Avant de devenir producteur, vous étiez réalisateur. Qu’est-ce qui vous a conduit vers le cinéma ?
Le cinéma m’habite depuis ma tendre enfance. J’ai suivi une option cinéma au lycée à Alès, et j’y ai rencontré certaines personnes avec lesquelles je travaille encore aujourd’hui. J’ai fait 7 ans d’études entre Paris, Montréal et la République Tchèque. Je me suis rendu compte assez rapidement que j’étais attiré par le documentaire et j’ai autoproduit mon premier film, Manille, évoquant les différentes influences de l’identité des Philippins. C’est ce qui m’a lancé sur la voie du documentaire, mais ça s’est fait de façon très naïve et instinctive. Je n’ai commencé à conscientiser ce que je pouvais apporter personnellement au cinéma que quelques années plus tard. Je n’ai pas continué dans la voie de la réalisation car j’étais plus à mon aise dans l’accompagnement, d’autant plus que le métier de producteur est très important dans le documentaire de création.
Pourquoi ?
Les documentaires sont des projets au long cours qui demandent beaucoup d’investissement personnel. La fiction aussi, mais on est plus rapidement accompagné par des personnes soutenant le projet que ce soit pour la décoration, la caméra ou le son. Lorsqu’on fait un documentaire, il y a une longue phase de recherches en solitaire puis un an voire plus d’écriture. Je trouve que le regard du producteur est déterminant dans le documentaire : il peut influencer les recherches et la trame narrative même s’il revient évidemment à l’auteur d’aller au bout de ses idées et de les finaliser.
Les Films Invisibles a vu le jour en 2014. Comment est née votre société de production et pourquoi l’avoir installée à Alès ?
Après avoir habité au Canada ou encore en République Tchèque, puis avoir séjourné aux Philippines, il fallait que je décide comment pratiquer mon métier. J’ai vite compris que je devais penser aussi bien à ma vie personnelle que professionnelle : il fallait choisir au début de ma carrière une ville qui me permette de vivre avec peu de moyens. J’ai commencé en bas de l’échelle, je n’ai pas fait de stages dans de grandes sociétés, je n’ai pas été assistant ou directeur de production… Je connaissais Alès, sa région, ses instances régionales. On avait la garantie d’être entourés par la scène culturelle ce qui était une rampe de lancement idéale lorsqu’on démarre une société à 25 ans avec un groupe de 4 amis (nous sommes 6 au total aujourd’hui). Je travaille beaucoup avec Anna Medveczky, une amie d’enfance qui est l’une de mes associés. Elle vit à Paris, travaille comme directrice littéraire, auteure et réalisatrice. Elle m’accompagne pour les premières lectures de textes par exemple ou en tant que script doctor. Les autres associés sont eux-aussi dans le milieu du cinéma, certains sont accessoiristes ou réalisateurs à côté. Nous avons créé la structure autour de mon premier film en tant que réalisateur et nous nous sommes servis de Manille et d’un autre court métrage pour lancer les premières demandes d’aides.
Est-ce une contrainte ou une force d’être loin de Paris ?
C’est pour moi un avantage. Lorsqu’on commence aussi bas, sans aucune expérience, il faut se créer assez rapidement une identité et se faire reconnaître par les structures publiques qui peuvent nous subventionner. Nous avions aussi pensé nous installer à Paris ou Marseille, mais lancer Les Films Invisibles en Occitanie nous permettait d’exister et d’avoir une reconnaissance au niveau régional où il y a beaucoup moins de sociétés dans ce domaine qu’à Paris. Et ça a marché, nous avons été soutenus à plusieurs reprises ce qui nous a permis d’avoir d’autres subventions comme le CNC. C’est un métier qui demande d’être mobile – je passe la moitié de l’année à Alès et l’autre sur la route pour rencontrer des auteurs et réalisateurs – mais une partie peut se faire sans problème à distance. Nous avons essayé de sortir un peu de cet axe « Région/Paris » pour aller voir ce qu’il se passe ailleurs. Il ne fallait pas s’enserrer dans le régionalisme même si les sujets régionaux sont très importants.
Quelle est la ligne directrice des Films Invisibles ?
La ligne éditoriale est assez claire et a été définie rapidement. Nous avons commencé par traiter des sujets sur le rapport entre les hommes et la nature. Au départ, c’était la nature en tant que telle, l’habitat qui nous entoure. Nous avons par exemple produit avec Arte GEIE la mini-série documentaire Chroniques Végétales (d’Anaïs Bollègue et Olivier Marcon) qui traite de l’ethnobotanique ou encore le court métrage La Chair sur la chasse et l’environnement. Et finalement, nous nous sommes rendu compte que nous pouvions extrapoler ces sujets-là pour parler des rapports entre l’homme et la société en général. C’est d’ailleurs la thématique explorée dans Knit’s Island (d’Ekiem Barbier, Guilhem Causse et Quentin L’helgoualc’h) qui s’intéresse à la manière dont l’homme arrive à exister dans des espaces vidéoludiques et virtuels.
Vos productions utilisent des formats différents : documentaires avec des images de jeu vidéo pour Knit’s Island, websérie pour Chroniques Végétales, installation pour Transitions… Pourquoi une telle diversité ?
Il est difficile de se faire une place lorsqu’on se lance dans la production jeune et sans beaucoup d’expérience ni de contacts. Surtout aujourd’hui, à cette époque où les projets documentaires à la télévision se réduisent et la production se déporte progressivement vers le numérique. Nous avons réussi à nous positionner sur des projets web ou nouveaux médias et à avoir du crédit auprès des institutions grâce à eux. Ces projets sont plus faciles à financer et explorent des thématiques peu traitées et qui nous correspondent davantage. C’est une manière de se démarquer. Quant aux installations, il y a un lien avec mon parcours : j’ai beaucoup voyagé et rencontré des artistes avec lesquels j’avais envie de collaborer.