3 octobre 1963. Deux ans après L'Année dernière à Marienbad, Alain Resnais est de retour dans les salles obscures. Quelques semaines à peine après son passage remarqué à la Mostra de Venise 1963 – Delphine Seyrig a reçu la Coupe Volpi de la meilleure interprétation féminine –, Muriel ou le temps d'un retour arrive au cinéma. Pour son quatrième long métrage, le réalisateur retrouve le scénariste Jean Cayrol, avec qui il a déjà collaboré sur le documentaire Nuit et brouillard (1956). Sous la plume de l'auteur naît l'histoire, en 1962, d'Hélène Aughain, antiquaire à Boulogne-sur-Mer, qui vit avec Bernard, son beau-fils qui rentre à peine d'Algérie. Elle accueille bientôt Alphonse, son amour de jeunesse, accompagné de Françoise, une jeune actrice qu'il présente comme sa nièce. Une visite qui va faire naître de nombreuses tensions entre les deux générations réunies sous le même toit. Produit par Argos Films et les Films de la Pléiade, Muriel ou le temps d'un retour tranche dans la filmographie d'Alain Resnais. Il est en effet l'un des rares longs métrages du réalisateur à avoir une narration linéaire, avec un récit se déroulant du 29 septembre au 14 octobre 1962 et un tournage réalisé en octobre de la même année.
Ce procédé narratif a changé beaucoup de choses, notamment pour l'un des thèmes abordés dans le film : la Guerre d'Algérie. Alain Resnais ne prévoyait pas, en effet, d'évoquer ce conflit à l'écran. « Muriel s'est trouvé à un moment où [le personnage de Bernard] était appelé - puisque le pari de Muriel était qu'on tourne huit jours après les vraies dates, c'est à dire que tout était chronométré et on mettait la caméra à l'endroit réel. (…) La Guerre d'Algérie s'est produite au moment du film, alors comme elle était là, le jeune garçon s'est forcément trouvé mobilisé. On ne pouvait pas le changer, c'était comme ça. Mais on n'a pas eu l'idée au départ de faire un film sur la Guerre d'Algérie », a confié Alain Resnais dans un entretien accordé en 1992 à la Cinémathèque de Grenoble. « Il pleut, bon il pleut. Il fait beau, tant pis, il fait beau. On ne change rien ! Il y a la vitrine de ce magasin un peu minable, eh bien tant pis. Le décor de ce café qui est en face de la gare, ce n'est pas possible, c'est trop laid ! Oui, mais c'est celui qui est en face de la gare, donc on n'y touche pas... », a-t-il ajouté.
Torture et controverse
Bien accueilli à la Mostra de Venise, Muriel ou le temps d'un retour a provoqué une certaine controverse à sa sortie. Il faut dire qu'au moment de la sortie du film, rares étaient les longs métrages à évoquer ce conflit. Les quelques œuvres ayant abordé cette guerre et la torture, comme Le Petit Soldat de Jean-Luc Godard, ont d'ailleurs été censurées pendant de nombreuses années. Certains reprochaient ainsi à Alain Resnais de « parler avec autant de légèreté » de la Guerre d'Algérie et des tortures perpétrées au cours de ce conflit, soulignait le réalisateur en 1992. « En fait, ça ne voulait pas donner de leçons. Il y avait l'angoisse, mais ça n'expliquait rien. D'ailleurs, dans la fiction, on ne peut pas prouver, au contraire du documentaire. S'il n'y a pas le "je", c'est très difficile », a précisé le cinéaste dans cet entretien réalisé pendant le Festival de Grenoble.
Pour l'historienne Raphaëlle Branche, « Alain Resnais choisit de ne pas filmer la torture mais de montrer qu'elle peut être un événement traumatique, quand on la pratique, quand on la voit aussi ». C'est d'ailleurs via une mise en abîme cinématographique que ces événements sont évoqués. Dans un article publié en 2002 dans la Revue Transculturelle L'Autre et repris en 2014 par Politis, elle ajoute : « Muriel est, de tous les films qui existent sur la Guerre d'Algérie et qui abordent le thème de la torture, celui qui pousse le plus loin la réflexion sur sa représentation. Depuis 1963, aucun autre réalisateur n'a réussi à faire comprendre aussi profondément ce qu'a pu être le choc de la confrontation avec la pratique de la torture pour des appelés français. »
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