L’Enfant rêvé est un film sur la quête de paternité. Est-ce l’envie de traiter ce sujet qui vous a poussé à l’écrire ?
Raphaël Jacoulot : Au départ de ce film, il y a d’abord et avant tout l’envie de parler de transmission familiale. J’ai grandi dans une famille où ces enjeux-là étaient forts. J’ai donc cherché à imaginer ce qui se passerait si un fils en apparence parfait n’arrivait pas à avoir un enfant à son tour. Un fils qui serait écrasé par sa famille, mais qui aurait pourtant intégré depuis son plus jeune âge ce mouvement naturel, comme une sève qui coule de génération en génération. Et c’est là qu’entre en jeu la question de la quête de paternité - quand le fils n’arrive pas spontanément à se détacher de l’idéal d’un enfant biologique. La douleur que crée l’impossibilité d’avoir un enfant avec sa femme va dès lors l’amener à s’interroger sur son désir. Il va progressivement comprendre qu’il s’agit d’un fantasme construit par d’autres, un fantasme qu’il a fait sien mais qui, au contact de la réalité, va devenir un obstacle.
Il était évident pour vous que l’action de L’Enfant rêvé se situerait en province et que son personnage central évoluerait dans un environnement professionnel très spécifique - avec cette scierie familiale ?
Oui. Je crois qu’on écrit toujours à partir de ce qu’on connaît. J’ai grandi à la campagne, dans une famille d’agriculteurs. Mais si je pars d’éléments personnels, je veille à les transposer dans la fiction. Voilà pourquoi j’ai choisi un autre univers que le monde agricole. Celui du bois et de l’industrie forestière me semblait très fort d’un point de vue cinématographique.
Votre personnage central était un homme dès le début ? Votre film devait traiter de paternité plus que de maternité dès les premières ébauches du scénario ?
Ce personnage aurait tout à fait pu être une fille au lieu d’un fils « idéal ». Mais, là encore, je suis parti de mon histoire, de celle de mes frères. Et surtout j’avais vraiment envie de parler du désir d’enfant du point de vue d’un homme. Au cinéma, c’est un sujet traité essentiellement via le prisme féminin.
A quel moment du développement de L’Enfant rêvé avez-vous choisi Jalil Lespert pour incarner François ?
Je n’avais aucun acteur en tête pendant l’écriture. J’ai d’abord besoin de vivre longtemps avec mes personnages pour les faire exister dans mon esprit puis sur le papier. Une fois que j’ai un scénario relativement avancé, alors j’envisage la distribution avec une directrice de casting, en l’occurrence Brigitte Moidon. C’est elle qui m’a parlé de Jalil. Et j’ai tout de suite aimé cette idée. Jalil m’apparaissait immédiatement crédible dans l’univers manuel de cette scierie. Et il émane spontanément de lui quelque chose de sympathique qui en fait ce fils idéal - tout en étant capable de révéler des éléments plus sombres. Il y a dans ses sourires et dans son regard une part d’enfance qui correspond exactement au personnage. Notamment dans cette scène où il apprend que sa maîtresse est enceinte et où, l’espace d’un instant, tous ses soucis semblent s’être envolés comme par magie.
Ce film centré sur un personnage masculin est mis en image par une femme, Céline Bozon. Était-ce une volonté consciente ?
Oui je tenais à ce regard féminin sur cet homme et sur les femmes qui l’entourent : sa femme Noémie et sa maîtresse Patricia. C’est la première fois que je travaillais avec Céline. Elle a un regard très plastique sur la mise en scène, qu’on peut notamment voir dans la manière dont elle met en image la forêt – l’autre personnage essentiel de l’intrigue. La forêt se transforme au fil de l’histoire : d’abord lumineuse lors de la scène d’amour entre François et Patricia (on est alors dans le conte ou le fantasme), elle devient de plus en plus sombre, étouffante, angoissante au fil des problèmes et des doutes qui s’accumulent dans la tête de François. Avec Céline, on a fait tout un travail autour du bois, de la matière et des peaux. Une recherche picturale qui entraîne L’Enfant rêvé vers une dimension assumée de film de genre, de film noir.
Le triangle amoureux pose forcément des questions de morale. On a le sentiment que dans L’Enfant rêvé, règne, à l’inverse, un parfum d’amoralité…
A chacun de mes films, je me confronte à ces questions de morale mais pour mieux m’en dégager. Je ne suis ni procureur, ni avocat, ni juge. Si je suis dans une position de juge, je perds mes personnages et les spectateurs les perdront également.
Vous aviez dès le départ une idée précise de la manière dont s’achèverait la quête désespérée de François ?
Cette fin a été pensée et réfléchie dans tout un tas de directions différentes. Mais j’ai assez vite suivi mon envie initiale. Je voulais que François touche des doigts son rêve d’avoir un enfant, l’unité familiale au cœur de cette forêt de conte. Montrer la fugacité de cet accomplissement me touchait. Pour autant, comme dans chacun de mes films, cette fin interroge. Elle reste ouverte, les questions sont en suspens. J’aime que les spectateurs quittent la salle avec un faisceau d’interrogations qui permet à chacun de mettre un point final au récit avec son propre imaginaire.
Ce récit s’est beaucoup réécrit au montage ?
Le montage ne vient que confirmer et assoir tous les enjeux présents dès le scénario et développés sur le plateau de tournage. Cette étape n’est donc pas venue bouleverser ma logique narrative. Simplement, au fil de celle-ci, mes personnages sont devenus de plus en plus silencieux. Dans l’écriture, j’ai toujours besoin du soutien des dialogues, de quelque chose de plus explicatif. Puis, au tournage, le travail sur la photographie et le jeu des comédiens me permettent de raconter beaucoup en me passant des mots. Le montage m’a permis d’épurer encore plus les choses.
L’Enfant rêvé, sortie le 7 octobre. Le film a été aidé par le CNC via l’avance sur recettes avant réalisation et l’aide sélective à la distribution (aide au programme).