L'Angle mort : le cinéma français s’empare de l’homme invisible

L'Angle mort : le cinéma français s’empare de l’homme invisible

14 octobre 2019
Cinéma
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L'angle mort
L'angle mort Ex Nihilo - Les Films de Pierre - Rouge International - A.S Prod
En salles le 16 octobre, L’Angle mort raconte le destin de Dominick, un jeune vendeur d’instruments de musique qui possède depuis l’enfance le don de devenir invisible. Mais Dominick a oublié son pouvoir : lorsqu’un secret d’enfance refait surface, il va devoir assumer son invisibilité et ses nouvelles conséquences… L’Angle mort est un film fantastique français au sujet et au traitement audacieux : les réalisateurs Patrick-Mario Bernard et Pierre Trividic expliquent comment ils ont traité de façon originale le thème de l’homme invisible.

Dix ans de production

L’Angle mort est né il y a plus de dix ans, d’une idée de l’écrivain Emmanuel Carrère, familier de la littérature fantastique (La Moustache, Le Détroit de Behring…). « Il m’avait proposé une histoire d’homme invisible qui avait perdu son pouvoir, explique Pierre Trividic. Et puis il a abandonné le projet. Je n’arrivais pas à faire le deuil du film et on s’y est remis avec Patrick-Mario Bernard. L’idée de départ était simple : un homme invisible, son pouvoir qui disparaît et une femme aveugle qui le voit. »

L’écrivain reste crédité en tant que participant à l’histoire originale, mais tous les détails ont été imaginés par Trividic et Bernard : l’identité du personnage, le rôle précis de la femme aveugle… Les réalisateurs, complices depuis 1996 et leur documentaire consacré à l’écrivain fantastique H.P. Lovecraft, n’ont pas rencontré de difficultés particulières à produire L’Angle mort. « Pour les financiers, aujourd’hui, « fantastique » est synonyme de « superhéros », constate Trividic, mais le genre de L’Angle mort n’a pas été gênant en soi et n’a provoqué aucun blocage. »

Une nouvelle invisibilité

Les deux réalisateurs ont dû établir dès le départ les modalités de l’invisibilité dans L’Angle mort. « On est partis du réalisme, tout simplement. Et si on devenait invisible, qu’est-ce qui se passerait physiquement et émotionnellement ? », raconte Patrick-Mario Bernard. Les réalisateurs ont décidé de recourir à un effet très simple : soit Dominick est complètement absent du plan, soit il est présent, mais les autres acteurs ne le « voient » pas. « On ne voulait pas refaire des effets spéciaux comme ceux de L’Homme invisible de James Whale avec Claude Rains dont on ne voit jamais le visage, sauf à la fin sur son lit de mort, explique Pierre Trividic. Notre film ne raconte pas le conflit de l’homme invisible contre le reste du monde mais de l’homme invisible contre lui-même. »

Il fallait donc qu’on puisse voir le comédien tout le temps. Cette décision alimentait l’empathie nécessaire que le public doit ressentir envers le personnage principal :  toujours d’après Pierre Trividic, « si on fait un film sur l’homme invisible sans jamais le voir, il n’y a pas de liens entre le spectateur et le héros. Ça ne marche pas. Toutes nos décisions sont nées de cette idée : il fallait le montrer. Le public est invisible avec lui ; il ressent ses émotions - l’embarras, la honte, la peur d’être découvert… Certains spectateurs vivent ça et retiennent même leur souffle avec lui. »

Le pouvoir d’invisibilité est naturel et ne possède pas d’explication scientifique explicite dans le film. Dominick « active » son pouvoir en se plaçant en hyperventilation après avoir enlevé ses vêtements. « Il nous fallait une technique de mise en œuvre facile, et l’hyperventilation s’est imposée. C’est étrange mais crédible. Et puis ça parle de souffle, d’âme… on n’est pas allés plus loin. Ça nous suffisait. On voulait prendre nos distances face à la tradition de l’invisibilité volontaire, comme chez H.G. Wells. Ce ne devait pas être un pouvoir conquis et conquérant. »

