Profession : styliste culinaire

Profession : styliste culinaire

25 juillet 2024
Séries et TV
Emily in Paris
« Emily in Paris », série sur laquelle a travaillé Caroline Le Touzé Courtesy of Netflix

Métier en plein essor, le styliste culinaire est un spécialiste qui non seulement prend en compte les contraintes techniques liées à l’alimentaire sur un plateau de tournage mais qui apporte également ses compétences artistiques. Caroline Le Touzé a travaillé sur de nombreuses productions internationales dont la saison 4 de la série Emily in Paris. Elle révèle les coulisses de son métier. 


En quoi consiste votre métier ?

Caroline Le Touzé : J’interviens lorsqu’un film ou une série contient une séquence de nourriture spécifique. Je propose une scénographie précise, travaille la couleur des plats mais aussi leur texture en fonction de ce qui est décrit dans le scénario. Un gros plan sur des plats précis oblige, en effet, à offrir une vision cohérente et la plus photogénique possible. Je dois évidemment tenir compte des goûts et des allergies éventuelles des interprètes qui seront ensuite amenés à manger ces aliments au moment de la prise.

Qu’est-ce qui vous différencie d’un cuisinier, voire d’un pâtissier, classique ?

Notre spécificité tient à l’aspect technique lié aux contraintes d’un tournage. Un pâtissier classique préparera un dessert certes irréprochable mais qui risque de ne pas résister à l’épreuve d’un tournage. C’est souvent très long, les éclairages réchauffent considérablement l’atmosphère. Prenons l’exemple d’une glace, je vais proposer quelque chose avec une texture adaptée, plus résistante, tout en restant comestible. À l’image, il faut évidemment que l’illusion du dessert en question soit parfaite. C’est un métier très technique. Nous sommes également en charge de la mise en place des plats dans le décor. Notre relation avec le chef décorateur et l’accessoiriste peut donc être très étroite.

Comment êtes-vous venue à ce métier ?

Un ami directeur artistique dans le cinéma a fait appel à moi pour des tournages. Je précise qu’avant cela, je n’avais aucun rapport avec le monde du cinéma ou de l’audiovisuel, même si j’avais participé à une émission de télévision autour de la pâtisserie et alimenté un blog sur le sujet. À l’origine, je suis pharmacienne. Le point commun entre ces deux métiers est la chimie puisque pour obtenir des couleurs spécifiques en cuisine il faut parfois se transformer en laborantine ! Tout s’est accéléré en 2022, lorsque j’ai été engagée sur la série Julia pour HBO dédié à une figure de la télévision américaine, la cheffe cuisinière Julia Child. Child a popularisé la gastronomie française aux États-Unis. J’étais l’assistante de Christine Tobin, une styliste culinaire américaine très reconnue. Elle m’a appris tous les secrets de ce métier et notamment la façon dont on pouvait être impliqué dès la lecture du scénario, faire des propositions bien en amont du tournage et accompagner tout le processus d’un long métrage ou d’une série. Si le stylisme culinaire est en plein développement en France, c’est un métier déjà très implanté outre-Atlantique, et ce depuis une vingtaine d’années. Ça ne m’étonnerait pas que dans quelques années, il y ait un Oscar dédié.

Je propose une scénographie précise, travaille la couleur des plats mais aussi leur texture en fonction de ce qui est décrit dans le scénario. 

Plus généralement, à quel moment intervenez-vous sur un film ou une série ? Y a-t-il une règle ?

L’idéal est bien sûr d’intervenir le plus en amont possible en collaboration avec le directeur de la photographie, le réalisateur, voire les costumiers, pour bien définir l’harmonie des couleurs. On leur fournit alors un cahier de tendances avec tout un échéancier de couleurs en fonction des plats, des détails visuels qu’ils recherchent. Certains plats doivent briller à l’image par exemple, il faut parfois jouer avec les ombres… Cet échange permet de cerner les ambiances voulues. À partir de là, nous travaillons plus concrètement à l’élaboration des plats en offrant toute une déclinaison de propositions. Il arrive que certains réalisateurs aient une idée très précise. Nous nous conformons alors à leurs souhaits.

Pouvez-vous nous décrire des exemples précis ?

Nous sommes en train de travailler sur une série réalisée par Amy Sherman-Palladino et Daniel Palladino dont une partie de l’action se passe en France et qui sortira au printemps prochain. Le brief d’une des scènes stipulait vis-à-vis de la partie nourriture une ambiance « très colorée ». Nous avons donc proposé des tendances avec tout un dégradé de couleurs vives. Nous sommes d’abord partis sur des couleurs pourpres en proposant des aliments en corrélation avec ces tonalités… Le directeur artistique a ensuite affiné ses demandes afin que nous puissions lui proposer encore plus de plats. Une fois les couleurs validées, nous étions libres de définir nous-mêmes la scénographie et donc les plats. Sur la saison 4 d’Emily in Paris, pour l’une des scènes, la requête était plus précise encore. Il s’agissait de fournir des desserts plutôt « luxe » avec une demande technique particulière consistant à découvrir un certain ton de couleur à la découpe d’un des desserts.

