Comment est née cette idée de vous lancer dans votre premier film en costumes en adaptant un passage de Jacques le Fataliste de Diderot ?
Emmanuel Mouret : Je ne m’étais jamais autorisé à faire un film en costumes. C’est mon producteur Frédéric Niedermayer qui m’y a incité. Sans doute pour ce goût de la langue qu’on retrouve dans mes films et qui pouvait apparaître plus naturel dans un long métrage en costumes que contemporain. J’ai alors tout de suite pensé à Jacques le Fataliste que je connaissais bien et avais depuis longtemps dans un coin de ma tête comme une possible adaptation.
Jusqu’au milieu des années 90, le film en costumes était l’un des piliers du cinéma français avec la comédie avant de se retrouver aujourd’hui réduit à peau de chagrin. Pourquoi vous étiez-vous interdit de même penser en réaliser un ?
Pour moi, film en costumes rimait forcément avec gros budget. Ce qui freinait forcément mon imagination tout comme le fait de ne me pas me sentir un spécialiste de la chose historique. Il fallait que quelqu’un me pousse à le faire pour vaincre mes inhibitions. Ça me rappelle ce que j’avais vécu en rentrant à la FEMIS. J’étais tremblant de peur et n’osais parler à personne par peur qu’on se rende compte que je n’étais qu’une imposture au milieu d’eux ! (rires)
Qu’est-ce qui vous a guidé dans ce travail d’adaptation d’un texte du 18ème siècle ?
J’ai d’abord été porté par ce qui m’a séduit : l’intrigue. Ses retournements. Son jeu permanent entre vice et vertu. Ecrire ces dialogues fut un grand plaisir. Mais, une fois ma première version achevée, j’ai eu besoin de le faire lire à une amie qui enseigne la littérature du 18ème siècle en lui demandant de m’orienter vers quelqu’un qui pourrait reprendre mes dialogues pour les mettre dans les « clous » de l’époque. Or après l’avoir lu, elle m’a expliqué y retrouver ce qui constituait pour elle l’essentiel: la saveur d’une époque. Sa réflexion m’a ouvert les yeux. Car ce qui importe finalement dans un film d’époque n’est pas la véracité. Il y avait ainsi sans doute comme aujourd’hui mille et une façons de parler ou de s’habiller. Courir après une éventuelle vérité n’a donc aucun sens. C’est l’esprit d’une époque qu’il faut tenter de retrouver. Or qu’est-ce qu’adapter sinon se rapproprier un texte d’époque en le remettant au goût du jour pour que le public contemporain puisse le goûter, le comprendre et l’apprécier ? Comme au théâtre. Quand Corneille reprend Médée, il le fait avec le français moderne du 17ème et quand Anouilh s’y emploie, c’est avec le français moderne du début du 20ème.
Faire un film d’époque revient aussi à se confronter en amont à une préparation qu’on imagine plus conséquente en termes de costumes, de décors…
Ce qui est formidable avec les costumes et avec l’époque, c’est qu’ils permettent d’aller directement vers ce qu’il y a de plus sentimental et de plus intime chez les personnages. Alors que dans un film contemporain, on a tendance à chercher ce qui est plausible ou non. Le costume donne le la - et ce dès le début de la préparation du film - pour tous les autres départements, dont les décors et la lumière. Avec Pierre-Jean Larroque (Marguerite), on est partis d’emblée sur l’idée d’une création de costumes. Car on savait que c’est ce qui allait dessiner les personnages à l’image. J’ai beaucoup insisté sur cette notion de silhouette. D’où par ricochet des décors assez dépouillés, pensés comme un écrin pour les costumes.
Et aviez-vous des références de films en costumes en tête côté lumière avec votre chef opérateur Laurent Desmet ?
Des références oui mais pas celles qu’on imagine spontanément : le travail de Gordon Willis chez Woody Allen et plus particulièrement dans Manhattan. J’ai voulu un maximum de plans séquence pour laisser de la place au jeu et ne pas s’appuyer sur un champ contre-champ permanent en visages serrés qui aurait nui à la richesse des dialogues. Je joue beaucoup sur le hors champ, les dos des personnages. Je voulais qu’on ait envie de chercher les visages au lieu de les imposer. Dans cette même logique, on a travaillé avec de très vieilles focales datant des années 30 pour casser le côté lisse du numérique. Elles amènent à l’image cette douceur que je recherchais.
Faire un film en costumes, c’est aussi réunir des comédiens dans la bouche desquels cette langue riche paraisse totalement naturelle. Quelles pistes vous ont conduit à Edouard Baer et Cécile de France ?
Revoir Edouard sur scène dans la lecture d’Un pedigree de Patrick Modiano a été un déclic. Car j’ai été frappé par cette sincérité très sobre à mille lieues du personnage facétieux qu’on connaît et qu’on aime par ailleurs. Et dès la première lecture, j’ai vu combien les dialogues sonnaient naturellement juste dans sa bouche. Quant à Cécile de France, c’est Jean- François Gabard, l’agent d’Edouard et ma directrice de casting Constance Demontoy qui ont insisté pour que je la rencontre. Car j’avais d’elle l’image inverse de Madame de la Pommeraye : un personnage sympathique, frais, cool, décontracté. Donc absolument rien d’une marquise retorse et diabolique. Or là encore dès la première lecture, je me suis aperçu combien son côté extrêmement sympathique allait apporter à la manipulation de son personnage. Et puis Cécile a un sourire moqueur plein d’intelligence. Soit exactement ce que Madame de la Pommeraye devait respirer.
Et puis il y a ce personnage de Mademoiselle de Joncquières quasi muette pendant la première moitié du film avant de multiplier les tirades explosives avec une puissance saisissante. Pourquoi avoir choisi Alice Isaaz pour l’incarner ?
C’est quelqu’un avec qui j’avais envie de travailler depuis un certain temps. J’ai vu d’autres comédiennes mais un élément m’a d’emblée convaincu chez elle : dans la vie, elle n’a rien du petit oiseau fragile et innocent. Au-delà de sa présence, de sa grâce et de sa manière à s’emparer d’un texte, elle a beaucoup de caractère et un fort tempérament. Soit exactement ce que Mademoiselle de Joncquières va révéler au fur et à mesure du récit.
Mademoiselle de Joncquières, qui sort le 12 septembre 2018, a bénéficié de l’avance sur recettes avant réalisation du CNC.