Vous avez travaillé dans le milieu de la psychologie. Quel public traitiez-vous ?
J’ai passé plus de 15 ans à l’écoute, des enfants, adolescents, toxicos… A l’époque, je n’avais aucune idée, si ce n’est mon plaisir intime d’écrire, de la future carrière de scénariste qui est venue comme un switch étonnant. Frédéric Compain, un de mes anciens élèves (Gilles Taurand a enseigné le français dans un lycée ndlr), m’a proposé d’écrire le scénario d’un court métrage, Du crime considéré comme un des beaux-arts, et c’était parti. Il m’a présenté André Téchiné et il y a eu Hôtel des Amériques. Ça intéressait Téchiné d’avoir, comme partenaire d’écriture, quelqu’un qui s’intéressait beaucoup à la psychologie et la psychanalyse, et qui n’était pas issu du sérail habituel de cinéphiles.
Quelle influence à votre ancien métier sur votre travail de scénariste ?
Mais je ne m’inspire pas de mes anciens patients. Il suffit de regarder autour de soi pour avoir de l’inspiration. Ce qui m’intéresse avant tout, c’est le décalage existant entre le jeu des apparences sociales et le refoulement, la partie cachée, sombre, que tout individu a forcément.
Les personnages ont une vraie importance pour vous. C’est leur construction que vous travaillez en premier ?
Oui, toujours. Définir un personnage, c’est raconter une histoire concernant sa famille. On va assez loin en essayant d’inventer une généalogie, même si ça ne transparait pas directement dans le scénario. Mais ça permet de faire qu’aucun des personnages que j’ai écrit n’est interchangeable. Ils ont tous leur passé. Etre scénariste, ça aiguise la curiosité, ça permet de construire des personnages complexes, comme l’est la nature humaine. Je déteste la simplification, il faut surprendre les spectateurs. Quand les personnages sont trop prévisibles, on s’ennuie.
La capacité d’écoute que vous avez en tant qu’ancien psychologue facilite-t-elle votre collaboration avec les réalisateurs ?
Il faut une certaine souplesse et trouver la bonne distance avec la personne qui vient vous trouver. Il y a un travail préliminaire qui fait que parfois - c’est même arrivé assez souvent -, des réalisateurs me disent, après les premières séances : « Au revoir docteur, et à lundi ». C’est forcément quelque chose de très intime. On parle de soi, de ses désirs, de ses envies, du film dont on rêve. Il y a quelque chose qui nécessite une qualité d’écoute qui est peut-être le fruit de ma formation initiale. Il faut se mettre au service de l’univers de l’autre. On est amené à imaginer la mise en scène d’un film, dont on n’est pas le réalisateur, dans l’écriture même.
Pour Tout contre elle, adapté d’un roman de Tatiana de Rosnay, avez-vous fait évoluer certains personnages pour qu’ils correspondent davantage à votre vision de la dramaturgie ?
Dans le roman, les jeunes qui la font chanter demandent de l’argent. Nous avons ajouté la sextape, qui n’est pas du tout dans le livre, et une autre forme de chantage. On s’attend à ce que la femme de ménage lui demande de l’argent, mais je trouvais qu’il était plus intéressant qu’elle lui demande son amitié. Elle veut se faufiler comme ça dans la vie du couple. Il y a une relation très ambiguë qui se noue entre les deux femmes, c’est effrayant et pervers. On peut penser à Harry, un ami qui vous veut du bien (de Dominik Moll ndlr).
C’est une déformation professionnelle d’avoir instauré une telle perversité dans ce personnage ?
J’aime les gens qui sont troubles. A l’époque, on m’appelait le troublologue (rires) ! Je pense qu’une des raisons pour lesquels les réalisateurs me contactent, c’est parce qu’ils savent que je ne vais pas me contenter de la caricature. Il faut pousser les personnages le plus loin possible. C’est ce qui fait qu’un film est romanesque.
Tout contre elle