Initiée en 2006, Des cinés, la vie ! (DCLV) est une opération nationale d’éducation aux images et à la citoyenneté destinée aux jeunes, mineurs et majeurs, placés sous main de justice et pris en charge par l’ensemble des services de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Déployée en métropole et dans les territoires d’outre-mer, elle est pilotée par l’association L’Archipel des lucioles (anciennement Passeurs d’images) qui a pris le relai de la structure Kyrnea international en 2018. « Avec Des cinés, la vie !, les jeunes découvrent de nouvelles formes cinématographiques comme le court métrage, ont l'opportunité d'aiguiser leurs sens de l'observation, de l'analyse et de développer leur esprit critique, explique Lydie Sélébran, chargée des publics prioritaires au sein de L’Archipel des lucioles. L'échange et le vote individuel autour des films de la sélection responsabilisent les jeunes et valorisent l'importance du débat. »
Soutenue par le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC), le ministère de la Justice (Direction de la protection judiciaire de la jeunesse) et le ministère de la Culture (Délégation générale à la transmission, aux territoires et à la démocratie culturelle), l’opération Des cinés, la vie ! fait partie du catalogue des manifestations nationales de la PJJ, et dans ce cadre, son portage est confié à la Direction interrégionale de la PJJ en Île-de-France et outre-mer.
« Voir » et « faire » le cinéma
En 2022, 223 structures de la PJJ ou du SAH (secteur associatif habilité) ont participé à l’opération dont l’Unité éducative en milieu ouvert (UEMO) d’Arcueil. « Le cinéma permet de créer du lien avec ces jeunes dont certains sont très éloignés de l’insertion », témoigne Jean-François Gautheur, éducateur et référent insertion au sein de la structure. Depuis bientôt dix ans qu’il participe à l’opération, Jean-François Gautheur travaille à transmettre aux jeunes sa passion pour le septième art dans toute sa diversité. « Le court métrage est majoritairement une découverte pour eux, puisqu’ils consomment surtout des séries et des blockbusters ». À Arcueil, les jeunes ont visionné ensemble les films de la sélection sur deux ou trois demi-journées pendant les vacances scolaires. Des séances organisées avec l’UEMO de Vitry-sur-Seine. « Chacune de ces séances est réfléchie. Dans quel ordre programmer les films ? Lequel doit-on diffuser en premier ? Comment conserver leur attention ? Il faut leur donner envie de revenir le lendemain », souligne l'éducateur. Documentaire, animation, film en prise de vues réelles, œuvres expérimentales : les courts métrages choisis pour chacune des éditions de l’opération font la part belle à la pluralité des genres, à la parité et à la représentation de l’outre-mer. « Deux autres critères fondamentaux », rappelle Lydie Sélébran.
Chaque année, un comité constitué de représentants des institutions partenaires de l’opération, de professionnels de la PJJ, du SAH, de la culture et du cinéma se réunissent pendant deux jours dans les locaux de l’Agence du court métrage. 30 films leur sont proposés parmi lesquels ils doivent choisir une dizaine que visionneront et départageront les jeunes. Avec une nouveauté mise en place depuis 2022 : la participation au comité d’un jeune placé sous main de justice. « L’objectif est de croiser toujours plus les regards, explique Lydie Sélébran. En revanche, on ne s’interdit rien et surtout on s’oppose à l’idée de proposer uniquement aux jeunes des films miroirs ». Chaque édition suit une thématique. Après « Et demain » en 2022-2023, « En jeu(x) » en 2023-2024 en hommage aux Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024, l'édition 2024-2025 aura pour fil rouge le thème « Mouvement(s) ». « Nous ne souhaitons jamais contraindre, mais faire de cette sélection un terrain d’expérimentation pour les jeunes », soutient Lydie Sélébran. Car au-delà du visionnage des films et du vote, les structures participantes à l’opération ont aussi la possibilité de « faire ». C’est le deuxième volet des Cinés, la vie ! « Une fois que les jeunes ont vu les films, débattu et voté, il leur reste du temps avant la remise des prix. Le « faire » va donc prendre plusieurs formes », explique Lydie Sélébran.
Chaque structure est en effet invitée à réaliser un trophée inspiré du film lauréat ou du fil rouge de l’édition en question. Dimensions, poids, matériaux utilisés… : elles préparent un dossier détaillé et argumenté pour défendre leur réalisation. « Un comité de pilotage arbitre ensuite entre les différentes propositions de trophées, note Lydie Sélébran, même si l’objectif n’est pas d’instaurer une compétition entre les jeunes, mais plutôt de leur donner envie de s’impliquer au maximum dans l’opération ». En 2024, les jeunes du Centre éducatif fermé (CEF) des Monédières, en Corrèze, ont fabriqué la statuette du film Haut les cœurs, plebiscité par les participants. Un prix remis à son réalisateur Adrian Moyse Dullin, qui a par ailleurs été accompagné par l'aide à la production de films de court métrage du CNC. Les jeunes de l’atelier bois de la structure ont dessiné, découpé les pièces et assemblé le trophée qu’ils ont conçu sous la forme d’une caméra.
