D’où vient votre envie de transposer des pièces classiques avec une mise en scène moderne ?
D’un court métrage que j’ai réalisé en 2013 pour le Nikon Festival. Dans Fan de Shakespeare, Laurent Ferraro et moi nous amusions à refaire en deux minutes Hamlet dans des caravanes et en plan-séquence. Nous étions dans les dix finalistes du festival et notre film a été acheté par des producteurs pour en faire une série qu’ils voulaient proposer à France Télévisions.
Mais en 2013, le format court n’en était qu’à ses balbutiements et ça ne s’est pas concrétisé. J’ai continué à faire des courts métrages et j’ai travaillé comme assistant réalisateur sur des fictions. Au fil des années, j’ai fait de plus en plus de formats courts. Je me suis donc dit qu’il était temps de ressortir ce projet-là. J’ai rencontré La Blogothèque, qui produit des plans-séquences pour la musique et qui a adoré le concept qui est sa première fiction. Nous avons répondu à un appel à projets d’Arte pour des formats courts pour la télévision. Nous n’avons pas été choisis mais Replay a continué à circuler en interne et nous avons été rappelés par le département des productions web d’Arte.
Replay a donc été pensé au départ pour la télévision. Qu’a changé, en termes de réalisation et de narration, son passage sur le web ?
Le projet destiné à la télévision devait être tourné en studio. L’enveloppe financière étant moins importante pour le web, nous l’avons réécrit pour le tourner dans des décors naturels et contemporains. Nous sommes très contents de cette réécriture qui donne l’identité de la série, même si nous aurions eu des moyens plus importants de production pour une diffusion télévisée. Là, nous avons produit à la chaîne. C’était très intense.
C’est-à-dire ?
Nous avons tourné à Lille en huit jours, au rythme d’un épisode par jour. Les comédiens arrivaient le soir et nous avions une heure de répétition le matin avec eux, ce qui leur permettait de découvrir le décor. Il y avait ensuite deux heures d’installation technique puis, après le déjeuner, nous tournions pendant trois heures. Enfin, nous consacrions une heure juste pour réenregistrer uniquement des répliques. A la fin de la journée, les comédiens de l’épisode repartaient à la gare et arrivait le casting suivant le soir-même.
Votre choix de réaliser la série en plans-séquences a-t-il compliqué encore davantage le tournage ?
C’était assez difficile, oui. C’est aussi pour ça que je tenais vraiment à avoir des comédiens expérimentés, même s’ils venaient de différents univers (cinéma, théâtre, télévision, web). Le plan-séquence étant très technique, j’ai beaucoup répété à Paris. Ces entraînements filmés m’ont permis de savoir exactement quels allaient être les mouvements de caméra. Le tournage a été intense, il fallait être très précis.
Pourquoi avoir choisi le plan-séquence ?
Le théâtre m’a toujours fait assez peur. Il appartenait pour moi à une élite. Les personnages sont également loin du public. Avec Replay, j’essaie d’être au plus près d’eux. Le plan-séquence a un côté très immersif qui permet au spectateur de suivre le même rythme que les comédiens : c’est la meilleure place pour respirer avec les personnages et pour vivre la scène pleinement avec eux. Il y a un vrai pont avec le théâtre : on ne « triche » pas avec plusieurs caméras, il n’y a pas de montage, pas de champ-contrechamp… Le comédien entre en scène et ne décroche pas jusqu’à ce qu’il ait terminé son passage, sa scène ou l’acte entier parfois.
Votre websérie rassemble Romane Bohringer, Sara Forestier, Lou de Laâge, Sabrina Ouazani ou encore Gaël Kamilindi de la Comédie-Française. Avez-vous eu des difficultés pour rassembler un tel casting ?
J’ai eu beaucoup de chance avec ce projet car il a tout de suite donné envie aux comédiens à qui on l’a proposé. Dès l’écriture, je pensais à certains d’entre eux. Pour Le Jeu de l’amour et du hasard de Marivaux, j’ai par exemple pensé tout de suite à Sara Forestier car c’est la pièce qu’elle jouait dans L’Esquive d’Abdellatif Kechiche. Tourner avec autant de comédiens aux parcours différents a été une grande chance. Certains étaient habitués au jeu du théâtre et donc au plan-séquence. Pour d’autres, c’était plus compliqué. Ils sont habitués à tourner des scènes plus courtes alors que certains épisodes font quasiment neuf minutes. Et avec les alexandrins, on ne peut pas improviser, c’est sans filet.
Quel est votre objectif avec Replay ?
D’amener ces textes vers un public peu habitué au théâtre classique. Ils peuvent faire peur, mais en réalité on peut apprendre beaucoup de choses grâce à eux. Il ne faut pas avoir peur de désacraliser ces textes-là, c’est notre patrimoine culturel. J’ai envie que les jeunes s’en emparent pour en faire ce qu’ils veulent.
Comment avez-vous choisi les pièces et les extraits qui parlent du sentiment amoureux ?
Ce fut très long : pour en avoir huit, j’en ai adapté trente. Le sentiment amoureux nous intéressait car il parle au plus grand nombre. Mais c’est également un fil rouge qui pouvait nous permettre de parler des relations hommes/femmes et de l’égalité entre les genres. En lisant les pièces, nous nous sommes rendu compte qu’il y avait ce sujet en filigrane un peu partout. J’avais envie, tout comme Arte, de le défendre. Nous avions aussi envie de présenter des textes d’autrices. Il y a de nombreuses pièces écrites par des femmes dans le théâtre classique. Elles sont aussi qualitatives que celles faites par des hommes. Mais les femmes ont souvent été effacées par l’histoire. Il nous a donc fallu un gros travail de recherche. Nous avons beaucoup échangé avec Arte pour trouver les textes. Certains, comme Brutus de Catherine Bernard ou Arrie et Petus de Marie-Anne Barbier, ont plusieurs degrés d’écriture et sont très complexes, avec des personnages féminins qu’on rencontre peu chez les auteurs masculins. Nous tenions à mettre ces textes en avant tout en sachant qu’il serait plus compliqué de les faire voir aux spectateurs : il est plus facile de cliquer sur Don Juan et Cyrano que sur d’autres œuvres qu’on n’étudie pas à l’école et qu’on ne connaît donc pas.
Vous explorez aussi les questions de genre en faisant de Cyrano de Bergerac une femme, incarnée par Romane Bohringer.
J’ai d’abord imaginé un épisode musical pour Cyrano de Bergerac avec plusieurs options : d’abord un groupe de jazz, puis de la musique électronique pour être plus contemporain. Nous avons finalement choisi la sobriété, en optant comme pour La La Land de Damien Chazelle pour de la musique jazzy au piano. Mais dès le départ, le rôle était pensé pour une femme. Il nous semblait intéressant de remplacer ce qui est problématique pour Cyrano, c’est-à-dire son complexe physique. Nous nous sommes dit, avec mon coauteur Xavier Reim, que dans l’épisode, ce n’est pas son physique mais son orientation sexuelle qui conduit Cyrano à avoir peur de déclarer sa flamme à Roxane. Que Romane Bohringer accepte d’incarner ce personnage a été un cadeau immense. Elle a apporté quelque chose de magique. Dès la première répétition, j’avais les larmes aux yeux. Elle était bouleversante à chaque prise.