Ziad Doueiri, de Tarantino à « Cœurs noirs »

Ziad Doueiri, de Tarantino à « Cœurs noirs »

03 février 2023
Séries et TV
Nicolas Duvauchelle dans « Cœurs Noirs ».
Nicolas Duvauchelle dans « Cœurs Noirs ». Sife.ElAmine – Mandarin Télévision

Formé aux États-Unis à l’école Tarantino, et désormais installé en France, le réalisateur libanais, nommé aux Oscars pour L’Insulte (2018), signe la série Cœurs noirs pour Prime Video. Un thriller militaire qui suit en immersion un groupe des forces spéciales françaises en Irak. Rencontre.


De West Beyrouth, son premier long métrage sorti en 1998 et récompensé par le prix François-Chalais à Cannes, à la série Cœurs noirs (Prime Video), le moteur de Ziad Doueiri a toujours été le même : la passion. Cinéaste engagé, audacieux, il se définit avant tout comme un enthousiaste. Il faut dire qu’il a été à bonne école, celle de Quentin Tarantino.

Après avoir grandi dans un Beyrouth en pleine guerre civile, où il commence à filmer avec sa caméra 8 mm, le réalisateur en herbe s’en va étudier aux États-Unis au début des années 80 et décroche un diplôme de cinéma à l’université de San Diego. Dans la foulée, il fait ses premières armes sur un plateau comme assistant caméra sur des films comme Reservoir Dogs, Pulp Fiction ou Jackie Brown de Quentin Tarantino. « J’ai fait ses cinq premiers films et je dois dire que c’était une excellente école, raconte Ziad Doueiri. Elle a été fondamentale dans ma construction, en ce sens que Quentin Tarantino est un réalisateur enthousiaste. La joie qu’il exprime sur les plateaux est contagieuse. Je suis sorti de là en me disant que je voulais fonctionner comme cela, moi aussi, dans la passion ! Le cinéma est un métier très difficile, très compétitif, donc il faut avoir beaucoup d’enthousiasme pour durer. Ce n’est pas obligatoire, mais c’est comme ça que j’ai essayé de construire ma carrière depuis 1985. C’est une école qui m’accompagne encore aujourd’hui, même si on ne fait pas du tout le même genre de cinéma lui et moi. D’une certaine manière, cette expérience avec Tarantino a consolidé mon amour pour le 7e art, ma vocation. »

Je suis un amalgame de trois cultures.

Laissant Hollywood derrière lui, Ziad Doueiri retourne au Liban à la fin des années 90 pour faire son propre cinéma, un mélange d’influences aux multiples facettes culturelles. Une manière de voir le monde qui n’appartient qu’à lui et à son parcours hors du commun : « Ce n’est pas quelque chose que je cherche spécialement, c’est juste que je jongle en permanence entre mes cultures américaine, libanaise et française. Il y a des petites nuances du Moyen-Orient qui restent tout le temps avec moi et que j’incruste dans mes scénarios. Il y a une partie américaine qui est aussi très présente, parce que j’ai été éduqué dans le cinéma américain et que j’ai commencé à travailler à l’âge de 19 ans aux États-Unis. Et puis maintenant je suis en France », raconte le cinéaste qui ne veut pas trop intellectualiser ce mélange. « J’essaye seulement de rester fidèle à ce que j’ai vécu, à mon passé. Je suis un amalgame de ces trois cultures, tout simplement. »

Ainsi, lorsqu’il est appelé en France pour réaliser Baron noir (l’intégralité de la saison 1), il y injecte naturellement sa propre vision, forgée par son expérience internationale : « J’ai cherché à mettre mon empreinte dessus, même si c’est une série très française finalement, une série sur la politique et la société françaises. J’ai voulu filmer le quartier de la Défense, parce que je suis habitué à ce modernisme, aux gratte-ciel… Dans tout ce que je fais, j’essaye systématiquement de mettre des choses qui me rappellent mes années américaines ou mes années au Liban. »

Avec L’Insulte, c’était la première fois qu’un film libanais était nommé aux Oscars.

Dans la foulée, Ziad Doueiri devient ainsi le tout premier cinéaste libanais nommé aux Oscars, en 2018, dans la catégorie meilleur film étranger grâce à son quatrième film, L’Insulte. Une forme de consécration totalement « inattendue », selon Doueiri, qui vit une relation compliquée avec son pays d’origine depuis L’Attentat, sorti en 2012, qui se déroulait à Tel-Aviv, et dans lequel la femme d’un chirurgien arabe se révélait être une kamikaze. Un film qui a engendré une vague de protestations au Liban et dans le monde arabe. « J’avais tourné en Israël et une campagne s’est montée pour faire interdire le film dans le monde arabe – ils y sont arrivés d’ailleurs… Un cinéaste libanais en Israël, c’était quelque chose d’illégal, résume aujourd’hui le réalisateur. Donc quand j’ai fait L’Insulte, quatre ans plus tard, le gouvernement libanais a rouvert mon dossier et a décidé de m’arrêter. J’ai été accusé d’être collabo. C’était un truc de dingue… On m’a arrêté à ma descente de l’avion et j’ai été relâché le lendemain. » Plus douloureux encore pour Ziad Doueiri, L’Insulte risquait une fois encore d’être censuré dans son pays et d’être privé de ses chances pour les Oscars. « Comme ce sont les pays qui suggèrent les films à sélectionner pour l’Oscar du meilleur film en langue étrangère, c’est donc l’État libanais, qui venait de m’arrêter, qui devait présenter L’Insulte à l’Académie. Alors on a négocié pendant des mois et finalement, ça a pu se faire. Et le film a été nommé ! C’était la première fois qu’un film libanais était nommé aux Oscars. J’y tenais beaucoup. C’était une victoire que mon film soit ainsi légitimé. Ça validait tout ce que j’avais fait. »