En parallèle des débats organisés sur la sélection au sein des structures, des ateliers pratiques peuvent être mis en place et donner lieu à des productions (courts métrages, podcasts, bandes annonces, création d’affiches etc.). « Je me souviens d’une initiative réalisée avec la structure Hors Cadre, un de nos partenaires en Hauts-de-France : les jeunes discutaient de dos sur des extraits de films qui défilaient. Un réel exercice critique réalisé en studio sur fond vert qui permettait également de contourner la problématique des droits à l’image », explique Lydie Sélébran. Une année, nous avions pu être accompagnés par un cinéaste pour réaliser un court métrage à partir de diapositives grattées. Un jeune avait pu s’exercer à la voix off », se rappelle Jean-François Gautheur.
Chaque début de rentrée scolaire, les professionnels des structures PJJ et SAH sont conviés aux Journées de lancement de l’opération qui se déroulent au CNC. Présentation des films de la sélection, échanges et conseils rythment ce rendez-vous annuel. « On les invite à contacter leurs référents justice et les coordinations Passeurs d’images pour pouvoir justement organiser des ateliers d’initiation au cinéma accompagnés de professionnels ou nouer des partenariats avec des salles de proximité afin de permettre aux jeunes de voir les films en salle », précise Lydie Sélébran. Les encadrants repartent avec le coffret DVD des films et le lien pour accéder au livret pédagogique de l’édition, support désormais dématérialisé. « Nous mettons à leur disposition ce livret qui comprend des focus sur des séquences, des propositions de films passerelles, des arrêts sur image ou encore un lexique des termes de cinéma, détaille Lydie Sélébran.
Débattre et confronter les idées
Quand il organise les séances avec ses collègues des UEMO d’Arcueil et de Vitry-sur-Seine, Jean-François Gautheur cherche à mettre à l’aise les jeunes afin qu’ils puissent libérer leur parole. « Dans ces ateliers, on travaille aussi l’estime de soi. C’est important de leur faire confiance, de leur montrer qu’ils sont capables de parler de thèmes sérieux et que nous les prenons au sérieux. Ils ne s’y attendent pas toujours, témoigne l’éducateur. Je leur demande d’argumenter leurs réponses, un exercice qui n’est pas évident. Car parler d’un film demande de prendre du recul. J’essaie de leur donner des billes pour qu’ils réussissent ». Faire circuler la parole dans une démarche de citoyenneté : l’autre ciment des Cinés, la vie !. « C’est se dire : ma voix compte, j’existe en tant que citoyen », ajoute Lydie Sélébran. S’exprimer, libérer la parole sur des sujets parfois douloureux qui font écho à des traumatismes vécus, mais aussi accepter la contradiction ou les désaccords. « À travers le cinéma, on essaye de leur apprendre la nuance », poursuit Jean-François Gautheur.
Peuvent participer à l’opération, l’ensemble des mineurs et jeunes majeurs sous protection judiciaire pris en charge au sein de tous les services de la PJJ, sans limite de nombre au sein d’une même structure ou d’un même établissement. Il s’agit donc des services territoriaux éducatifs de milieu ouvert, des services territoriaux éducatifs d’insertion, des établissements de placement éducatif, des centres éducatifs fermés, des centres éducatifs renforcés, des services éducatifs intervenant dans les quartiers pour mineurs en maison d’arrêt et dans les établissements pénitentiaires pour mineurs, des dispositifs relais fondés sur le partenariat PJJ – Éducation nationale et enfin des jeunes qui relèvent des dispositifs de prévention spécialisée, des missions locales et des classes relais. « Les jeunes que nous accueillons en milieu ouvert sont sous le coup d’une mesure judiciaire ordonnée par le juge des enfants au civil ou au pénal », explique Jean-François Gautheur. Pendant le temps où ils sont suivis par la Justice, une partie de notre rôle en tant qu’éducateur est de rapporter au juge la manière dont ils évoluent. Leur implication dans l’opération Des cinés, la vie ! est un élément en leur faveur ».
L’opération se conclut chaque année avec les Journées de valorisation qui se tiennent sur deux jours en Île-de-France. La première journée est dédiée au « parcours image » : les jeunes participent à des activités culturelles et des ateliers de pratique artistique (tournage, montage, réalisation d’un gif animé…) au sein de structures partenaires comme la Maison du geste et de l’image (MGI) ou le Forum des images. Le lendemain, la Cinémathèque française les accueillent pour un atelier d’éducation aux images le matin, avant la traditionnelle remise des prix aux lauréats dans la salle Langlois, l’après-midi. Cette année, la réalisatrice Emmanuelle Bercot, marraine du programme pour la deuxième édition consécutive, a donné le coup d’envoi de la cérémonie. « Vous avez dû visionner les films et faire un choix, ce qui est précieux car faire un choix c’est exprimer un point de vue, le vôtre », a-t-elle déclaré aux 160 jeunes participants présents pour l'occasion. « Le cinéma n’appartient à personne mais à tout le monde », leur a-t-elle rappelé.
« J’ai vu leurs regards émerveillés. C’est également le rôle des Cinés, la vie ! de leur faire découvrir les coulisses et les métiers du cinéma, de susciter le désir », souligne Lydie Sélébran. « Des cinés, la vie ! c’est aussi un moyen de leur montrer que tout est possible. Qu’ils peuvent eux aussi se mettre à créer, à réaliser, rapporte Jean-François Gautheur. Avec un téléphone, on peut déjà faire beaucoup… ».