Comment filme-t-on dans un aéroport ?

Comment filme-t-on dans un aéroport ?

11 octobre 2021
Cinéma
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Leonardo DiCaprio dans Attrape-moi si tu peux de Steven Spielberg.
Leonardo DiCaprio dans Attrape-moi si tu peux de Steven Spielberg. UIP
Qu’il soit la porte d’entrée du voyage au long cours, ou un simple décor, au cinéma l’aéroport est un pur spectacle. Et les plus grands cinéastes (de Truffaut à Tati, de Wong-Kar Wai à Spielberg) l’ont adopté. Mais comment filme-t-on dans cet espace si singulier ? Et quelle est la quantité de travail que nécessite cette grande ambition ou ce fantasme ? Pour y répondre, nous avons rencontré le réalisateur Pierre Isoard.

Avec pas moins de 200 spots publicitaires réalisés durant sa carrière (pour de grandes marques comme McDonald’s, Peugeot, Lidl…), le réalisateur français Pierre Isoard est un poids lourd de la réalisation publicitaire. Comment en est-il arrivé là ? Son baccalauréat en poche, Isoard décide d’entrer à l’Esra (l’École supérieure de réalisation audiovisuelle) et c’est une révélation. Arrive une période durant laquelle il réalise de nombreux courts métrages, dont un, Les Improductifs, qui remportera plusieurs prix en France et à l’étranger. En tant que jeune réalisateur, c’est pour vivre de sa passion qu’il débute dans la publicité, milieu dans lequel il pose ses bagages durant de nombreuses années et qui le voit proprement… décoller : « Je faisais des comédies très courtes, décalées et quelque peu surréalistes, c’est ça qui a plu et qui m’a permis de me faire un nom. Il y avait de gros budgets, tout était possible. »

C’est à la suite de ce travail remarqué qu’on le contacte un jour pour réaliser un premier téléfilm pour France 2, intitulé À vos caisses : « On m’a donné le scénario et on m’a demandé si ça m’intéressait. » Voilà comment Pierre Isoard a décidé de se tourner vers la fiction, une idée qu’il mûrissait dans sa tête, « histoire de voir et de faire autre chose ». Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il a vu les choses en grand. « Quand je faisais des pubs, je devais raconter des histoires en quelques secondes seulement, et ça m’a beaucoup aidé pour les scénarios. » Isoard a la chance d’écrire majoritairement ce qu’il tourne, et il est bien ancré dans la télévision. « J’arrive à faire un film par an, ce qui est énorme. » Le cinéma, c’est un peu plus aléatoire, avec notamment un gros projet tombé à l’eau au dernier moment.

Parmi ses réalisations, un téléfilm, T’en fais pas, j’suis là – avec Samuel Le Bihan – nous intéresse plus particulièrement : la scène finale a été tournée dans un aéroport, en intérieur et en extérieur. « C’est un téléfilm sur l’autisme, dans l’esprit de la comédie anglaise, traité avec décalage et humour. » Son personnage partant au Canada, le cinéaste avait besoin d’un aéroport international. « Il ne fallait surtout pas qu’il fasse “cheap”. Ça a été compliqué, car la production ne trouvait pas d’aéroport qui acceptait le tournage ou alors ils demandaient des sommes faramineuses. » Problème : à moins d’avoir un énorme budget ou de pouvoir tourner seulement durant quelques heures quotidiennement, sur plusieurs jours, il est impossible de filmer dans un aéroport international à cause du flux de passagers et de vols. L’aéroport de Beauvais a donc été la solution. Avec deux avions par jour – un qui décolle le matin, un qui atterri le soir – Isoard et son équipe ont pu tourner pendant les heures où le lieu était vide, durant la même journée. Cent figurants ont été retenus pour la séquence : « C’était énormément de travail. Il fallait que ce soit naturel, que personne ne marche à la même vitesse… Il fallait surtout que tout soit fini avant l’arrivée du vol du soir, ce qui nous mettait la pression. » L’aéroport a même accepté de leur ouvrir un vrai guichet pour l’occasion, et une hôtesse de l’air était présente pour jouer son propre rôle. L’extérieur, en revanche, a été décevant. « Ça ressemblait à un grand centre commercial… j’ai donc tout recréé par ordinateur, avec un matte painting (procédé cinématographique qui vise à créer des décors numériques et des effets spéciaux, NDLR). » La société d’effets spéciaux avec laquelle le réalisateur collabore retravaille donc toute l’architecture, fait passer des avions dans le ciel, rehausse les immeubles… et le résultat est plus que satisfaisant.

Le plus dur, quand on filme dans un aéroport ? « Sans aucun doute, la centaine de figurants à gérer. » Le décor est également un peu traître, car l’équipe n’était pas entièrement libre : « Par mesure de sécurité, on ne pouvait pas inscrire de faux vols dans les télévisions qui affichent les horaires et les destinations. Ça m’a beaucoup dérangé. Mais finalement ce n’est qu’un détail. » Les employés de l’aéroport sont aussi sur la brèche : on laisse circuler des acteurs ainsi que toute une équipe sur les aires de stationnement des avions, « on sent vite une tension, mais peut-être était-ce lié au plan Vigipirate ? ». Il y a aussi des lieux de tournage imposés et des endroits auxquels l’équipe n’a pas accès. Pour ce qui est des autorisations (et des tarifs), c’est la production qui s’est occupée de négocier avec le service Communication de l’aéroport. Concernant les voyageurs qui souhaitaient entrer dans l’aéroport au moment du tournage, les assistants ont géré : « Pour le coup, ça se déroule comme un tournage de rue. On demande aux gens de patienter le temps de tourner les scènes. » Pierre Isoard a aussi eu l’occasion de tourner à l’aéroport du Bourget, dans le cadre d’une pub avec Tony Parker. Mais c’était beaucoup plus simple : le Bourget fait partie des aéroports qui ont plusieurs avions de ligne spécialement prévus pour les tournages : ils ne décollent jamais.