Comment vous vient l’idée d’un film ?
Je n’ai jamais un film d’avance. Il me faut des années pour faire un film. Quand il sort, c’est une partie de ma vie qui s’achève. Je suis comme un naufragé rejeté sur la plage. Le bateau s’éloigne. A ce moment-là, je n’ai aucune idée. Il me faut du temps pour faire renaître une autre inspiration. Ça commence quand même toujours par une image. Si je repense à mon premier film, La vie de château, c’est venu de la vision d’une maison dans le Golfe du Morbihan alors que j’étais en repérages comme assistant pour Louis Malle. La photo de ce manoir abandonné au milieu des arbres, pas loin de la mer, a déclenché l’envie d’une histoire. J’en parlais autour de moi. Mais les choses traînaient. J’avais l’ambiance, le décor, quelques personnages, mais pas d’histoire ! Et puis un jour, Alain Cavalier m’a poussé et m’a suggéré de placer l’action pendant la guerre. C’est aussi ce qui m’est arrivé pour Le sauvage. J’étais allé au Brésil pour une semaine Unifrance après Les mariés de l’an II. On me montre alors à la jumelle une île au large de Sao Paulo; elle m’apparaissait comme l’île de Robinson. J’ai eu l’idée d’un type qui vivait là et d’une fille qui s’imposait dans son refuge. Ça devait s’appeler « Bataille sous les palmes ».
Et pour les adaptations, quelle est la différence ?
Dans les premières années, j’étais persuadé, par la fameuse politique des auteurs venue des Cahiers du Cinéma, que je devais être au coeur du film comme Dieu au milieu de sa création, et donc qu’il fallait que je sois l’auteur du scénario. Je pensais que je ne pouvais pas aller vers le tournage sans être devenu, d’une certaine manière, le film vivant. Je devais répondre aux fameuses 10 000 questions qu’on pose à un metteur en scène. Et puis, on m’a proposé Cyrano de Bergerac. J’ai beaucoup résisté ; je ne voyais que la poussière. J’ai insisté pour avoir Depardieu et personne d’autre; on m’a dit oui. Et puis, je me suis souvenu que c’était une des premières pièces que j’ai vues, enfant, avec ma mère qui m’a emmené à la Comédie Française, pendant la guerre. C’est cette image qui m’a décidé. Cette scène débute d’ailleurs mon film : un petit garçon, dans une petite charrette, sous la pluie, se rend au théâtre.
Quelle est votre méthode d’écriture ?
Il y a plusieurs stades. Tout commence toujours par le crayon et le papier. Mes premières versions sont griffonnées au crayon. Le crayon, c’est provisoire, ça s’efface. Puis, une fois que j’ai écrit une première version, un scénariste vient me rejoindre. J’ai fait appel à Jean-Claude Carrière, Philippe Le Guay, Patrick Modiano… Je prends des notes sur leurs réflexions le matin et l’après-midi, je rédige. Au fond, il n’y a que moi qui tiens la plume. Puis vient le temps de l’écriture des dialogues. Sur mon premier film, j’ai fait appel à un grand dialoguiste, Daniel Boulanger. Pour Le sauvage, c’était Jean-Loup Dabadie. Après le scénario va encore s’adapter aux acteurs, aux décors…
Vous dessinez vos scénarios, c’est étonnant…
On parle souvent à votre égard d’écriture en mouvement…
Oui, ça vient dans un dernier temps. Avec les photos des acteurs choisis, les plans des décors, quand je sais dans quel lieu et qui va dire les choses, je me retrouve dans mon bureau avec ma scripte - Chantal Pernecker, une collaboratrice de création formidable - pour lui décrire plan par plan comment chaque scène va se dérouler. Là, généralement, je me lève de ma table, je vais et je viens dans mon bureau et j’esquisse le jeu, la mise en scène. Je suis à ce moment-là le film vivant.
Dans quel état d’esprit abordez-vous le tournage ?
J’admire ceux qui y vont en sifflotant… Je suis assez tendu. J’aime beaucoup cette phrase de Stanley Kubrick : « J’ai remarqué qu’une surpréparation, loin de tuer le hasard, au contraire, le fait surgir. Plus vous préparez le film, plus vous y avez pensé, plus vous êtes prêts à accueillir l’accident favorable, à sauter dessus et à saisir au vol l’occasion de dire : c’est merveilleux, changeons tout cela. » Mais l’ambiance est différente selon l’enjeu. Pour Cyrano de Bergerac, dont on me disait que c’était un pari impossible, j’avais peur. Le plus joyeux souvenir reste Tout feu, tout flamme, au bord du lac de Genève avec Isabelle Adjani et Yves Montand.
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Quel est le secret de la fluidité de vos mises en scène ?
Les acteurs se réfèrent parfois à vos hochements de tête pendant les prises. Votre mise en scène est-elle axée sur le rythme ?
J’ai l’exigence de la pulsion de l’histoire. Quand les acteurs jouent, j’oscille sur mon siège comme si j’étais un spectateur de cette histoire qui peut s’échapper. Certains acteurs la guettent. Je me souviens de Depardieu s’arrêtant au milieu d’une scène et me reprochant d’arrêter de bouger. Il avait oublié une syllabe et comme le rythme n’était plus le bon, j’étais devenu statique.
Comment qualifieriez-vous votre direction d’acteurs ?
Toute cette préparation, cette réflexion sur l’histoire, c’est pour arriver à quelque chose de juste. Je ne suis pas le genre de metteur en scène à prendre à part les acteurs pour leur parler de la psychologie du personnage. Si vous dites ça à Gérard Depardieu, il devient fou. Pour lui, ne compte que le moment. Le dernier moment. Moi, je suis juste à la recherche d’une grâce. Et j’ai quelquefois les larmes aux yeux à la fin d’un plan et je vais embrasser les acteurs.