Quand avez-vous entendu parler de Camille Lepage ?
Boris Lojkine : Au moment de sa mort en mai 2014. Je tombe alors sur un article autour de cette tragédie et immédiatement je suis frappé par le visage juvénile de Camille, un visage en totale contradiction avec la situation ultraviolente de la région où elle est morte. Quelques mois plus tard, en septembre, je retombe sur un article. Il s’agit cette fois d’une présentation du Festival International du Photojournalisme, Visa pour l’image, qui organisait cette année-là une exposition autour de la crise centrafricaine. On pouvait y découvrir, entre autres, des photos de Camille. La violence qui s’en dégageait était sidérante. Les miliciens anti-balaka assumaient pleinement leurs actes à l’encontre des musulmans du pays. J’ai commencé à me renseigner sur le travail de Camille et je suis très vite tombé sur une interview d’elle dans un magazine américain où elle racontait son quotidien au Sud Soudan juste avant d’aller en Centrafrique. Elle parlait de sa vie avec la population, de ces endroits où les expatriés n’allaient pas... Immédiatement, un désir de cinéma s’est enclenché.
La figure du reporter de guerre au cinéma a connu un certain âge d’or dans les années 80. Ce n’est plus trop le cas aujourd’hui...
B. L : La déchirure de Roland Joffé est le classique du genre. Un genre d’ailleurs tombé en effet en désuétude depuis. Je lisais récemment une étude de la Scam autour des conditions de travail des photojournalistes. C’est une profession qui s’est énormément précarisée. Les salaires ont été divisés par 4. Dans les années 80, le reporter de guerre était une sorte de héros, majoritairement masculin. Il y avait cette idée du mec courageux, qui va au front, qui prend plus de risques que ses collègues… Un concours de virilité en somme. La grande féminisation du métier a modifié la façon de l’envisager. Il s’est doté d’une conscience politique très forte…
Le film reste très mystérieux sur les origines de l’engagement de Camille ?
B.L : Malgré mon enquête auprès de ses proches, je ne suis pas certain de pouvoir répondre à cette question. Qu’est-ce qui pousse une personne à s’engager comme elle l’a fait. Je sais que son père a, par exemple, fait un peu d’humanitaire au Sénégal. L’important pour moi, c’était de montrer Camille en Centrafrique. C’est là qu’elle se révèle. Je ne suis pas fan des films qui racontent la vie chronologique d’une personne pour essayer de dessiner un profil psychologique. C’est souvent très réducteur. Je préférais rester sur l’instant.
Comment s’est passé votre contact avec la famille de Camille ?
B.L : Lorsque j’ai approché sa mère, son père et son frère, Camille était morte depuis six mois à peine. Ils ont donc pris le temps de me répondre. Il a d’abord fallu les convaincre de mes intentions, de ma légitimité à faire un film sur elle. J’ai montré mes films, expliqué ce qui me touchait chez Camille, mon rapport à l’Afrique… A partir du moment où ils m’ont donné leur aval, ils ont été très généreux. Ce qui revenait souvent chez eux, c’était le crédo de Camille : « Il n’y a pas de pays damnés ! » C’était chez elle, une conviction très forte.
Quelle image avait Camille dans le milieu très fermé du photojournalisme ?
B.L : Michael Zumstein, photographe très respecté dans la profession, a rencontré Camille en Centrafrique en 2013 où il couvrait le conflit pour Le Monde. Il joue d’ailleurs son propre rôle dans le film. Il m’expliquait avoir pris Camille un peu de haut au départ. Très vite, il a été impressionné par sa détermination, le travail qu’elle faisait sur place. Pour un photojournaliste me disait-il, être en immersion comme elle l’a fait était un rêve. Il me répétait aussi cette chose terrible : « Couvrir la guerre, c’est un sport de riche ! » Or, Camille en tant que free-lance n’aurait jamais pu se payer une voiture, un chauffeur et un fixeur pour la guider. Elle a tout fait par elle-même, ce qui explique qu’elle se soit retrouvée en danger. Elle faisait à la fois un travail de journaliste et de photographe. Elle avait une très bonne connaissance du pays.
Où a été tourné le film ?
B.L : En Centrafrique. C’était une de mes conditions de départ. Si la guerre civile est terminée, la situation du pays reste très complexe. 80% du territoire est encore aux mains des chefs de guerre. Mais Bangui est une ville relativement calme. Depuis 2016, j’ai fait beaucoup d’allers-retours entre la France et la Centrafrique. Grâce à l’alliance française de Bangui et les Ateliers Varan à Paris, nous avons organisé sur place des formations au cinéma documentaire. J’ai ainsi accompagné 10 jeunes réalisateurs qui ont pu ensuite réaliser leur propre film. Ces mêmes réalisateurs ont intégré l’équipe technique de mon film. Cela permettait une complète mixité. Nous avons eu, par ailleurs, la protection du gouvernement et de la Minusca, la mission de l’Onu en Centrafrique.
Le casting a-t-il été réalisé sur place ?
B.L : Oui, la plupart des jeunes ont été recrutés via un casting plus ou moins sauvage. Ils se sont totalement investis dans le processus de création. L’idée de rejouer des évènements aussi récents n’était pas un problème. Bien au contraire, on sentait même une certaine jubilation. Leur présence était aussi la garantie d’un certain calme, car sur place les foules peuvent parfois se montrer très hostiles.
Et Nina Meurisse qui joue Camille Lepage ?
B.L : Nous avons effectué un casting très classique et rencontré toutes les actrices de 25-30 ans. Parallèlement, j’ai organisé un casting sauvage via les réseaux sociaux. Hope, mon film précédent a été fait avec des non-professionnels. J’avais adoré cette expérience. Mais, très vite, j’ai compris que ce film demandait un certain professionnalisme. Il s’agissait tout de même de partir en Centrafrique. Je ne pouvais pas prendre de risque. Parmi les comédiennes que j’avais vues, Nina Meurisse m’a tout de suite intéressé. Elle était immédiatement crédible en photojournaliste et je n’avais aucun mal à l’imaginer en Centrafrique entourée de miliciens. Ce qui n’était pas le cas des autres. Et puis, elle a une lumière intérieure. Dans son sourire, son regard, je sens quelqu’un d’habité. Elle a une mission.
Camille, qui sort ce mercredi 16 octobre 2019, a bénéficié de l'Aide au développement de projets de long métrage et de l'Avance sur recettes avant réalisation du CNC.