Pourquoi avoir choisi le thème du rêve pour ce court métrage ?
Pamela Varela : Lorsque nous avons travaillé avec les élèves au moment de l’écriture, ils souhaitaient évoquer des thématiques familières : échapper à son destin, faire face au harcèlement scolaire, parler de la solitude... Il fallait donc inventer une narration qui puisse aborder ces questions. Ensuite, nous avons beaucoup débattu sur la forme narrative du court métrage. Il y avait une envie de travailler la comédie, le fantastique. De là est née l’idée d’introduire une part de rêve dans leur film. En parallèle, ils ont imaginé un certain nombre de personnages incongrus, comme la présence d’une dame étrange, d’une élève qui mange trop, d’un pilote de course, que nous avons intégré au scénario. Ils ont finalement construit leur film en miroir, un rêve qui donne la force au personnage principal de se prendre en main. Pierre échappera à son destin. Pour illustrer sa force de décision, ils ont imaginé une scène symbolique où le personnage parcourt en sens contraire tous les décors qu’il a traversé dans le film auparavant, comme une façon de résister au rôle qu’on veut lui imposer. C’est pour cela que le personnage, au moment où il a le courage d’affirmer son envie d’être dessinateur, entreprend une course effrénée vers sa liberté.
« Les élèves ont construit leur film en miroir, un rêve qui donne au personnage principal la force de se prendre en main »
Y a-t-il des influences cinématographiques qui ont pu jouer dans la mise en scène choisi par les élèves ?Tout à fait ! Et c’est à ça que sert en partie le travail qui est fait en amont avec les élèves. Par exemple, la séquence de la course dont je vous parlais a été inventée après avoir découvert Mauvais sang de Léos Carax ; la course de Denis Lavant les a marqués ! De même pour dans Les 400 coups de Truffaut, où l’on voit le jeune Antoine Doinel dans une course, rythmée par ses seuls pas, qui traduit la détermination du personnage qui se dirige vers l’inaccessible. Un peu comme le fait Pierre dans ce film.
« Travailler le son comme une musique dans le film »
Quelle technique de cinéma (son, image, jeu…) avez-vous étudié avec la classe ?
Nous avons abordé beaucoup d’aspects de la fabrication d’un film, que ce soient l’utilisation de mouvements, de plans courts ou longs, l’utilisation du son, l’appréhension du jeu d’acteur. Avant de commencer l’écriture du scénario, nous avons étudié ces différents outils afin de pouvoir les utiliser par la suite dans la fabrication de leur film. Ils ont également fait le choix de ne pas utiliser de musique mais de travailler le son comme une musique dans le film. C’est pour ces raisons qu’ils ont choisi d’utiliser les mêmes sons dans les deux parties du film, à la différence que, dans le rêve, leur traitement n’est pas le même et participe à une perception différente. Ce qui était important c’était qu’ils comprennent comment ils pouvaient se servir de ces outils dans l’intérêt du film qu’ils voulaient réaliser.
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Comment encadre-t-on des novices qui n’ont jamais approché une caméra ?
Cela demande de composer avec les caractères à la fois curieux, attentifs, mais aussi intimidés. Il ne faut pas oublier que nous avons affaire à une classe d’adolescents, parfois distraits et agités ! Notre manière de travailler s’est construite tout au long de l’année ; le défi de ce projet résidait justement dans le fait de pouvoir faire équipe. Ils ont appris à me connaître et réciproquement. Le leitmotiv était la confiance mutuelle, si bien que lorsqu’ils sont arrivés en tournage, ils étaient dans une posture active. Il s’agissait de leur film, ce qui représentait un certain enjeu et une belle motivation. Le fait de parler du droit à l’erreur, de les encourager à poser des questions, ou de la possibilité de recommencer si nécessaire – nous avons d’ailleurs refait quelques prises jusqu’à quinze fois ! – les a aidés je pense à être à l’aise.
Est-ce les élèves qui dirigent leur camarades acteurs ?
Oui, bien sûr. Et ceux sont eux qui décident également des plans et des axes caméra. Nous étions là comme professionnels pour les accompagner, pour les guider dans leur choix. C’est amusant de voir comment ils se dirigent entre eux. Ils emploient évidemment leur propre langage, leur gestuelle. Au départ, ils n’osent pas complétement, d’ailleurs, personne ne voulait jouer. Puis, certains se sont proposés et les autres se sont rapidement pris au jeu et les ont aidés à construire leur personnage. Surtout dans le cas de Pierre et Rebecca – du nom des personnages principaux – qui avaient deux scènes importantes où ils devaient se rapprocher et se soutenir mutuellement. Ils ont su trouver les bons gestes au bon moment.
Comment s’est déroulé le tournage ?
