Dans le domaine des séries, quel sens peut avoir la diffusion télévisée traditionnelle à l’ère du streaming, du « binge-watching » et d’un désir de plus en plus marqué de consommation instantanée ? Comment continuer à fédérer les spectateurs lors de rendez-vous à heure fixe, tout en prenant en compte les bouleversements des pratiques culturelles ? Ce sont quelques-unes des questions auxquelles font aujourd’hui face les chaînes de télévision. En rendant récemment plusieurs de ses séries accessibles au public avant même le début de leur diffusion télévisée, Arte a clairement indiqué qu’elle comprenait que de nouveaux modèles étaient à inventer. La française Ad Vitam, la danoise Au nom du père et l’italienne Il Miracolo ont toutes été diffusées selon le principe du « -7 + 30 » : les séries sont disponibles sur arte.tv sept jours avant le début de la diffusion et trente jours après.
En renforçant la disponibilité des séries hors antenne, la chaîne affirme clairement l’envie de « répondre à l’évolution des usages d’un public plus jeune qui a de moins en moins l’habitude d’être au rendez-vous de la diffusion télévisée », résume Olivier Wotling, le directeur de l’unité fiction d’Arte. « Aujourd’hui, l’offre de séries est tellement importante que chaque nouveauté chasse l’autre de semaine en semaine. Comme au cinéma où, chaque mercredi, on oublie les sorties de la semaine précédente. C’est très compliqué de tenir sur trois semaines de diffusion. En rendant la série disponible en ligne, on permet aux spectateurs d’enchaîner, de rester sur leur élan. »
Mais en procédant ainsi, ne risque-t-on pas de tuer à petit feu la diffusion télé ? Pas forcément, estime Olivier Wotling : « Sur Il Miracolo, par exemple, une série très addictive, beaucoup de gens ont voulu tout regarder, tout de suite. C’est une pratique plus rapide et ramassée dans le temps. Mais il y a aussi beaucoup de téléspectateurs qui sont revenus la semaine suivante. Mon sentiment, qui est très empirique, c’est qu’il y a une partie du public qui est susceptible de partir vers le délinéaire, et une partie qui ne s’intéresse pas au replay – sans doute la partie la plus âgée du public. »
Il n’y aurait donc pas de processus de « cannibalisation » : « Quand une série a du succès, elle en a sur tous les supports. Et si elle fédère un peu moins, ce sera alors le cas partout. Nous n’avons pas le sentiment de perdre le public antenne si la série est disponible en ligne un peu avant, ou en même temps. Au contraire : il nous semble que le délinéaire peut contribuer au rayonnement de la série. Il est « indolore » pour l’audience antenne et stimule l’audience délinéarisée. J’ai le sentiment que les deux visionnages sont complémentaires en termes de public et de notoriété de la série. »
La mise en ligne de l’intégralité d’une série générerait donc du buzz, dans un monde où il existe une véritable course au visionnage. « Le « -7 » occupe une place conséquente : pour Il Miracolo, il représente près de 20% des visionnages qui ont cumulé au total près de 3 millions de vidéos vues. Il s’adresse à un public qui lit la presse, veut voir tout de suite, découvrir la série au plus vite. Il y a une sorte de course à l’inédit et à l’exclusivité, peut-être pour pouvoir en parler plus vite que son voisin ! » Mis en place sur trois séries pour l’instant, le « - 7 + 30 » d’Arte sera à nouveau expérimenté avec Jeux d’influence, série signée Jean-Xavier de Lestrade, attendue en juin.