« J’étais très surpris et très heureux que Disney nous laisse aller aussi loin dans cette forme de noirceur. Parce que nous racontons des choses dures et contemporaines. » Sébastien Marnier, réalisateur de L’Origine du mal (2022) a retrouvé Doria Tillier pour filmer Les enfants sont rois, une série au pitch inquiétant, mais très ancré dans l’air du temps : Kimmy, une fillette de 6 ans, star de YouTube, est enlevée sur le parking de sa résidence. Tandis que sa mère, responsable de l’exposition de l’enfant sur les réseaux, est en pleine détresse, une policière déconnectée est chargée de l’enquête.
À l’origine de cette nouvelle création française pour la plateforme américaine, il y a le roman de Delphine de Vigan, paru en mars 2021. Un livre qui a tapé dans l’œil de la productrice Fanny Riedberger : « J’y ai vu un sujet d’époque très intéressant, nous raconte-t-elle. Je suis très peu au fait de ce monde-là, parce que les réseaux me font peur. Mais j’ai aimé qu’on me raconte tout ça avec les codes du thriller. » Si un long métrage a été évoqué, c’est finalement une série que Judith Havas et Victor Rodenbach ont écrite. « Il y avait plein de fils à tirer à partir de ce livre, à la fois un sujet très politique et des personnages finement écrits à creuser… », décrypte la scénariste, pour qui le thriller a été un moyen de mettre en scène une « question sociétale qui tend un miroir de notre société ». Son partenaire d’écriture va plus loin et assure qu’une « adaptation, c’est toujours une trahison quelque part. Parce que nous tombons amoureux d’un texte et, d’emblée, nous savons que nous allons en faire quelque chose d’un peu différent, pour des questions de format, mais aussi pour y apporter notre touche personnelle. » Victor Rodenbach insiste : « Pour la série, nous avons imaginé quelque chose de plus intime, autour de la quête de soi, avec ces deux personnages féminins, l’enquêtrice et la mère (Géraldine Nakache et Doria Tillier), qui ont du mal à savoir qui elles sont. L’une se cache derrière son travail, l’autre derrière les réseaux sociaux. Et dans ce drame lié à l’enlèvement, elles vont se rencontrer et trouver dans leur relation un îlot d’authenticité. C’est quelque chose que nous avons ressenti dans l’inconscient du roman et que nous avons essayé d’extrapoler dans la série. »
La participation de Delphine de Vigan
L’idée n’étant pas de restituer le livre le plus fidèlement possible à l’écran, un travail de collaboration s’est engagé avec l’autrice. « Delphine de Vigan a travaillé au tout début avec nous, sur les arches narratives et sur la première version du script, reprend Fanny Riedberger. Tout ce que nous avons essayé d’inventer, il a ainsi fallu le justifier sérieusement avec elle. Rien n’a été gratuit. (Rires.) Ensuite, c’était inévitable qu’elle lâche prise, parce qu’il y a cette trahison du texte liée à l’adaptation. Elle a alors laissé les auteurs de la série avancer seuls. » Une collaboration que Judith Havas a jugée très « constructive, même quand nos discussions ont été dans l’opposition. Nous pouvons comprendre que cela peut être violent de voir son texte remodelé ainsi. Pour la série, nous avons rapproché les personnages de nous-mêmes. Nous avons également travaillé plus en profondeur l’attachement entre la mère et l’enquêtrice. Pour qu’à travers le thriller, il y ait aussi une véritable histoire humaine qui fasse contrepoids avec le côté factice des réseaux sociaux. »
Une esthétique de thriller psychologique moderne
Sans jamais tomber dans le sordide, Les enfants sont rois assume tout de même sa part d’ombre et n’hésite pas à afficher une esthétique inquiétante, pour se démarquer des séries policières traditionnelles. Un style incarné par le réalisateur Sébastien Marnier : « Nous fantasmions une série qui allait sonder la solitude de tous ces personnages grâce à la direction artistique. Nous avons flirté avec la terreur, avec l’horreur parfois, dans une enquête parsemée de “dramédie”. Nous avons véritablement pensé l’esthétique de la série en ce sens. » La productrice confirme que Les enfants sont rois n’est ainsi « pas tout à fait un thriller, pas tout à fait un drame. Nous sommes dans le thriller psychologique très contemporain. Nous avions envie de rendre la série très moderne, presque pop, pour nous éloigner du thriller sage, un peu poussiéreux, qui ne collait pas à ce que nous voulions raconter ». Victor Rodenbach acquiesce et avoue avoir eu « peur de la série policière vieillotte à la française. La modernisation se joue beaucoup dans la mise en scène. » Judith Havas précise avoir avancé avec deux références en tête : la série américaine Mare of Easttown (avec Kate Winslet) et la série anglaise Vigil (avec Rose Leslie). « Ce sont deux séries qui ont réussi, à travers leurs personnages féminins forts, à transcender le côté polar, pour raconter des histoires sociétales. Nous nous sommes inspirés de cette modernité à l’écriture, avant que Sébastien ne s’en empare dans la mise en scène. Et puis nous avons vu le film La Nuit du 12 de Dominik Moll pendant que nous écrivions. Et nous avons ressenti une résonance avec notre travail. Même si nous, nous avions la contrainte de trouver un coupable… »
Au-delà de la résolution criminelle
Un jeu de piste « ludique » selon les scénaristes, mais comportant aussi un certain risque : celui de « s’enfermer dans un systématisme narratif, qui consisterait à enchaîner les suspects. Et en même temps, il faut allumer des contre-feux, mettre en place des stratégies de diversion pour que le spectateur ne soit pas trop conscient de la mécanique qui se déroule sous ses yeux. Ensuite, il faut surtout réussir à déployer un propos qui dépasse la simple résolution finale, qui sera toujours un peu déceptive… »
Pour Les enfants sont rois, la finalité est évidente : alerter les spectateurs sur la surexposition de leurs enfants sur internet et les réseaux sociaux. « À l’origine, il y a évidemment ce désir, confirme Fanny Riedberger. La série est là pour alerter, même si nous avons fait attention à ne pas être donneur de leçons, à ne pas être trop binaire. » Toute l’équipe derrière Les enfants sont rois confesse avoir un rapport ambivalent aux réseaux, « comme beaucoup de monde finalement, atteste Judith Havas. Les réseaux sont le prolongement narcissique de nous-mêmes, donc la tentation est grande. Je trouve mes enfants magnifiques, alors j’ai envie de les mettre en photo sur les réseaux. Et puis, en fait, je réalise qu’il ne faut surtout pas le faire. Quand je vois les enfants des autres, je suis contente de les voir grandir, et en même temps, ça m’inquiète. La mère de la série, Mélanie, est en plein dans cette faille narcissique. Et quelque part, nous avons tous en nous cette faille à combler. »
Les enfants sont rois - série en 6 épisodes
Réalisée par Sébastien Marnier
Écrite par Judith Havas, Victor Rodenbach et Benjamin Adam
Produite par Fanny Riedberger et Habanita Federation
Avec Doria Tillier, Géraldine Nakache, India Hair…
Sur Disney+ à partir du 23 octobre
Soutien du CNC : Fonds de soutien audiovisuel (Aide à la production – automatique et avances)