Pour la mise en scène, nous avions toujours en main le scénario, notre socle. Quelqu’un faisait la lecture de la scène - on avait déjà fait ce travail en repérages, si bien qu’on connaissait déjà les axes caméra, mais cela pouvait se modifier lorsque l’acteur prenait place au centre de la scène. Ainsi, les élèves avaient constamment à l’esprit ce qu’ils étaient en train de construire, en resituant le contexte, en ayant en tête les scènes qui venaient avant et après, en pensant aux raccords (son et image), aux intentions de jeu… Ce qui est assez difficile, c’est de recoller les morceaux car évidement, on ne tourne pas dans l’ordre chronologique, ce qui pouvait être compliqué. Avant chaque plan, l’idée était d’en reformuler les enjeux, le situer dans le rêve et dans la réalité. Préciser en quoi le plan pouvait être filmé de façon différente dans l’un ou l’autre cas. Par exemple, dans les scènes de la classe, le décor est jonché de dessins, un élève dort, l’autre est à la fenêtre… Nous sommes dans le rêve. Tandis que dans le réel, tout devient plus banal. Ce sont leurs choix, ils en discutaient, parfois n’étaient pas d’accord, mais ont toujours trouvé des compromis.
Parlez-nous du choix du lieu de tournage…
Le film se déroule dans huit décors assez divers, qui devaient avoir des éléments en commun, comme les graffitis (qui créent le lien au dessin dans le film). Les élèves étaient très inquiets au départ de savoir comment nous allions pouvoir trouver tous ces lieux. Qui allait nous prêter un appartement ? Où allions-nous trouver un pilote ou encore une voiture de course ? Cette inquiétude était tout à fait justifiée et pertinente. C’est normal de se sentir démuni lorsqu’on débute des repérages et que l’on ne sait comment s’y prendre. Au fur et à mesure que la préparation avançait et que nous partions en repérages, les élèves ont compris que ce n’était finalement qu’une étape supplémentaire du travail.
Organiser un tournage avec une classe d’une trentaine élèves en veillant à ce que chacun se sente impliqué requiert un minimum d’organisation. Comment avez-vous procédé ?
Au moment de la préparation du tournage, nous avons fait ensemble le tour des fonctions. Nous avons conçu un tableau où chacun pouvait mettre ses préférences de poste. Nous avons eu assez spontanément des responsables pour chaque département (mise en scène/son/image/décoration/accessoires/régie…). Il était évident que tout le monde pouvait participer à un poste différent chaque jour et appréhender ainsi divers métiers.
Y’a-t-il eu un rôle particulièrement prisé durant le tournage ?
Comme les élèves sont en terminale Gestion administration, ils ont une certaine affinité avec toutes les tâches administratives. Ainsi, un petit groupe d’élèves s’est occupé tout naturellement de ces fonctions, que remplit habituellement un régisseur de plateau : ils étaient chargés par exemple de la signature des cessions de droits, de la gestion des rendez-vous pour le retrait et le transport du matériel, des accessoires et des costumes. D’autres se sont occupés des autorisations de tournage car, ayant filmé plusieurs rues de la capitale, nous avions besoin de déposer des autorisations de tournage à la ville de Paris. Certains se sont concentrés sur l’organisation des journées de travail, ce qui impliquait d’arriver avant les autres, de préparer les décors et de rester plus tard pour restituer les décors tels que nous les avions trouvés. Ce petit groupe a également veillé au bon fonctionnement et à l’application des gestes barrières. Ils étaient aussi chargés de nous approvisionner en eau et petits gâteaux. Ils avaient même préparé un repas collectif la veille du tournage à l’appartement, mais nous avons dû annuler en raison de la pandémie. Dommage, il y avait une dégustation de spécialités africaines au programme !
Y a-t-il eu des imprévus pendant le tournage ?
L’arrivée de la pandémie a été bien sûr très dur pour chacun. Mais si cela a été une difficulté supplémentaire, elle n’a pas été un souci majeur. Le plus compliqué en fin de compte a été de faire comprendre aux élèves qu’ils allaient réaliser leur propre film, que c’était de leur responsabilité de choisir de ce dont ils voulaient parler. Ils ont mis du temps à intégrer qu’il leur appartenait de construire une histoire faite de sons et d’images et surtout, qu’ils en étaient capables. Au départ, ils étaient persuadés qu’ils n’avaient rien à dire, puis qu’ils ne savaient pas comment le dire ou comment le faire. Toutes ces étapes sont en fait très abstraites, ce qui n’aide pas à s’approprier le projet en tant que tel. Cette classe est constituée pour beaucoup de primo arrivants, d’enfants en difficulté scolaire si ce n’est en échec scolaire. C’était pour la plupart d’entre eux la première fois qu’ils avaient un rôle important à jouer. Alors, oui au départ cela a été difficile, mais petit à petit, ils se sont engagés et ce de plus en plus. Ils ont été impressionnés d’avoir mené ce projet pleinement et d’avoir compris ce qu’ils étaient en train de créer ensemble. Cela a été très perceptible en fin de tournage, qu’ils redoutaient, souhaitant prolonger le moment le plus longtemps possible. Le moment le plus fort, à mon sens, c’est lorsqu’ils ont découvert le premier montage et qu’ils se sont rendus compte du travail accompli. Ils n’en revenaient pas, l’émotion était perceptible.