Vous avez un parcours atypique puisque vous avez commencé par le cinéma avant de connaître le succès au théâtre avec Le Prénom, qui a été un nouveau tremplin pour le cinéma. Votre écriture théâtrale a-t-elle du coup été influencée par le cinéma et réciproquement ?
ALEXANDRE DE LA PATELLIÈRE : Le Prénom est né d’une frustration de scénariste. On travaillait depuis un moment pour les autres, avec un mélange de plaisir et d’insatisfaction. Un projet d’écriture s’est soudain décalé et nous avons eu un peu de temps devant nous. Le sujet du Prénom nous trottait déjà dans la tête, de même qu’une envie de théâtre qu’on reliait au plaisir pur de l’écriture, sans contraintes ni plan de travail. À l’arrivée, on a imaginé cette pièce en toute innocence, avec notre seule expérience de scénaristes. On a appris sur le tas, en quelque sorte. Notre travail sur la dramaturgie et les dialogues a sans doute depuis nourri nos films.
MATTHIEU DELAPORTE : Au cinéma, c’est rare d’avoir une structure « entrée de scène, milieu de scène et fin de scène ». On prend des bouts ici et là, c’est l’art du saucissonnage ! Au théâtre, on a le temps, on peut déployer les scènes, aligner temps forts et temps faibles... C’est agréable de passer de l’un à l’autre. Je dirais que le cinéma nous a servi au théâtre pour structurer nos pièces.
ADLP : Et le théâtre nous a encouragés à assumer des dialogues plus écrits qui correspondent à notre musique.
MD :
Avant de tourner le film, nous avons regardé pas mal d’adaptations de pièces qui se passaient en temps réel comme la nôtre : celles qui ne fonctionnaient pas étaient celles qui essayaient de rompre avec l’unité de lieu. Elles cassaient la dynamique donnée par le lieu clos. La tension s’affaissait.
Une pièce de théâtre repose sur la continuité et un espace délimité que l’œil balaie dans son ensemble, tout le contraire d’un film, défini par le montage et des plans qui isolent les éléments. Adapter une pièce, c’est forcément lui donner une autre portée ?
ADLP : C’est en effet passer du plan large au plan serré. Le regard et l’appréciation du spectateur changent forcément.
MD : Le travail d’un metteur en scène de théâtre consiste à aiguiller l’attention du public. Si on veut mettre l’accent sur un élément, on doit créer un silence, un regard ou ajouter un dialogue. Au cinéma, il suffit d’isoler l’élément en question par un plan.
ADLP : Le succès du Prénom au théâtre tient au fait que les gens étaient spectateurs de ce dîner. Il n’y avait aucune distance. La difficulté du passage au cinéma était de retrouver cette proximité, cette immersion.
Comment arrive-t-on à reproduire cette sensation ?
MD : Par le travail de la mise en scène, essentiellement. En travaillant nos axes, nos hauteurs de caméras pour ne pas écraser ni juger les personnages. On a par ailleurs modifié environ 25 % du texte, ce qui est relativement invisible pour les gens et qui n’a pas impacté notre point de vue général. Autre changement, important celui-là : un acteur a été remplacé par un autre [Jean-Michel Dupuis par Charles Berling, NDLR].
ADLP : L’idée, c’était celle du chien dans un jeu de quilles. On voulait quelqu’un qui vienne casser le rythme qui s’était installé entre les acteurs de la pièce. Cela permettait de nouvelles interactions, une nouvelle musicalité des dialogues.
MD :
ADLP : Dans les effets, oui, car il ne s’agissait pas de « naturaliser » les dialogues comme nous l’avons dit plus haut. Tu passes du forte au pianissimo mais les notes restent les mêmes.
Pourquoi avoir ajouté des personnages dans le film ?
MD : En fait, nous avons « illustré » la voix off du théâtre. Le personnage de la mère, joué par Françoise Fabian, n’existait qu’au téléphone dans la pièce.
L’autre grande différence, c’est la musique qui, au cinéma, peut servir à renforcer l’émotion ou à mieux faire passer un temps creux.
ADLP : Avec Jérôme Rebotier, qui a écrit à la fois la partition musicale et des chansons, nous avons décidé d’utiliser la musique de manière très parcimonieuse. Cela correspondait à notre envie de ne pas faire trop « cinéma », sauf à quelques exceptions près comme lorsqu’un personnage se raconte.
C’est particulier de réinventer sa propre œuvre. Comment jugez-vous cette double expérience avec le recul ?
MD : Je ne revois jamais nos films, en général. Pour la pièce, c’est différent puisqu’elle a été reprise dans une quarantaine de pays. Nous l’avons vue de notre côté dans une dizaine de versions différentes. Cette pièce est devenue une sorte d’outil de travail comme peut l’être une partition pour un musicien. Nous avons beaucoup éprouvé le texte, pointé ce qui marchait et ce qui ne marchait pas.
ADLP : Notre adaptation au cinéma est finalement la version qui nous semble la plus proche de ce que nous souhaitions.