De retour en France, le réalisateur s’investit à la télévision, filmant Éric Cantona dans la minisérie Arte Dérapages, avant de retrouver le producteur Gilles de Verdière pour Cœurs noirs, série militaire rare dans le paysage tricolore, sur Prime Video depuis le 3 février : « J’étais partant avant même de lire le scénario. Parce que j’adorais l’idée de tourner une série sur des soldats. On ne voit ça que très rarement ici, alors que l’Amérique explore ce sujet depuis très longtemps : Le Pont de la rivière Kwaï, Platoon, Né un 4 juillet… En France, c’est beaucoup plus rare alors quand le projet s’est présenté, j’ai sauté sur l’occasion. »


C’est donc au Maroc – servant de décor à l’Irak – que Ziad Doueiri a planté sa caméra pour filmer Nicolas Duvauchelle en pleine traque. Une pure série d’action, qui mise tout sur l’intensité visuelle. « Je n’avais jamais fait ça, donc il a fallu assumer. Dès le départ, je me suis dit que ça ne devait pas être une série intériorisée, mais au contraire très visuelle. Je voulais qu’on soit dans l’action, avec ce groupe coincé dans une situation très délicate. Ce n’est pas non plus une série sur la moralité de la guerre. On aborde le sujet, mais on est dans quelque chose de beaucoup plus dynamique. C’est ce que je voulais. Tous les longs métrages que j’ai faits – et même la série Baron noir – étaient vraiment orientés sur quelque chose de politique, de psychologique. Et là, c’était totalement autre chose, un challenge pour moi en tant que réalisateur. Et je me suis régalé. »

J’étais partant avant même de lire le scénario de Cœurs noirs. Parce que j’adorais l’idée de tourner une série sur des soldats. On ne voit ça que très rarement ici, alors que l’Amérique explore ce sujet depuis très longtemps.

Ziad Doueiri a mis toutes les chances de son côté, et a été s’immerger au sein de l’armée, pour mieux la comprendre. Le cinéaste a passé quelques jours avec les vraies forces spéciales françaises du côté de Bayonne « pour mieux m’imprégner de leur fonctionnement, connaître leurs marges de manœuvre ». Avec dans l’idée de filmer « une forme de réalisme, même si cela reste une fiction », Ziad Doueiri a totalement repensé sa manière de diriger, lui « qui n’utilise presque jamais de caméra à l’épaule » pour « raconter cette histoire de groupe d’un point de vue intérieur ». Avec cette même passion qui le guide depuis quarante ans, le réalisateur a été jusqu’à inventer « un journaliste virtuel, qui n’existe pas dans la série. De façon conceptuelle, pour penser la mise en scène, j’ai imaginé que les forces spéciales avaient accepté la demande d’un journaliste. Il viendrait ainsi tourner un reportage en immersion et les accompagneraient sur cette mission. Cœurs noirs est donc filmé depuis le point de vue de ce journaliste qu’on ne voit jamais. On a ainsi composé nos images en faisant comme si quelqu’un les suivait partout, captant le plus de plans possible à la volée… »

À 60 ans, le cinéaste continue d’étendre son univers et d’explorer de nouveaux horizons avec une exaltation non feinte. « J’ai vraiment hâte de repartir faire la saison 2 », se réjouit-il. Ziad Doueiri n’en oublie pas le cinéma pour autant, puisqu’il développe en ce moment un scénario pour un film qui se tournera prochainement aux États-Unis. Une histoire « avec des acteurs américains connus, et du coup, c’est un peu plus compliqué à mettre en place et à financer depuis le Covid-19. Mais on va réussir à le faire ! ». Ziad Doueiri ou l’enthousiasme chevillé au corps.
 

Cœurs noirs – saison 1 – 6 épisodes de 52 minutes

Cœurs Noirs

Créée par Corinne Garfin, Duong Dang-Thai
Avec Nicolas Duvauchelle, Marie Dompnier, Tewfik Jallab…
Scénarisée par Sophie Maurer et Thomas Rio
Réalisée par Ziad Doueiri
Produite par France Télévisions, Amazon Prime Video, Mandarin Télévision

Dès le 3 février 2023 sur Prime Video

Soutien du CNC : Fonds de soutien audiovisuel (aide à la préparation, aide à la production)