Vous mentionniez plus haut que tous vos plats, même réinventés pour l’occasion, doivent être comestibles. Pourquoi ?

Un comédien doit toujours être amené à manger un plat. Même si avec certaines techniques, la fausse glace notamment, ce n’est pas d’un goût exquis ! Un comédien doit également pouvoir couper la nourriture, en saisir un morceau. Il faut que ça reste appétissant. En France, les faux aliments sont encore peu utilisés en cinéma et quand ils le sont, ils concernent principalement des éléments de décor visibles à l’arrière-plan.

Un comédien doit toujours être amené à manger un plat. Il doit également pouvoir couper la nourriture, en saisir un morceau. En France, les faux aliments sont encore peu utilisés en cinéma et quand ils le sont, ils concernent principalement des éléments de décor visibles à l’arrière-plan.

Est-ce que le fait d’être Française est un atout à l’international ?

Sur la série Julia, j’étais ce qu’ils appelaient french culinary advisor. Nous étions en réalité deux avec Christophe Gournay, qui a officié quatre semaines dans le Sud de la France, en charge de veiller à tout ce qui concernait la nourriture française. Et ce, dès le processus d’écriture. Il nous est ainsi arrivé d’orienter certaines choses, d’en proposer d’autres. Sur le plateau, nous conseillions également sur la façon de servir les plats, de couper le pain… Sur certaines productions, en revanche, nous travaillons d’une façon qui semble correspondre à une vision plus anglo-saxonne de la culture française. Mais si cela plaît au client, je m’exécute. Notre rôle est de savoir s’adapter.

Travaillez-vous souvent en équipe ?

Bien sûr. Je forme un binôme avec Ange Macias qui a créé il y a quelques années une société d’événementiel liée à l’art culinaire, M&M Food Agency. Elle est aussi directrice artistique. Nous avons associé nos compétences pour être plus performantes et nous avons fondé Wallace Studio.

Est-ce que votre métier est bien implanté en France ?

Si ce n’est pas encore complètement dans les mœurs, il se développe de plus en plus. C’est à nous de montrer notre spécificité, de prouver notre plus-value. Un film comme La Passion de Dodin Bouffant, sur lequel je n’ai pas travaillé, a demandé l’implication de stylistes culinaires. Je remarque que la nourriture est majoritairement absente des films français. Prenez récemment Le Comte de Monte Cristo, c’est un film formidable, mais où sont les scènes de repas ? Mes clients sont plus anglo-saxons. J’ai travaillé sur certaines scènes dans les séries The Crown, Atlanta, Slow Horses, Emily in Paris… J’ai aussi travaillé sur The Killer de David Fincher, notamment pour la séquence du café parisien.

Emily in Paris est une série qui prête une grande attention au visuel. C’était très excitant pour nous d’apporter notre contribution.

Comment vous êtes-vous retrouvée à travailler sur la série Emily in Paris ?

Un chef cuisinier est associé à la série. Il s’occupe de la majorité des plats et des desserts. Cependant, un jour, ils ont eu besoin en urgence d’un biscuit spécifique. L’une des accessoiristes de la série est venue me voir dans ma boutique de biscuits dans le 6e arrondissement. Nous avons tout de suite accroché. Le fait que je sois styliste culinaire pour les tournages l’a sûrement aidée à se projeter car j’avais les codes du métier et la connaissance des contraintes techniques liées à l’alimentaire sur un tournage. Avec Ange Macias, nous nous sommes ainsi retrouvées à travailler sur quatre autres séquences de la saison 4. Emily in Paris est une série qui prête une grande attention au visuel. C’était très excitant pour nous d’apporter notre contribution.

Quel est votre rôle durant les prises de vues ?

Outre la préparation des plats en amont, nous les disposons sur le décor, nous dressons les aliments… Je rapprocherai ça d’une nature morte en peinture, avec ce rapport constant entre la matière et la lumière. Nous aimons vraiment travailler avec le monde du cinéma. Ange et moi sommes des rêveuses et le cinéma émerveille toujours autant. Nous essayons d’amener encore plus d’émerveillement avec nos scénographies culinaires !

EMILY IN PARIS - saison 4

Créateur : Darren Star
Réalisateur : Andrew Fleming

Casting : Ashley Park, Lily Collins, Lucas Bravo, Lucien Laviscount, Philippine Leroy-Beaulieu
Production déléguée :  EIP Production LLC
Producteur exécutif : Firstep
Diffusion : première partie le 15 août et deuxième partie le 12 septembre sur Netflix

La série a bénéficié du Crédit d'impôt international (C2i).