Des effets spéciaux inattendus

Conséquence logique : le traitement de l’invisibilité dans L’Angle mort a été relativement facile à résoudre, sauf pour le comédien Jean-Christophe Folly (Dominick) qui a dû passer la majeure partie du tournage nu. « Nous voulions montrer réellement la dimension physique de l’invisibilité : être nu dans un environnement urbain, pendant l’hiver... », explique Pierre Trividic. Ce fut plus difficile pour les scènes tournées à l’intérieur, dans des décors. « Les décors sont chauffés mais le chauffage est coupé quand on se met à tourner pour de bon », précise Patrick-Mario Bernard. « Et Jean-Christophe a eu plus froid nu à l’intérieur qu’à l’extérieur. On a utilisé des pommades chauffantes et des chaussons pour protéger ses pieds, dès que c’était possible. »

Mais l’effet spécial le plus compliqué à réaliser n’était pas du tout lié à l’invisibilité puisque les réalisateurs ont évacué les effets attendus du genre. Ils ont voulu que le héros se rende invisible pour pouvoir observer en voyeur une femme aveugle (Golshifteh Farahani) dans l’immeuble d’à côté. Un contrechamp tout simple sur le papier mais très difficile à mettre en place : « Au départ on voulait tout créer en studio, mais ce n’était pas dans nos moyens… On s’est ensuite dit qu’on allait tout tourner dans un seul appartement, puis changer les meubles et utiliser des fonds verts, mais c’était encore trop cher », détaille Patrick-Mario Bernard.

Finalement, le régisseur de L’Angle mort a réussi à trouver un véritable immeuble en banlieue qui possédait un vis-à-vis abandonné. « C’était l’effet spécial le plus compliqué du film ! » s’amuse Pierre Trividic, avec le recul. Les réalisateurs regrettent toutefois d’avoir dû abandonner, pour une question de budget, une scène trop coûteuse : dans un flashback le héros, enfant, s’approche d’un héron en étant invisible. « C’était un moment magique, où le jeune Dominick regarde l’animal de très près. On ne pouvait pas réunir deux plans, l’un du héron, l’autre de l’acteur. On voulait quelque chose de très détaillé et très réel. Donc, ça ne pouvait se faire qu’en 3D. Et le réalisme coûte très cher. La facture était trop élevée pour notre budget », regrette Pierre Trividic.

Un cadre inédit

Les réalisateurs ont tourné le film autour de la Place des fêtes, dans des barres d’immeubles du 19ème arrondissement. Un choix très calculé : « le Paris haussmannien ne nous intéressait pas, affirme Patrick-Mario Bernard. On avait besoin de croire en notre cadre, on voulait la beauté urbaine des endroits où l’on a grandi - comme ces HLM. On avait fait beaucoup de repérages dans les immeubles du 13ème arrondissement… »

Le cadre spatial de L’Angle mort n’est donc pas celui des « films parisiens » habituels, une originalité renforcée par la décision du chef opérateur Jonathan Ricquebourg qui a préféré tourner le film en 4/3, dans un format presque carré. « C’était le format qui correspondait le mieux à l’espace des personnages. C’est l’instrument d’optique pour les observer. On voulait être proches d’eux, être dans leurs têtes… Mais on voulait aussi voir les plafonds et les sols. Ce n’était pas possible en scope. Il fallait trop de recul, construire des décors énormes… alors qu’on voulait une certaine intimité. Mais au départ, on cherchait un format plus conventionnel, allongé. Il y a eu beaucoup de discussions en préparation, beaucoup de storyboarding. Et des considérations économiques. » Patrick-Mario Bernard rapproche ce format de celui de la série fantastique et réaliste La Quatrième dimension, avec la même sensation de familiarité et d’enfermement. Choisir de ne pas tourner en format scope n’est pas une limitation, au contraire, conclut Pierre Trividic : « Ce qu’on perd à l’image d’un côté on le gagne de l’autre. Les corps prennent toute leur importance, des pieds jusqu’à la tête. »

L'Angle mort, en salles ce mercredi 16 octobre, a bénéficié de l'Aide au développement de projets de long métrage, de l'Avance sur recettes avant réalisation et des Aides à la création visuelle ou sonore par l’utilisation des technologies numériques de l’image et du son-CVS du CNC.