À l’origine de BAC Nord, un fait divers qui a fait la une des journaux de la région PACA puis très rapidement de la France entière : nous sommes en 2012, et François Hollande vient de succéder à Nicolas Sarkozy à l’Élysée. Quelques mois après l’enquête lancée par le préfet de police Alain Gardère suite à des premiers soupçons, plusieurs membres de la BAC (Brigade Anti Criminalité) de Marseille se retrouvent déférés en correctionnelle pour trafic de stupéfiants et rackets, trente fonctionnaires sont suspendus et le ministre de l’Intérieur Manuel Valls décide dans la foulée la dissolution de l’unité. Neuf ans plus tard, l’affaire en question n’est toujours pas définitivement jugée, le parquet ayant fait appel après la dernière décision en date du tribunal qui a prononcé des peines de sursis et sept relaxes, le 18 avril dernier.
Mais c’est bel et bien de cette histoire qu’a décidé de s’emparer le Marseillais Cédric Jimenez pour en faire une fiction, alors qu’il se trouvait à Hollywood en pleine phase d’écriture de deux longs métrages – dont l’un pour le comédien Mark Wahlberg – dans la foulée du succès d’estime de La French aux États-Unis et du tournage de son premier film international, HHhH, adapté du livre de Laurent Binet. Cet hyperactif qui a enchaîné les projets depuis son premier long, Aux yeux de tous en 2012, ronge son frein sur place. Car les choses n’avancent pas assez vite. Mais une discussion avec le producteur Hugo Sélignac va changer ses plans. « Quand Hugo me demande si j’ai un projet, je lui parle de cette histoire de la BAC. À l’époque où l’affaire a éclaté, comme tout Marseillais, je m’y étais évidemment intéressé. Et ce d’autant plus que je connais bien les quartiers nord de la ville où tout cela est arrivé pour y avoir grandi. La médiatisation de l’affaire m’était tout de suite apparue teintée d’hypocrisie. Loin de moi l’idée que ces flics aient été irréprochables, mais cela sentait vraiment la récupération politique. Et tout cela était toujours resté dans un coin de ma tête, avec cette envie de savoir comme tout le monde ce qui s’était vraiment passé, si ces policiers avaient ou non franchi la ligne jaune. » Mais s’emparer d’une affaire en cours, huit ans après son déclenchement, ne va pas forcément de soi. Cela nécessite d’abord et avant tout une connaissance pointue du dossier. « Je précise tout de suite à Hugo que si cette histoire me passionne depuis ses débuts, je n’en connais ni les tenants ni les aboutissants. »
Le producteur lui répond qu’il connaît, lui, dans la cité phocéenne, quelqu’un capable de lui faire rencontrer les flics concernés par cette affaire. L’intermédiaire en question va se révéler très efficace puisqu’en quelques semaines, Cédric Jimenez va rencontrer tous les membres de la BAC concernés, leur poser des questions, entrer dans le vif du sujet. Réaliser BAC Nord devient alors pour lui une évidence. Mais pour construire le scénario, il faut évidemment multiplier les points de vue et les témoignages. Alors, après les policiers eux-mêmes, Cédric Jimenez va aller à la rencontre des habitants des cités, des hommes politiques locaux en prenant le temps de se faire accepter pour que les langues se délient, le fait d’être lui-même marseillais aidant à la construction de cette confiance. « J’ai attendu d’avoir suffisamment d’informations pour me lancer réellement dans l’écriture. » Et c’est là que le déclic surgit.
Se pose malgré tout immédiatement la question de l’impartialité, alors que tout ce qui touche de près ou de loin à la police apparaît sensible et sujet à polémique. L’un de ses interprètes Gilles Lellouche l’affirme : « Je ne crois pas que BAC Nord soit sujet à polémique. Même si on peut évidemment toujours trouver un moyen de le faire. Pour moi, le film offre juste un éclairage sur la complexité de ce métier de policier… comme sur la complexité de vivre en banlieue. Il ne choisit pas un camp contre l’autre, mais prend le parti de raconter trois types broyés par une machine qui donne des ordres un jour et des contre-ordres le lendemain. »
Cédric Jimenez ne dit pas autre chose : « L’impartialité est la condition sine qua non de l’existence de ce projet. Ne pas condamner ni disculper. Et s’y tenir tout au long du récit. Un exercice passionnant car il consiste à pointer les contradictions internes de chacun à l’intérieur de chaque système. » Et à aller au-delà des archétypes des personnages de flics et des jeunes des cités, en s’appuyant sur le fait que ces deux entités ne vivent pas chacune dans une bulle mais se côtoient et interagissent au quotidien.
Le résultat, tout sauf tiède, n’a pas manqué de provoquer quelques passes d’armes à Cannes, où il était présenté hors compétition. Mais ce que Cédric Jimenez retient de cette aventure est la manière dont son propre regard a évolué, au fil des rencontres et des témoignages des uns et des autres. « Avant, j’avais tendance à critiquer volontiers la police. Aujourd’hui, je condamne bien évidemment toujours aussi fermement les violences policières, mais je sais aussi que le problème ne se limite pas à quelques brebis galeuses et j’essaie de comprendre comment de manière systémique on peut en arriver là. » Avec l’idée que l’État, en formant et en accompagnant mieux ses policiers, a le pouvoir de transformer des cercles vicieux en vertueux. « Dans BAC Nord, au fond, l’affaire est secondaire. Elle ne constitue que le véhicule qui me permet de montrer un système policier obsolète et en faillite. » L’angle choisi pour raconter cette histoire et tenu jusqu’à la dernière image, sans avoir besoin pour mettre fin au récit que la séquence judiciaire ait elle-même pris fin
BAC NORD
Scénario : Cédric Jimenez, Audrey Diwan
Photographie : Laurent Tangy
Producteurs : Hugo Sélignac, Vincent Mazel
Distribution : StudioCanal