer un parc naturel régional sur les terres de ses ancêtres. Dans La Clef des champs, c'est Colombe (Christine Boisson) qui quitte Paris et retrouve sa terre natale aveyronnaise, afin de sauver l'affaire de son père spécialisé dans la coutellerie. Il y a aussi l'hôtel de « La Réserve », l'un des plus beaux palaces de la côte d'Azur, au centre des Yeux d'Hélène, ou encore « La Commanderie », la grande demeure familiale d'Orages d'été. Sans oublier Le Château des Oliviers, titre de la saga de l'été de France 2 en 1993 qui voyait la demeure ancestrale des Laborie de Sauveterre, à Châteauneuf-du-Pape, menacée de rachat par un entrepreneur bien décidé à transformer le domaine en parc d'attractions. C'est la fille de l'ancien propriétaire, Estelle (Brigitte Fossey), qui allait s’y opposer.
Un terrible secret
Malgré tout, ces sagas de l’été reposent sur des intrigues qui sont plus qu'une banale affaire immobilière. Le domaine en question est intimement lié à une sombre histoire, à un drame inavouable. Et ce non-dit, enfoui depuis des années, pèse sur les générations successives. Il est bien souvent question de fils ou de fille cachés comme dans Le Bleu de l'océan ou Méditerranée. Il peut aussi s'agir d'un parent disparu, à l'image d'Orages d'été, Avis de tempête ou d'un adultère, comme dans Le Miroir de l'eau. L'inceste est aussi parfois utilisé comme ressort narratif, comme dans Un été de canicule. Ces secrets peuvent également prendre une tournure plus criminelle et transformer la saga en polar, comme ce fut le cas avec L'Été rouge, Zodiaque et Le Maître du Zodiaque. C’est d’ailleurs la récente tendance de ces sagas : quitter le pur mélo familial pour flirter avec d’autres genres comme le thriller ou le fantastique.
Des familles qui s'affrontent
Les secrets sont indispensables pour offrir aux téléspectateurs les "retournements" qui sauront les tenir en haleine tout au long de l'été. Et ils lient généralement deux familles qui se disputent depuis des générations. Car l’autre ressort scénaristique incontournable d'une saga de l'été télévisée, ce sont les relations complexes des personnages, relations qui se font et se défont au fil des disputes et des querelles générationnelles. Dolmen raconte ainsi les histoires de quatre familles de la petite île bretonne de Ty Kern : les Kersaint, les Le Bihan, les Pérec et les Kermeur sont liés à jamais par des rivalités et des drames enfouis. Les Secrets du Volcan traite aussi des relations compliquées entre deux familles censées être les plus anciennes de l'île de La Réunion. En 2001, ce sont les turpitudes amoureuses entre les familles Valbonne et Lambrusse qui animent la saga Méditerranée. Et en 1993, les Chevalier et les Leclerc n'en finissent plus de se déchirer dans Les Grandes Marées.
Une diffusion durant l'été ?
Qui dit saga de l'été dit diffusion… en été. Mais on note depuis quelques années des entorses à cette règle. Parce que ces feuilletons à gros budgets, tournés en extérieur, demandent un certain investissement de la part des chaînes, celles-ci préfèrent réserver leurs grandes sagas pour des périodes télévisuelles plus propices. L'été, les téléspectateurs ont tendance à délaisser le petit écran et les audiences faiblissent. Face à ce constat, les chaînes choisissent aujourd'hui de garder leurs grandes sagas pour la rentrée. Ce fut le cas avec La Vengeance aux yeux clairs en 2016 et 2017, sur TF1, mais aussi en 2010, avec La Maison des Rocheville, sur France 2. Et cette année encore, Le temps est assassin, saga adaptée d’un roman de Michel Bussi et portée par Mathilde Seigner, ne devrait pas voir le jour sur TF1 avant la rentrée...